Scénario fictif: le Canadien vient de subir la défaite et il accuse maintenant un retard de 3-2 en finale de la Coupe Stanley. L'attaquant Mike Cammalleri se présente devant les médias et, furieux, fustige l'entraîneur Jacques Martin qu'il qualifie carrément d'incompétent. Pouvez-vous simplement imaginer la controverse que cela susciterait sur la «planète hockey» de Montréal?

Pourtant, cette mise en scène impensable a bel et bien marqué l'histoire centenaire du Canadien. Elle s'est produite au printemps de 1971. Les Glorieux viennent de perdre le cinquième duel de la finale les opposant aux Blackhawks de Chicago. Mécontent d'avoir été laissé sur le banc et des querelles internes qui minent l'équipe, Henri Richard explose et jette son fiel sur l'entraîneur Al MacNeil, arrivé en poste en décembre en remplacement de Claude Ruel.

«C'est un incompétent», lance-t-il à la presse, médusée.

C'est que le frère cadet de Maurice Richard est un athlète réservé, qui ne dit pas un mot plus haut que l'autre.

«Je n'ai pas changé. Je ne parle pas beaucoup», prévient-il encore, de nos jours.

Au lieu d'ébranler les colonnes du temple, la sortie de Richard a rallié les troupes. Le Tricolore a créé l'égalité dans la série à son retour au Forum, avant de retourner vaincre les Blackhawks au vieux Stadium, dans l'ultime rencontre.

Richard a joué un rôle de premier plan, en marquant les buts égalisateur et vainqueur dans la victoire de 3-2.

«J'étais très fâché et j'ai dit des choses que je n'aurais peut-être pas dû dire, admet-il, plus de 38 ans plus tard. J'ai parlé parce que je croyais que c'était nécessaire. Je ne dis pas que c'était correct parce qu'on doit respecter son entraîneur. Mais moi, je voulais simplement jouer au hockey.»

Richard est particulièrement fier de cette 10e conquête de la coupe parce qu'il a prouvé son point dans le match numéro sept.

«J'ai toujours dit à la blague que j'avais sûrement eu raison de dire que MacNeil n'était pas bon parce qu'il n'a jamais été entraîneur de nouveau. J'ai été chanceux parce que la situation a tourné à mon avantage. Elle aurait pu se retourner contre moi. J'aurais pu commettre une erreur qui aurait pu nous faire perdre la série.»

Ce qu'il n'a pas apprécié, c'est qu'on ait personnalisé le conflit pour en faire un à saveur politique entre anglophones et francophones.

«Des journalistes ont récupéré l'affaire parce qu'elle impliquait un entraîneur anglophone.

ECa n'avait rien à voir du tout, et je n'ai pas aimé», affirme-t-il.

Marques indélébiles

Henri Richard a laissé une empreinte indélébile au cours du cinquième de siècle qu'il a passé avec le Canadien, entre 1955 et 1975. Le basketteur Bill Russell, des Celtics de Boston, et lui demeurent à ce jour les athlètes les plus titrés du sport professionnel nord-américain, avec 11 championnats chacun. Partout où il va, on lui parle grandement de ses 11 Coupes Stanley.

«Je serai mort et personne ne va battre ça, c'est impossible, avance celui qui affiche une belle forme à l'âge de 73 ans. Je dis ça sans prétention. C'est qu'il y a trop d'équipes, 30. Les bons joueurs sont trop éparpillés.

«J'ai eu la chance de gagner la coupe à mes cinq premières saisons dans la Ligue nationale. Ca commence bien une carrière.»

Les cinq sacres d'affilée, entre 1956 et 1960, sont un autre record qui, croit-il, ne sera pas amélioré, ni même égalé, de sitôt.

Richard ne s'attendait pas de connaître un début de carrière en fanfare, encore moins d'avoir l'occasion de jouer en compagnie de son idole de frère, le «Rocket».

«Je ne croyais pas ça possible, et Maurice non plus, en raison de la différence d'âge de 15 ans, souligne-t-il. Maurice songeait à prendre sa retraite, mais il a décidé de continuer parce qu'il voulait jouer avec moi. J'étais bien content. A chaque conquête de la coupe Stanley, il décidait de rester pour une autre saison. Il s'est retiré après la cinquième.»

Henri a continué de voler de ses propres ailes, ajoutant six autres conquêtes jusqu'à ce qu'une blessure à une cheville le contraigne à abandonner au début de la saison 1974-75.

Crises mémorables

Les premiers souvenirs de hockey de Henri remontent vers l'âge de six ans. Ses parents l'emmenaient souvent voir Maurice jouer au Forum. Quand ils s'avisaient de le laisser à la maison, parce qu'il avait de l'école le lendemain, il piquait des saintes colères.

«Mes soeurs m'ont raconté qu'elles m'enfermaient dans un garde-robe, tellement je braillais pour aller au hockey», raconte-t-il en riant.

Il suivait religieusement les prouesses de l'équipe, particulièrement celles de son frère. Il connaissait tous les joueurs. Il rêvait de jouer avec eux.

A l'âge de 18 ans, dans l'uniforme des Canadiens juniors, il commence à penser que son rêve est réalisable. Mais on le dit trop petit pour s'imposer. Quand il parvient à mériter un poste avec le grand club, l'année suivante, on dit que c'est parce qu'il est le frère de Maurice.

«Des commentaires du genre, ça me passait six pieds par-dessus la tête, affirme celui qu'on surnomme «Pocket Rocket'. Je ne me suis jamais arrêté à ça.»

Henri a été très intimidé à son arrivée au sein de ce groupe de vedettes, en 1955. L'entraîneur Toe Blake a déjà eu cette répartie savoureuse à son endroit, quand on lui a demandé s'il parlait l'anglais: «Je ne sais même pas s'il parle le français!»

«Je me rappellerai toujours de mon premier match avec le Canadien, relate Henri. Toe Blake envoie pour commencer la première ligne, celle de Jean Béliveau, avec Bernard Geoffrion et Bert Olmstead. Geoffrion se fait blesser et on m'embarque à l'aile droite, avec Béliveau et Olmstead. J'allais partout sur la glace parce que j'avais toujours joué au centre. Olmstead m'engueulait, il me disait de rester de mon côté.»

La première conquête de la coupe en 1956, avec Maurice, revêt un cachet particulier pour lui, d'autant qu'il a évolué dans le même trio que son frère, avec Dickie Moore.

D'avoir agi à titre de capitaine de l'équipe vers la fin de sa carrière n'a pas représenté un grand honneur pour lui.

«Ça me laissait indifférent, comme quand on disait que j'étais le frère de Maurice.»

Il aurait aimé que l'abolition de la ligne rouge se fasse à l'époque où il jouait. C'est, selon lui, ce qui a le plus révolutionné le sport au cours des dernières décennies.

«C'est la raison pour laquelle le jeu est si vite. C'est à l'avantage des bons patineurs. Les défenseurs peuvent aussi tenter de longues passes. J'imagine ce qu'aurait pu faire un défenseur de la trempe de Doug Harvey.

«Au lieu de gagner cinq coupes Stanley de suite, on en aurait peut-être gagné 10», glisse-t-il.

Marié à Lise Villiard, sa compagne depuis plus de 50 ans, Richard a eu cinq enfants qui lui ont donné 10 petits-enfants.

Ce qui lui fait dire, à la blague: «Mes enfants n'ont pas été capables d'égaler mon record de coupes!»