Jaroslav Halak est arrivé à Montréal il y a trois ans déjà. Remplaçant Cristobal Huet, blessé, il avait presque sauvé la saison du Canadien. Cette année encore, alors que le CH lutte pour une place en séries, le gardien slovaque est devenu l'homme de confiance de son entraîneur. Retour sur le parcours d'un joueur qui a eu l'audace de rêver.

Halak ou Price? Éternelle et lancinante question dans l'univers surmédiatisé du Canadien de Montréal.

Price, c'est le premier choix au repêchage. Le colosse. Le champion du monde junior. Le gagnant de la Coupe Calder. L'élu, quoi - Jesus Price.

Halak? C'est l'autre. Le p'tit gars pas trop jasant. Celui qui gagne des matchs.

On ne refera pas le débat entre les deux gardiens du Canadien, même si on peut souligner - on DOIT souligner, en fait - que Price est victime cette saison du manque d'attaque du Canadien. Le blogueur Eric Engels notait cette semaine que dans les 25 défaites du gardien de 22 ans, le CH a marqué plus de deux buts seulement quatre fois. Matière à réflexion pour les zouaves qui l'ont stupidement et injustement hué au Centre Bell, mercredi.

Reste un fait incontestable: Halak gagne. Sa fiche de 24-12-3 n'a rien de nouveau: depuis son arrivée en Amérique du Nord en 2004, il a maintenu un bilan positif avec toutes ses équipes, des MaineIacs de Lewiston au Canadien en passant par les Ice Dogs de Long Beach et les Bulldogs de Hamilton. Pareille constance n'est pas l'effet du hasard.

«Il n'y a rien qui me surprend dans les succès de Jaro à Montréal», dit l'ancien entraîneur des gardiens du Canadien, Roland Melanson, qui a commencé à travailler avec Halak pendant le lock-out de 2004-05, quand le jeune Slovaque défendait le filet de Lewiston, dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec. «C'est un gars dur et exigeant envers lui-même, qui veut toujours jouer au plus haut niveau. Ça prend une attitude comme ça pour être un numéro un.»

À 24 ans, Halak est-il devenu le numéro un chez le Canadien? Il a certainement la pleine confiance de Jacques Martin depuis qu'il a conduit la Slovaquie à une étonnante quatrième place lors des Jeux olympiques de Vancouver. Même si Price a été pratiquement irréprochable quand on lui a donné la chance de jouer en mars, Halak a entrepris 11 des 13 derniers matchs de l'équipe.

Sans grande surprise, Halak refuse de se laisser entraîner dans le débat. «Je ne me suis jamais senti comme un numéro un à Montréal, m'a-t-il dit lors d'une entrevue au centre d'entraînement du Canadien, à Brossard, mardi. Nous avons deux jeunes gardiens de but qui veulent jouer et nous avons eu à peu près le même nombre de matchs depuis le début de l'année. C'est difficile pour les deux, car un seul peut jouer. Mais nous sommes amis. Quand je joue, Carey m'appuie et je fais la même chose quand c'est son tour. Tout ce qui compte, c'est l'équipe.»

Le natif de Bratislava n'a pas toujours été aussi zen. Quand l'entraîneur de l'équipe olympique slovaque, Jan Filc, a fait une tournée en Amérique du Nord à la fin novembre, Halak broyait du noir. À l'époque, il n'avait joué qu'une fois en un mois. Son agent Allan Walsh s'était senti obligé de souligner à gros traits sur Twitter les statistiques ordinaires de Carey Price.

«Jaroslav était un peu frustré, comme le serait n'importe quelle personne motivée qui veut montrer ce dont elle est capable. Il se sentait un peu déconsidéré et trouvait qu'on ne lui donnait pas la chance qu'il méritait», a confié Filc lors d'une entrevue téléphonique, cette semaine.

Le vent a fini par tourner peu avant Noël. Entre le 19 décembre et son départ pour les Jeux olympiques, Halak a entrepris 18 des 27 matchs du Canadien, remportant 11 victoires. Il a continué sur sa lancée à Vancouver, où Filc n'a pas hésité à le renvoyer dans la mêlée malgré une défaite initiale de 3-1 contre la République tchèque. Halak, son masque orné d'une image du légendaire gardien tchécoslovaque Vladimir Dzurilla, a répondu en n'accordant qu'un but dans une étonnante victoire en fusillade contre la Russie. Il n'a plus quitté le filet, maintenant une moyenne de 2,41 et un taux d'efficacité de 91,05% en sept parties. «Sans ses performances, nous n'aurions jamais fini dans les quatre premiers. Ce résultat lui appartient», dit Filc.

L'influence de Joseph

Ses exploits aux Jeux olympiques représentent pour l'instant le point culminant de la carrière de Halak. Pas mal pour un gars que rien ne prédestinait au hockey: son père Jaroslav, un mécanicien, et ses frères Roman et Miroslav, aujourd'hui âgés de 27 et 17 ans, n'ont jamais pratiqué ce sport. «Je suis un peu le mouton noir de la famille», reconnaît Halak en souriant.

Il a donné ses premiers coups de patins à l'âge de 8 ans, pour Ruzinov Bratislava, un club modeste de la capitale slovaque. «La plupart des meilleurs joueurs évoluaient plutôt pour le Slovan Bratislava, alors je recevais beaucoup de lancers!» se souvient Halak.

C'était le début des années 90, l'époque de la chute du régime communiste, de la scission pacifique de la Tchécoslovaquie et de l'invasion européenne dans la Ligue nationale. Halak ne manquait jamais les faits saillants de la LNH, diffusés à la télé slovaque. «Tout le monde parlait de Patrick Roy. Mais mon idole était Curtis Joseph. Comme moi, il n'était pas un gars particulièrement costaud, mais il donnait toujours tout ce qu'il avait. Il essayait d'arrêter toutes les rondelles. Je tente d'être comme lui.»

