Passé à tabac dans une ruelle? Tombé à vélo? Blessé par des éclats de vitre? Qu'est-il réellement arrivé au hockeyeur Jonathan Boutin dans la nuit de vendredi à samedi à Perm, dans l'Oural russe? En attendant la version définitive du gardien de but de 24 ans, qui doit rentrer au Québec dans les prochaines heures, La Presse a cherché à éclaircir les circonstances nébuleuses de l'incident.

En apprenant la nouvelle rapportée par les médias canadiens, le journaliste Dmitri Entsov s'est mis sur les traces de Jonathan Boutin dans Perm. Il voulait comprendre ce qui a bien pu arriver au gardien de but québécois, jusque-là passé presque inaperçu dans cette ville d'un million d'habitants située à 1400 km à l'est de Moscou.

«Je suis allé à l'hôpital où il s'est rendu. Il y avait bien un dossier selon lequel le 30 août, durant la journée, le citoyen canadien Jonathan Boutin était venu par lui-même (sans avoir été transporté en ambulance). Il a dit aux médecins qu'il s'était coupé avec de la vitre. Les médecins ne l'ont pas vraiment cru», a expliqué au bout du fil M. Entsov, qui travaille pour l'édition locale du grand tabloïd russe Komsomolskaïa Pravda.

Blessé par des éclats de vitre: c'est la troisième version différente fournie par le gardien de 24 ans ou ses proches pour expliquer l'incident. Dimanche, son père, Alain Boutin, a raconté à La Presse que son fils avait été «très, très tabassé», ajoutant être «vraiment inquiet» pour sa santé. «Là-bas c'est rough, il y a des gens rough

Le lendemain matin, Alain Boutin niait sa première version sur les ondes de LCN, indiquant que son fils était simplement tombé à vélo.

Selon les médecins cités par Entsov, Boutin n'a pas été gravement blessé lors de l'incident. «Il n'a eu que des contusions et une coupure à l'avant-bras. On lui a fait quelques points de suture, les médecins ne se rappellent plus combien, et il est reparti. Il n'est plus revenu.»

Où habitait-il?

Étrangement, Jonathan Boutin, accompagné à l'hôpital de son agent russe Pavel Smirnov, aurait fourni au personnel une fausse adresse de résidence à Perm. «Je suis allé à cette adresse, mais les gens qui y habitaient m'ont dit qu'ils n'avaient jamais loué de chambre à personne», a expliqué Dmitri Entsov.

Le journaliste s'est ensuite rendu à l'hôtel Motovilikha, un établissement miteux près de l'aréna du Molot-Primakie, où logeaient les joueurs venus pour le camp d'entraînement de ce club de deuxième division.

Deux employés de l'hôtel ont indépendamment confirmé à M. Entsov que Boutin y avait séjourné jusqu'à vendredi dernier, soit jusqu'au jour de l'incident.

«Il y aurait habité deux semaines à ses frais, pour une raison inconnue. Le club ne payait plus ses nuitées depuis qu'il avait été écarté du camp», a expliqué M. Entsov. Le 17 août, Jonathan Boutin a été retranché du camp d'entraînement du Molot-Prikamie avec quatre autres joueurs.

Or, l'agent Pavel Smirnov a assuré hier à La Presse que depuis la fin de sa période d'essai avec le club, Jonathan Boutin logeait à son domicile de Perm. «Il habitait chez moi. Il n'avait pas à payer ni pour la nourriture ni pour rien d'autre», a indiqué en entrevue téléphonique à La Presse hier l'ancien hockeyeur, qui a joué dans quatre équipes de la Ligue de hockey junior majeur du Québec entre 1996 et 1998.

À la recherche d'un contrat

Si Jonathan Boutin est resté si longtemps à Perm malgré son renvoi du Molot-Prikamie, c'est que Pavel Smirnov tentait toujours de le mettre sous contrat ailleurs dans le pays.

«Nous avons parlé avec d'autres équipes, mais dans cette ligue (Vysshaïa Liga), une règle stipule que les gardiens de but étrangers ne peuvent jouer que 50% du temps dans la saison régulière. Donc, même si une équipe était intéressée, elle finissait par nous dire qu'elle ne voulait pas d'un gardien qui ne peut jouer que la moitié du temps», a dit l'agent.

Le président du Molot-Prikamie, Vladimir Smirnov (aucun lien de parenté avec l'agent Pavel Smirnov), a confirmé à La Presse que son équipe n'était plus responsable de Jonathan Boutin depuis le 17 août. Elle a toutefois payé pour son billet aller-retour Montréal-Francfort-Perm et pour la modification de la date de retour.

Le président du Molot-Prikamie a répété que Boutin n'avait «jamais signé de contrat» avec son club. Il n'avait été invité que pour une période d'essai, durant laquelle le club couvrait ses frais.

En entrevue à LCN lundi, Jonathan Boutin avait déjà laissé entendre qu'il cachait certains détails de son histoire. Après avoir affirmé sans grande conviction s'être «planté en bicycle», le jeune gardien a dit: «J'ai lu sur l'internet que je m'étais fait sauter dessus dans une ruelle. Mais disons que j'aurais aimé mieux que tout le monde me pose ces questions-là quand je serai de retour au Québec.»

À sa première entrevue à La Presse dimanche, Alain Boutin avait fait savoir qu'il ne voulait pas trop faire de vagues avec la mésaventure de son fils, tant que celui-ci se trouverait en territoire russe.

Hier, Pavel Smirnov a repris la version de la chute à bicyclette pour expliquer les blessures du jeune homme, originaire de Saint-Joachim-de-Shefford. Lorsque le représentant de La Presse lui a demandé si Jonathan Boutin voulait cacher la vérité en attendant d'être au Québec, l'agent a répondu: «Quand il sera à la maison, il le dira, il me semble, si rien ne change.» Il a aussi invité La Presse à le «rappeler» à ce moment-là.

Dimanche, un porte-parole du ministère des Affaires étrangères a confirmé qu'un Canadien a été agressé à Perm samedi, puis que la victime et sa famille ont finalement refusé l'aide consulaire.

Un porte-parole de la police de Perm, Sergueï Sova, a indiqué à La Presse qu'il n'y avait eu «aucune plainte déposée, ni auprès des autorités médicales ni auprès de la police» de la part de Jonathan Boutin. M. Sova était toutefois bien au courant de l'histoire, alors que les médias russes commençaient à s'y intéresser hier et à le contacter.

Jonathan Boutin s'est envolé de Perm lundi soir. Il est attendu au Québec dans les prochaines heures.