Commençons par une petite question: y a-t-il quelque chose de plus agaçant que les fameuses blessures dans le haut du corps? Remarquez, les blessures dans le bas du corps sont agaçantes elles aussi. Dans les deux cas, c'est la même chose: nos joueurs de hockey ont mal quelque part... mais on refuse de nous dire où.

Peut-être doit-on ce genre de cachotteries à Pat Burns, un pionnier dans le domaine. Appelé à se prononcer sur l'état d'un de ses joueurs, Burns, alors coach du CH, avait tout simplement laissé tomber ce classique: «C'est médical, pis ça fait mal.»

 

Des paroles prophétiques. Presque 20 ans plus tard, on est rendu là.

Ainsi, les blessures aux genoux deviennent des blessures dans le bas du corps, les blessures à la tête deviennent des blessures dans le haut du corps. C'est comme ça, et on n'y peut strictement rien.

«Il y a deux ans, les dirigeants de la LNH ont choisi de ne plus forcer les équipes à dévoiler la nature exacte des blessures, m'a expliqué hier Donald Beauchamp, le VP communications chez le Canadien. La LNH a pris cette décision afin de protéger ses joueurs.»

Les équipes sont libres de dévoiler ou non la nature exacte des blessures. C'est leur choix. Sauf qu'à peu près tous les clubs préfèrent ne rien dire. Alors voilà, on est pris avec une épidémie de blessures dans le haut et dans le bas du corps qui rivalise avec l'épidémie de grippe A (H1N1). Dans ce cas-ci, par contre, il n'y a pas de vaccin.

Ce qu'il y a de très évident dans cette affaire, c'est que la LNH ne fait pas confiance à ses joueurs. Autrement dit, si Sidney Crosby est blessé aux genoux, et que tout le monde le sait, alors là, tous les gars de la ligue vont essayer de sortir ce pauvre Sid à grands coups de Sher-Wood dans les jambes. C'est du moins ce que craint la ligue.

«Pourtant, si je sais qu'un gars est blessé aux genoux, je ne vais pas essayer de le sortir, m'a expliqué Paul Mara, hier, avant le départ du Canadien pour Boston. Les joueurs de cette ligue ne sont pas comme ça. Les gars ont de la classe. En même temps, quand on voit les coups qui se donnent depuis le début de la saison, c'est sûr qu'on se demande s'il n'y a pas un manque de respect.»

C'est d'ailleurs un cas flagrant de manque de respect qui est, en partie du moins, à l'origine de cette nouvelle politique du silence. Il y a deux ans, lors d'un match en séries contre les Bruins, Mike Komisarek avait encaissé un solide coup de bâton dans l'abdomen, gracieuseté de Milan Lucic. C'est arrivé alors que tout le monde (incluant Lucic!) savait très bien que Komisarek traînait une blessure à l'abdomen. Parce qu'à l'époque, les clubs du circuit à Gary devaient dévoiler la nature exacte des blessures.

Pendant ce temps, dans la NFL, la politique sur les blessures est claire: tout, absolument tout, doit être dévoilé. Mais alors, si ça marche au football américain, pourquoi ça ne marcherait pas ici?

«C'est sûr que les gars vont essayer d'en prendre avantage, surtout en séries éliminatoires, m'a expliqué Maxim Lapierre. Si je sais que tu es blessé à un poignet, je vais passer mon temps à te frapper juste là, et au septième match, tu ne seras plus capable... C'est comme ça. Ces temps-ci, j'ai une coupure au visage, et les joueurs adverses passent leur temps à mettre leurs gants dans ma face.»

Mike Cammalleri, lui, jure qu'il n'a jamais entendu un seul joueur dire qu'il allait «viser» la blessure d'un autre. «Mais c'est sûr que ça change le match... Si je sais qu'un gars a mal à un poignet, je sais qu'il va jouer différemment, qu'il ne va pas lancer souvent au filet. Alors ça devient un avantage, c'est certain.»

Tout ça est une question de culture. Au football, on dévoile tout, parce qu'on juge qu'il y a assez de respect entre les combattants. Au hockey, on préfère tout cacher, parce qu'on juge qu'il n'y a pas assez de respect.

Finalement, le problème est peut-être plus grave qu'on pense.