L'ancien directeur général du Canadien, Serge Savard, associera toujours le nom du défenseur Robert Picard à celui de Patrick Roy.

Le 4 novembre 1983, Savard échangeait Picard à son homologue et ami John Ferguson, des Jets de Winnipeg, en retour d'un choix de troisième ronde. Huit mois plus tard, le Canadien repêchait au 51e rang un certain gardien des Bisons de Granby avec ce choix obtenu des Jets...

«Je n'ai pas fait l'échange dans le but d'aller chercher Roy, je ne suis pas un devin tant que ça, mais j'ai toujours aimé accumuler les choix au repêchage», raconte Serge Savard au bout du fil.

«John Ferguson m'a toujours dit par la suite qu'il aurait pris Patrick Roy en troisième ronde s'il avait encore eu ce choix, poursuit Savard. Mais il ne savait pas qui j'allais prendre avec son choix. On l'aimait beaucoup, on aimait sa rapidité, mais on ne voyait évidemment pas à l'époque un futur membre du Temple de la renommée!»

Le repêchage de juin 1984 demeure frais à la mémoire de Serge Savard. La récolte du Canadien cette année-là demeure peut-être la meilleure de l'histoire du hockey.

Savard, son bras droit André Boudrias et les recruteurs du Canadien avaient en effet repêché Petr Svoboda et Shayne Corson en première ronde, Stéphane Richer en deuxième et Patrick Roy en troisième. Les quatre ont disputé plus de 1000 matchs dans la Ligue nationale de hockey.

«Je me rappelle bien cette journée, raconte Savard. Petr Svoboda avait fait défection en Allemagne (à l'époque où le communisme régnait encore dans les pays de l'Est). Il avait fallu des interventions politiques pour le faire venir à Montréal. C'était toute une affaire à ce moment-là. Corson, j'avais fait un échange pour pouvoir le repêcher plus tôt, au huitième rang. Richer, beaucoup de gens nous disaient qu'il ne serait plus disponible en deuxième ronde, mais on a pris le risque.»

Savard et le Canadien ont également pris un risque en attendant jusqu'à la troisième ronde pour repêcher Roy. «Nous l'avions identifié comme notre choix au 51e rang. On aurait pu le prendre en première ronde, mais on a pris le pari d'attendre parce qu'il jouait pour la pire équipe junior. Sa moyenne de buts accordés était mauvaise. Mais il gardait son club dans le match presque la moitié du match. Sauf qu'à un moment donné, il n'en pouvait plus. C'est pour ça qu'on a pris le risque d'attendre la troisième ronde. S'il avait joué pour une meilleure équipe, il serait parti dans la première ronde. En plus, à l'époque, les gardiens n'étaient pas repêchés aussi tôt, comme aujourd'hui.»

Roy a été le troisième gardien choisi cette année-là. Craig Billington a été le premier, au 23e rang, repêché par les Devils du New Jersey. À la fin de la deuxième ronde, Darryl Raugh a été choisi par Edmonton, au 51e rang.

Le responsable du recrutement du Tricolore à l'époque, André Boudrias, confirme que le choix de Roy faisait l'unanimité en troisième ronde. «Tous nos recruteurs aimaient Patrick. Il n'y avait pas beaucoup de soirs où il ne recevait pas 40 tirs. Mais ce qui m'impressionnait, même si c'était rendu 4-0, il ne lâchait pas. Ses statistiques n'étaient pas importantes à nos yeux. On voulait savoir s'il était capable de jouer.»

Serge Savard est surtout heureux d'avoir pu soutirer deux excellents joueurs francophones sous le nez de ses grands rivaux, les Nordiques de Québec, qui eux ont repêché Trevor Stienburg (15e) et Jeff Brown (36e) dans les deux premières rondes.

«Cette année-là, j'ai inter-changé mes choix avec les Blues de St.Louis pour repêcher avant Québec à chaque ronde, dit Savard. Si je n'avais pas fait ça, je suis convaincu qu'ils auraient pris Richer en deuxième ronde. Les Nordiques étaient populaires, et on voulait quand même rester l'équipe du Québec. Tu regardes mes repêchages de 1983 ou de 1984, on a repêché presque tous les joueurs valables du Québec. Quand je suis arrivé en 1983, il n'y avait presque pas de joueurs locaux. En 1986, l'année de la Coupe, on avait neuf joueurs francophones du Québec.»

Savard et Boudrias ont souvent été critiqués pour leurs erreurs avec les choix de première ronde à la fin des années 80 et au début des années 90.

«On s'est trompés souvent en première ronde mais on a eu des maudits bons choix de deuxième ronde et de troisième ronde, répond Savard. Ces choix nous ont permis de gagner la Coupe Stanley en 1986 et en 1993. L'Université de Montréal a fait une étude sur les repêchages des directeurs généraux du Canadien, incluant Sam Pollock et Frank Selke, et c'est moi qui avais terminé en tête.»

Serge Savard sera de la fête demain. «C'est un événement spécial. C'était un incontournable. Patrick a réécrit le livre des records. C'est un gagnant.»