Les pays européens ont produit plusieurs gardiens de fort calibre, de Miikka Kiprusoff à Henrik Lundqvist en passant par Dominik Hasek et Nikolai Khabibulin. La Slovaquie fait toutefois figure d'exception. Halak et Peter Budaj, de l'Avalanche du Colorado, sont les deux seuls gardiens slovaques actifs dans la LNH. Avant eux, Jan Lasak et Ratislav Stana ont eu droit à la proverbiale tasse de café (six matchs chacun, pour Washington et Nashville), mais la liste s'arrête là.

Rien de surprenant, selon Halak. «Nous avons besoin de meilleurs entraîneurs des gardiens. Quand j'étais jeune, je devais me débrouiller seul. Une fois par semaine, on avait un entraînement des gardiens, mais on était trop nombreux sur la glace pour bien travailler.»

Passé à 14 ans au Slovan, l'ancien club de Peter Stastny, Halak a attiré l'attention du Canadien lors du championnat du monde U-18, peu avant le repêchage de 2003. Il avait battu à lui seul l'équipe russe, stoppant Alexander Ovechkin et Evgeni Malkin en fusillade. Les dépisteurs montréalais l'ont cueilli en neuvième ronde, au 271e rang. Très tard, donc - quoique tout de même 20 rangs plus tôt que l'actuel gardien numéro un des Sénateurs d'Ottawa, Brian Elliott.

Il lui a fallu attendre une autre année avant d'être repêché par les MaineIacs de Lewiston. Il s'est vite ajusté aux patinoires nord-américaines, maintenant une moyenne de 2,78 et un taux d'efficacité de 91,3% en 47 parties dans le junior.

«Je voulais sortir de Slovaquie, voir le monde et améliorer mon anglais», dit Halak, qui baragouinait à peine quelques mots dans la langue de Wayne Gretzky à son arrivée dans le Maine.

De Long Beach à la LNH

Loin de sa famille et de sa copine Petra - le couple a survécu à deux ans de relations transatlantiques et vit aujourd'hui à quelques minutes du Centre Bell -, il a mis la même ardeur à apprendre la langue qu'à s'améliorer sur la glace, raconte Nancy Mennealy, qui l'a hébergé avec son mari Steve pendant son année à Lewiston. «Il ne buvait pas d'alcool, ne sortait pas et surveillait son alimentation. Et quand il connaissait un mauvais match, on était mieux d'attendre au lendemain pour en parler! Ce que je retiens de lui, c'est son engagement envers son sport et son rêve d'atteindre la LNH.»

Il s'y est accroché tant bien que mal, l'année suivante, quand il s'est retrouvé à Long Beach, dans la Ligue de la Côte Est. «Je me trouvais bien loin de la LNH quand on m'a rétrogradé là-bas. En plus, je me suis blessé à l'aine dès mon premier match et j'ai dû m'absenter deux mois. Je me sentais bizarre, mais j'avais toujours mon rêve.»

Il a gradué chez les Bulldogs de Hamilton et, à la faveur d'une blessure à Cristobal Huet, a finalement obtenu son premier départ dans la LNH le 18 février 2007, une victoire de 3-2 à Columbus. Halak avait bien fait dans les deux derniers mois de la saison, remportant notamment ses sept parties à domicile et chipant le poste de David Aebischer.

Ça ne l'a pas empêché de devoir céder sa place à Price la saison suivante, qu'il a commencée à Hamilton. «Ça a été difficile. J'étais le troisième homme et je ne me sentais pas très bien. Mais ça fait partie du jeu.» Il a fallu le départ de Cristobal Huet, échangé à Washington en février 2008, pour qu'il s'installe définitivement à Montréal. Il a été le second de Price la saison dernière, qu'il a terminée avec une fiche de 18-14-1 et un pourcentage d'efficacité de 91,5%. «Il aurait mérité plus de glace l'an dernier, surtout que Carey n'avait pas vraiment le momentum», estime Gilles Moffet, éditeur du magazine spécialisé Goalies' World, qui consacrera la une de son prochain numéro à Halak. «Le mot qui le résume le mieux, c'est compétiteur. Il n'est pas un choix de première ronde et il lui a fallu se battre pour arriver où il est. Il est très méthodique, ne tient rien pour acquis. Il excelle à mettre un seul genou sur la glace sur les tirs en angle et son jeu de pied et son équilibre sont exceptionnels. Comme il n'a pas une grande stature (cinq pieds 11 et 179 livres), il doit maximiser son espace. Ça prend une bonne lecture du jeu et des déplacements très précis.»

Une évaluation que partage Jan Filc, l'entraîneur olympique de Halak. «Jaroslav est très flexible, maîtrise très bien le style papillon et a des bras très rapides, souligne cet ancien gardien de but. Peu de gardiens parviennent à couvrir autant d'espace sur la glace et à réagir aussi rapidement sur les tirs hauts. Il est aussi très patient.»

Halak a aussi mûri psychologiquement. «Quand j'étais plus jeune, même encore l'an dernier, je pensais trop quand j'accordais un mauvais but ou que je connaissais un mauvais match, dit-il. Maintenant, si je perds, je perds. Et je passe à autre chose.»

Peut-on vraiment tourner la page dans un endroit comme Montréal? «C'est sûr que ce n'est jamais facile. Les gens voudraient qu'on gagne chaque partie. Mais c'est impossible», répond-il. Mince consolation, il dit ne pas être trop reconnu quand il déambule en ville. «C'est l'avantage de jouer avec un masque!»