Il est 17h. Les bureaux ferment. C'est l'heure de pointe. Une heure complètement folle à Boston où la circulation met le centre-ville sens dessus dessous.

À la radio, les appels se succèdent au rythme où les avions décollent et posent les roues à l'aéroport Logan. Les auditeurs ont 10 secondes pour répondre à une question.

Combien?

Et on ne parle pas ici du montant exigé par Georges Gillett pour remettre les clefs du vestiaire du Canadien et celles du Centre Bell.

On parle plutôt du nombre de matchs dont les Bruins auront besoin pour éliminer le Canadien.

Pendant les trois-quatre minutes qu'a duré le jeu, les chiffres cinq et six sont revenus le plus souvent. Il y a eu quelques quatre, quelques six, un ou deux sept.

Un auditeur plus insistant a ajouté le chiffre huit à sa prédiction d'une série gagnée en six par ses Bruins.

Pourquoi huit?

«C'est le nombre de points de suture que récolteront les joueurs du Canadien au cours de cette série qui nous permettra enfin de prendre notre revanche», a lancé cet auditeur en mal de victoires avant de réclamer Iron Man à titre de demande spéciale. Un classique de Black Sabbath, histoire de se calmer les nerfs entre des pare-chocs trop rapprochés...

Les Bruins ont tout à perdre

Pas de doute, le Tout-Boston vit au rythme de la série qui opposera les Bruins au Canadien à compter de demain.

«C'est le fun pour tout le monde. La rivalité Montréal-Boston n'a pas son égal dans la LNH. Ottawa-Toronto c'est une chose, mais Boston-Montréal en est une toute autre», a lancé Claude Julien.

Comme les partisans de son équipe, Julien a bien hâte que cette série commence lui aussi. Mais pas question de claironner quoi que ce soit qui pourrait servir à motiver ses adversaires.

Surtout que Claude Julien et les Bruins, contrairement à Bob Gainey et le Canadien, ont tout à perdre dans cette série.

Les Bruins sont champions de l'Association de l'Est.

Tim Thomas et Emmanuel Fernandez ont récolté le trophée Jennings pour la meilleure moyenne de buts alloués. Thomas est un candidat logique au trophée Vézina. Comme Claude Julien et Zdeno Chara le sont pour les trophées Jack Adams et James Norris.

Exception faite de ceux qui croient encore aux fantômes ou aux miracles, tous les observateurs favorisent les Bruins dans cette série.

Tout cela est bien beau, mais ce n'est pas assez pour permettre à Julien de pavoiser.

«Le hockey est un sport qui rend humble et je vais le rester» a simplement dit l'entraîneur franco-ontarien en guise de seul commentaire à l'aube de la 32e série de l'histoire d'amour-haine qui lie le Canadien aux Bruins.

Julien l'anti-vedette

Humilité et Claude Julien vont de pair.

Pas seulement parce qu'il a été congédié avec trois matchs à faire et 102 points à sa fiche, il y a deux ans, au New Jersey.

Mais parce qu'il est comme ça.

C'est dans la Ligue américaine et non dans la Ligue nationale qu'il a fait carrière comme joueur. Une fois ses saisons terminées, Julien grimpaient sur 10, 50, 100 toitures d'autant de maisons de l'est de l'Ontario, qu'il recoiffait avec son père et les autres couvreurs de l'entreprise familiale.

Parce qu'il sait d'où il vient et parce qu'il sait qu'un coup de vent peut l'y retourner, Claude Julien est incapable de jouer à la vedette.

Au lieu de se perdre dans les rêves de victoires, il replonge dans ses expériences passées afin d'y dénicher des détails qui pourraient encore le servir aujourd'hui.

«J'ai appris de toutes mes expériences et notre équipe a appris beaucoup de choses au cours de la saison. Mais ce que je retiens le plus, et je le sais pour l'avoir vécu l'an dernier, c'est que la saison qui vient de se terminer ne compte plus. Je sais que vous aimeriez obtenir de grandes déclarations. Mais le gros de notre travail est de nous assurer que tous les joueurs comprennent bien cela et arrivent au premier match en se disant que rien n'est acquis. Ce sera alors un bon départ et on prendra les victoires une par une. C'est un autre cliché, mais, en même temps, c'est précisément la réalité», a conclu Julien, visiblement satisfait de ne pas en avoir trop dit.