Sans Andy Murray, Bruce Boudreau n'aurait jamais dirigé les Capitals de Washington, conduit son club au premier rang de la LNH ou affronté le Canadien de Montréal en séries. Car sans Andy Murray, Bruce Boudreau serait mort dans les attentats du 11 septembre 2001.

Boudreau était à l'époque l'entraîneur des Monarchs de Manchester, club-école des Kings de Los Angeles. Il avait un billet pour le vol Boston-L.A. d'United Airlines qui a percuté la tour sud du World Trade Center. Sauf qu'une semaine avant le vol, son départ avait été devancé d'une journée. Murray, alors coach des Kings, souhaitait rencontrer tous les entraîneurs de l'organisation avant le début du camp d'entraînement.

«Dieu soit loué qu'Andy soit un maniaque des détails», écrit Boudreau dans Gabby, Confessions of a Hockey Lifer, son autobiographie publiée l'automne dernier. «Il m'a sauvé la vie.»

Gabby - le Bavard - est le surnom dont a hérité Boudreau à l'époque où il était un centre prometteur des Marlies de Toronto, chez les juniors, au début des années 1970. Un surnom qui lui est resté et qui lui va comme un gant. Ce raconteur extraordinaire en a en effet long à dire sur sa carrière mouvementée, au cours de laquelle il a enseigné l'art du lancer frappé à Paul Newman, a été congédié par Jean Perron... et a passé 2127 matchs de saison régulière dans les mineures, comme joueur et

entraîneur, avant de finalement obtenir la chance de coacher dans la LNH, le 22 novembre 2007.

Ce jour-là, le DG des Capitals, George McPhee, l'avait tiré du lit à Hershey, où il avait conduit les Bears à la Coupe Calder, deux ans plus tôt, pour lui annoncer qu'il voulait qu'il remplace Glen Hanlon à la barre du club.

C'était le début d'une folle chevauchée. Sous la gouverne de Boudreau, les Capitals sont passés du dernier rang de la LNH au championnat de leur division en quatre mois et demi. Ils ont connu une extraordinaire séquence de 48 matchs au cours de laquelle ils n'ont jamais perdu deux fois de suite en temps réglementaire. Et ils ont remporté 11 de leurs 12 derniers matchs pour souffler la tête de la division Sud-Est aux Hurricanes de la Caroline, avant de s'incliner en sept matchs contre les Flyers.

Quand Boudreau a reçu le trophée Jack-Adams des mains de Scotty Bowman, quelques mois plus tard, il était probablement le seul à être surpris.

Slap Shot

Que de chemin parcouru depuis ses débuts chez les professionnels, trois décennies, deux mariages et quatre enfants plus tôt, avec les Jets de Johnstown, l'équipe qui a servi d'inspiration à la scénariste de Slap Shot, Nancy Dowd.

Boudreau jouait pour Johnstown quand George Roy Hill y a tourné son film-culte, au printemps de 1976. Il a été figurant dans le film (le numéro 7 des Presidents de Hyannisport, c'est lui). L'appartement où vit Reg Dunlop, le joueur-entraîneur des Chiefs de Charlestown incarné par Newman, était celui qu'il partageait avec le dur-à-cuire Dave Hanson.

«George Roy Hill, s'était pointé dans le vestiaire des Jets, et avait dit qu'il cherchait «une chambre vraiment miteuse, le pire endroit qu'on puisse imaginer». Tout le monde m'avait montré du doigt», raconte Boudreau, également surnommé... «Dirt».

Boudreau n'était peut-être pas fort en ménage, mais il savait jouer au hockey. Il a récolté 365 points en trois saisons avec les Marlies, remportant deux fois la Coupe Memorial sous les ordres de l'ancien attaquant des Maple Leafs George «Chief» Armstrong. Ses 799 points dans la Ligue américaine - 11e plus haut total de l'histoire - lui ont valu d'être intronisé au Temple de la renommée de la LAH.

