Nous sommes lundi matin et David Desharnais entre au bureau. Le bureau, ça a été Brossard et le Centre Bell pendant quelques grisantes journées. Mais au lendemain de son renvoi dans la Ligue américaine, il est de retour au Copps Coliseum de Hamilton.

Dans le petit couloir qui mène aux vestiaires, l'entraîneur Guy Boucher a fait coller des photos des Bulldogs. Il n'y en a aucune de célébrations ou de buts spectaculaires. Ce ne sont que des images de joueurs qui paient le prix: un gars bataillant seul contre trois pour la rondelle, un gant au visage devant le but adverse...

Impossible pour Desharnais de les manquer. Pas plus qu'il ne peut manquer les mots écrits en grosses lettres lui rappelant de repartir meilleur qu'il ne l'était en arrivant.

L'attaquant de 23 ans croise aussi le bureau des entraîneurs dont la porte est la plupart du temps ouverte.

Boucher sait bien que son jeune guerrier n'a plus beaucoup d'essence dans le réservoir. Comme la majorité des 17 joueurs rappelés par le Canadien cette saison, il est revenu complètement vanné.

«C'est étonnant de voir à quel point on devient l'ami des joueurs pendant qu'ils sont à Montréal, raconte Boucher. C'est une relation spéciale: lorsqu'ils sont à Hamilton, nous sommes leurs entraîneurs; et lorsqu'ils sont en haut et qu'ils ont besoin d'aide, c'est vers nous qu'ils se tournent.

«Lorsqu'un jeune m'appelle de Montréal, je n'interviens pas dans les questions de système de jeu. Mais je lui rappelle ce qu'il a appris ici.

Avant même que Desharnais n'ait sauté sur la patinoire en ce lundi matin, Boucher sait donc dans quelle disposition il se trouve.

Il lui demande de prendre la parole devant ses coéquipiers, avant l'entraînement, afin de partager son expérience.

«J'ai dit aux gars que de jouer sept ou huit minutes face aux Penguins de Pittsburgh, c'était comme jouer 20 minutes ici, et que l'on avait intérêt à s'habituer à faire de courtes présences pour rester efficaces», racontera Desharnais par la suite.

«Il y a beaucoup d'émotion et de stress, dit aussi le petit centre à ses coéquipiers. On donne un extra auquel on n'est pas habitué, et l'adrénaline finit par entrer en ligne de compte.»

Les joueurs des Bulldogs sautent ensuite sur la glace. Les exercices ont été conçus à la lumière des deux défaites du week-end, deux matchs perdus avec seulement cinq défenseurs et 16 patineurs en uniforme.

«Ça va être une semaine de récupération», annonce Boucher à ses adjoints.

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Dire que Guy Boucher favorise le dialogue est un euphémisme. À ses yeux, quatre jours sans parler à un joueur, c'est long. Très long.

«Avec moi, tout commence par l'individu, et non par le collectif. Car quand la personne s'améliore, l'équipe s'améliore.»

C'est le credo de base de Boucher et il le répète à qui veut l'entendre.

«Je travaille beaucoup sur l'enthousiasme, ajoute-t-il. Travailler fort sans enthousiasme, ça devient une corvée. Travailler fort avec enthousiasme, cela devient une culture.»

Boucher possède une maîtrise en psychologie sportive et sa gestion de l'équipe en est imprégnée.

«Quand on est un ancien joueur, le respect est plus facile à aller chercher», concède Boucher, dont la carrière a pris fin abruptement alors qu'il jouait pour les Redmen de McGill.

«Par contre, si on n'a pas les outils pédagogiques pour faire passer notre message, on va perdre notre crédibilité.

«On a tous besoin de gens autour de nous pour combler nos lacunes, ajoute-t-il. Je me concentre sur ce que je fais de mieux. Pour le reste, je fais confiance à meilleur que moi.»

À ce niveau-là, Daniel Lacroix, un ancien défenseur de la LNH, apporte un bagage différent et complémentaire.

Très discipliné dans son travail, Lacroix est habile à lire le langage corporel de ses joueurs. Il a l'humour pour détendre l'atmosphère quand la situation le demande.

Lacroix s'occupe des défenseurs et Boucher des attaquants.

Martin Raymond, lui, n'a pas à gérer le banc des joueurs durant les matchs. Il a donc le recul nécessaire pour donner un bon «feedback» aux joueurs.

«J'essaie de simplifier ce que Guy détaille de façon souvent plus complexe, explique l'ancien entraîneur des Redmen.

