Quand Tiger Woods est monté sur le premier tertre à 13h40, un avion Cessna survolait le ciel avec une bannière insolente. «Tiger, did you mean Booty-ism?» y lisait-on. Il n'a jamais levé les yeux pour regarder.

Personne n'avait besoin de l'avion pour comprendre que la ronde était atypique. Quand Tiger quittait le terrain d'exercice, les «Go Tiger!» fusaient déjà de partout.

 

Deux minutes plus tard, il montait sur le premier tertre, sobrement habillé. Barbe rasée, pantalons foncés, casquette noire et polo aux rayures blafardes. «Mesdames et messieurs, Tiger Woods», clame simplement l'annonceur, sans mentionner ses quatre vestons verts. Tiger sourit, salue la foule et inspire profondément.

Puis en un instant, un vide méditatif apparaît dans ses yeux. Trois demi-élans de pratique, deux waggles et il s'élance. La balle fend l'air avec un parfait crochet de gauche à droite, avant de s'arrêter 290 verges plus loin. «Honnêtement, je me sentais bien avant mon premier coup», assurait-il après sa ronde.

Peut être que Tiger est un de ces êtres qui ont besoin d'un problème à résoudre, d'une lutte à gagner. L'adrénaline ressemble à son deuxième oxygène. Et il en a respiré beaucoup hier.

Le signal d'alarme

Tiger n'avait jamais brisé 70 dans une première ronde à Augusta. Il a attendu le moment où on le sous-estimait le plus pour le faire, avec un impressionnant 68.

C'est au neuvième trou qu'on a compris que quelque chose de spécial se passait. Les officiels s'apprêtaient à émettre une alerte à la tornade. Les brindilles de pin virevoltaient dans les airs, et le vent fouettait des gouttelettes d'eau dans son visage.

À côté, les spectateurs semblaient dubitatifs. Que peut vraiment faire Tiger? Sa balle est sous les arbres, à 207 verges d'un trou niché en haut d'un minuscule plateau.

Tiger ferme alors la face de son fer-5 et cogne un immense crochet de droite à gauche. Il gambade avec cinq petits sauts latéraux pour vérifier si le résultat est à la hauteur de ce que ses doigts ont senti. Oh que oui! Sa balle aboutit à 12 pieds de la coupe. Il cale le roulé pour l'oiselet.

Le numéro un mondial était bel et bien de retour. Avec son aigle au dernier trou, il tombait à trois sous la normale. Soudainement, son nom grimpait au tableau. Il allait y rester.

Ses fers ressemblaient à des dards téléguidés hier. Son 68 aurait facilement pu être un 65. Woods a manqué de peu beaucoup de roulés (oiselets aux 11e, 12e, 16e et 18e, et aigle au 13e). «Les encouragements m'ont permis de garder le moral malgré tout, racontait-il après la ronde. Ça m'aidait vraiment.»

Au cas où certains n'auraient pas voulu son bien, une escouade de sécurité patrouillait le terrain. Quelles instructions vous a-t-on données? demande-t-on à un gardien. «Shoot to kill.»

Il grimace avec satisfaction avant de montrer son arme, une poinçonneuse. La sanction: un trou sur le billet pour un premier commentaire déplacé. Une expulsion pour la deuxième offense.

Tempéré, juste assez

Tiger devait stabiliser ses humeurs. Moins colérique, et moins exubérant aussi, annonçait-il.

Pas trop, heureusement. Même s'il n'était pas volcanique, le feu bouillait encore en lui. Au 14e, il échappait son bâton après une approche tirée, et au 16e, il tombait à genoux après un roulé raté.

Le vieux Tiger aurait-il réagi différemment? «C'était un mauvais coup», répondait-il en détournant la question.

Ses fans peuvent se rassurer. Tiger ne portera pas un polo rose le dimanche. Non, il ne s'est pas transformé en philosophe du bonheur, heureux d'être content d'humer les fleurs.

Après sa ronde, il ressemblait au vieux Tiger. Celui au regard comme une mire de fusil, qui répond avec une concision militaire.

Dans le contexte que l'on connaît, que signifie sa bonne ronde? «Elle signifie que je suis à deux coups de la tête.» Rien de plus? «Je suis ici pour jouer un tournoi.»