Boudreau est le premier à admettre qu'il manquait de sérieux au début de sa carrière. Celle-ci aurait d'ailleurs pu dérailler avant même de commencer : deux semaines avant d'être repêché au troisième tour par les Leafs, en 1974, il avait joué au nuvite avec Mark Napier et quelques coéquipiers des Marlies dans un bar de Toronto. Mauvaise idée : des policiers en civil étaient présents. Des accusations d'outrage à la pudeur - éventuellement abandonnées - avaient été portées.

Jugé trop petit - à 5'10, il mesurait quand même huit pouces de plus que son père - et trop lent, Boudreau n'a jamais réussi à s'établir dans la Ligue nationale. Il a fait le yoyo entre Toronto et les divers clubs-écoles des Leafs entre 1976 et 1983. Au final, il a inscrit 70 points en 141 matchs dans la LNH, dont sept avec les Blackhawks de Chicago, en 1985-86.

Le coentraîneur des Hawks cette année-là était Roger Neilson, qui l'avait aussi dirigé avec les Leafs. «Capitaine Vidéo» a été l'une des deux influences majeures de Boudreau, l'autre étant Armstrong, réputé pour ne jamais critiquer publiquement ses joueurs. «J'ai appris comment traiter les joueurs en observant comment Chief nous traitait. Roger, lui, était l'oracle des statistiques, très organisé. Rien ne lui échappait. Impossible de le piéger», note Boudreau.

La fusion des approches de ses deux mentors le sert bien, à en croire l'attaquant des Capitals, Éric Bélanger, qui a aussi joué sous ses ordres pendant une saison dans la Ligue américaine. «Il est le prototype parfait d'un players' coach. Parfois, quand il rentre dans le vestiaire avec ses cravates croches aux couleurs pas toujours évidentes, on ne peut pas s'empêcher de rire, dit-il. Mais derrière ce gars qui n'a pas l'allure d'un coach, se cache une très bonne tête de hockey. Même s'il est un boute-en-train, il sait lever le ton et faire passer son message quand c'est nécessaire. Il apostrophe les petits derniers, les gars de soutien et les vedettes de la même manière. Je crois que c'est pour ça qu'il a toujours su obtenir le respect de ses joueurs.»

Du succès partout

Boudreau a eu du succès partout où il est passé depuis qu'il a fait ses débuts comme entraîneur en 1992 dans la Ligue coloniale, quelques mois après avoir disputé son dernier match dans la LAH. En 16 ans dans les mineures, au fil d'une carrière qui l'a conduit de Muskegon à Hershey en passant par Fort Wayne, Biloxi, Lowell et Manchester, celui qui se décrit comme un entraîneur «col bleu» n'a connu que deux saisons perdantes et a été champion dans la Ligue de la côte Est et dans la Ligue américaine. Sa seule expérience désastreuse est survenue à San Francisco, dans la Ligue internationale, où Jean Perron l'a viré de son poste d'entraîneur-adjoint après seulement trois rencontres .

Plusieurs joueurs actuels des Capitals jouaient sous les ordres de Boudreau quand les Bears de Hershey ont remporté la Coupe Calder au printemps 2006, dont Mike Green, Jeff Schultz, Eric Fehr, Dave Steckel et Tomas Fleischmann.

Dans son livre, Boudreau ne cache pas son admiration pour Green, qu'il décrit comme «le prochain Paul Coffey ou Scott Niedermayer».

Le respect est mutuel. «Je ne serais pas ici aujourd'hui sans l'apprentissage dont il m'a fait profiter dans la Ligue américaine, dit le défenseur de 24 ans. Et c'est le même gars qui m'enseigne aujourd'hui qu'à Hershey. La Ligue nationale ne l'a pas changé. Son job, le succès, rien ne lui a enflé la tête. Il est comme il est et c'est parfait comme ça.»

Boudreau n'a pas changé. Et ce n'est pas à 55 ans qu'il changera. Le hockey est sa vie et la victoire, sa religion. «Je veux être le meilleur chaque fois que je saute sur la glace, écrit-il à la fin de son livre. Je veux toujours gagner et je veux gagner dans tout ce que je fais. Si on peut appeler ça une philosophie, alors c'est la mienne. Tout est une compétition. Et partir à la conquête de la Coupe Stanley est la plus grande compétition qui soit.»

- Avec la collaboration de François Gagnon