Il s'agit peut-être de la statistique la moins relevée sur les séries éliminatoires de la Ligue nationale de hockey. Et pourtant, combien révélatrice.

L'éminent entraîneur des gardiens de but de la LNH François Allaire, qui travaille désormais pour les Maple Leafs de Toronto, a toujours répété qu'il refusait d'accorder plus de 65 départs par saison à son gardien numéro un. Question de ne pas l'hypothéquer en prévision des séries.

Les résultats des dernières années donnent raison à l'ancien entraîneur personnel de Patrick Roy. Depuis le lock-out, aucun gardien gagnant de la Coupe Stanley n'a disputé plus de 62 matchs en saison régulière. Marc-André Fleury a atteint ce sommet le printemps dernier. Mais lors des trois saisons précédentes, Jean-Sébastien Giguère, alors protégé d'Allaire à Anaheim, était celui qui en avait joué le plus, 56. En 2005-2006, Cam Ward en avait disputé seulement 28 puisqu'il était l'auxiliaire de Martin Gerber avant de lui ravir son poste lors de la série contre le Canadien. En 2007-2008, Chris Osgood avait joué 43 matchs avant de gagner la Coupe avec les Red Wings de Detroit.

Le constat s'applique aussi aux gardiens finalistes. Lors des quatre dernières années, Chris Osgood a disputé 46 matchs en saison régulière avant d'atteindre la finale, Marc-André Fleury (Pittsburgh) 35 matchs, Ray Emery (Ottawa) 58 matchs et Dwayne Roloson (Edmonton) 43 matchs.

En outre, aucun gardien n'ayant atteint la demi-finale depuis le lock-out a disputé 70 matchs ou plus. Cam Ward en a joué 68 en saison régulière l'an dernier avant d'atteindre le carré d'as avec les Hurricanes. Sinon, le plus occupé aura été Ryan Miller en 2006-2007 avec les Sabres de Buffalo.

Même en 2004, lorsqu'il avait gagné la Coupe Stanley avec le Lightning de Tampa Bay, Nikolai Khabibulin avait partagé la tâche avec John Grahame. John Tortorella l'avait employé dans seulement 55 matchs.

François Allaire m'avait expliqué, il y a quelques années, qu'il préconisait une formule d'alternance non seulement pour reposer son gardien numéro un, mais aussi pour préparer l'auxiliaire à toute éventualité.

«Je trouve que 50 à 60 matchs par saison, c'est une bonne formule pour un gardien numéro un. Ça permet de bien travailler avec lui à l'entraînement et de lui donner un nombre suffisant de matchs pour qu'il se sente à l'aise. Je n'ai jamais cru à la formule de 72 matchs pour le partant et 10 matchs pour l'auxiliaire, parce que c'est jouer à quitte ou double en prévision des séries. Il ne faut pas que ton numéro un se blesse. En 2006, Jean-Sébastien (Giguère) s'est blessé dans les éliminatoires mais (Ilya) Bryzgalov a pu prendre la relève efficacement pendant trois rondes parce qu'il avait participé à 31 matchs en saison régulière.»

D'ailleurs, Patrick Roy n'a jamais disputé plus de 62 matchs en saison régulière lors des quatre printemps où il a remporté la Coupe Stanley. Deux fois a-t-il joué plus de 65 matchs. Il a perdu en première ronde la première fois et en deuxième ronde la seconde fois.

On réalise ainsi que Martin Brodeur, qui a remporté trois Coupes Stanley avec les Devils du New Jersey tout en étant employé à outrance, constitue l'exception qui confirme la règle. Mais c'était avant le lock-out, avant la nouvelle interprétation des règlements. Pour plusieurs, le métier de gardien est devenu beaucoup plus exigeant depuis qu'on tolère moins l'accrochage et qu'il est désormais interdit aux défenseurs de bousculer l'adversaire devant le filet.

Si l'on se fie à la logique, des équipes comme les Capitals de Washington avec José Théodore (46 matchs) ou Semyon Varlamov (25 matchs), les Blackhawks de Chicago avec Antti Niemi (37) ou Cristobal Huet (48), les Sénateurs d'Ottawa avec Brian Elliott (55 matchs) ou Pascal Leclaire (33 matchs), les Red Wings de Detroit avec Jimmy Howard (60 matchs), quoique celui-ci ait été utilisé à outrance dans le deuxième droit, les Predators de Nashville avec Pekka Rinne (57 matchs) ou même le Canadien de Montréal avec Jaroslav Halak (44 matchs) ou Carey Price (41 matchs) pourraient se faufiler.

Doit-on pour autant éliminer rapidement les clubs dont les gardiens ont disputé plus ou moins 70 matchs, comme les Devils du New Jersey (Martin Brodeur, 75 matchs), les Sharks de San Jose (Evgeny Nabokov, 70 matchs), les Canucks de Vancouver (Roberto Luongo, 68 matchs)? Non, évidemment. Mais gardons en tête tout de même les leçons des derniers printemps.