«Et en ce qui concerne la discipline, j'aime mieux être le bon cop, celui que les joueurs seront à l'aise de venir voir.»

Sans être tyrannique, Boucher assume pleinement le rôle de bad cop. Et il ne manquera pas de le rappeler lorsque les choses ne vont pas à son goût durant l'entraînement.

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Dans un coin de la patinoire, trois joueurs font des pompes après avoir mal exécuté un exercice. Combien d'autres entraîneurs, dans le hockey professionnel, survivent de nos jours avec de telles méthodes?

Boucher fait mieux que survivre.

En début de saison, il a expliqué clairement à ses joueurs pourquoi il comptait procéder de telle ou telle façon. Il a fallu que ses arguments soient bons pour que non seulement il évite la mutinerie, mais qu'il intègre sa philosophie à la culture de l'équipe...

Ben Maxwell, les poings refermés vers la glace, en redemande et il prolonge volontairement sa série de push-ups.

«Je ne dirais pas qu'il y a eu un choc des cultures, mais son approche n'est clairement pas conventionnelle», admet Alex Henry, le capitaine des Bulldogs.

«Ce n'est pas ce à quoi les vétérans sont habitués et ça prend du temps à nous y familiariser.»

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À entendre la pluie d'éloges qui déferle sur lui depuis le début de la saison, on croirait que Guy Boucher est la plus belle invention depuis le pain tranché.

Mais les gens ont beau le projeter comme prochain entraîneur du Tricolore, l'homme de 38 ans fait la sourde oreille.

«Je ne m'imagine pas dans la Ligue nationale. Mon travail est dans la Ligue américaine. Et dans ce travail, je n'en fais jamais assez. Je suis exigeant à l'égard de moi-même, de mes joueurs et de mon personnel.»

La question qui tue, maintenant: Boucher pourra-t-il garder de telles méthodes s'il fait le saut dans la LNH?

«Cela dépendra des joueurs qu'il aura sous la main, répond Alex Henry. Mais ce qui l'avantage, c'est qu'il définit très bien ce qu'il attend de ses hommes.»

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Boucher met de l'avant l'enthousiasme, la ténacité et la communication.

Il a mis sur pied des façons innovatrices et audacieuses de prendre le pouls de son équipe.

Il a le palmarès, la passion, le souci du détail et la bonne façon de convaincre les joueurs de le suivre.

Mais il n'y a pas de recette Guy Boucher. Du moins, aucune recette qui ne soit à l'épreuve du temps.

«Mes outils de travail sont bien souvent des pesticides, explique-t-il. Ils ont un effet à court terme pour régler un problème qui pourrait très bien muter.

«Après tout, ce qui marchait dans le hockey il y a 10 ans ne fonctionne plus aujourd'hui. Et dans trois ou quatre ans, les choses auront été remodelées à nouveau. Je veux toujours trouver de meilleures méthodes.Je ne m'empêcherai jamais d'oser. Si on s'entête à fonctionner d'une seule manière, on se perd.»

Boucher possède une image résolument avant-gardiste, mais ça ne l'empêche pas de vouloir reprendre contact avec certains aspects plus traditionnels du hockey.

Il regrette entre autres que l'esprit de fraternité soit devenu si dur à créer.

«Aujourd'hui, les jeunes sont plus individualistes. Ça ne veut pas dire qu'ils sont plus égoïstes, mais ils se parlent moins. En autobus, ils ont tous leur ordinateur, leur iPod...

«Parfois, on leur demande de tout ranger afin qu'ils puissent se parler. Qu'ils apprennent à se connaître en dehors d'un contexte de performance.»

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Mardi soir. Les Bulldogs se font rosser par les Stars du Texas. C'est de loin la pire prestation du club-école du Canadien cette saison.

Entre la première et la deuxième période, Boucher sort tout son arsenal pour tenter de réveiller ses troupes. Rien n'y fait.

C'est en plein ce que les entraîneurs des Bulldogs craignaient: le coeur y est, mais les jambes ne suivent pas. On le constate à mesure que les Bulldogs se dirigent vers une défaite de 5-0.

Un confrère de Hamilton, en regardant le piètre spectacle, finit par dire: «En tout cas, ils vont les faire patiner comme des fous demain».

Mais non.

Guy Boucher a le pouls de ses hommes: il n'y aura aucun entraînement dans les 48 prochaines heures.

Puis, David Desharnais inscrira un tour du chapeau, et les Bulldogs remporteront les neuf matchs suivants...