On l'appelle la «lottery», et elle porte bien son nom. À chaque Tournoi des Maîtres, 16 journalistes sont pigés pour le gros lot: une ronde au Augusta National, peut-être le club le plus exclusif au monde. Notre journaliste était l'un des heureux gagnants. Il raconte son expérience survenue lundi.

«Private. Members only», lit-on sur la porte. C'est une salle privée au sein même d'un club privé. Le «Champions Locker Room», le vestiaire des anciens gagnants du Tournoi des Maîtres.

La première chose qui surprend en y entrant, c'est sa petite taille. Il y a juste assez de place pour trois tables en vieux bois couleur noisette, des chaises vertes coussinées, un petit banc rouge et quelques cases. Sur le mur, un présentoir en vitre montre le graal: le veston vert.

Ceux qui l'ont déjà revêtu se partagent les 24 cases du vestiaire. Les morts y côtoient les vivants. Mark O'Meara est avec Gene Sarazen, Tiger Woods est avec Jack Burke fils et Arnold Palmer est seul. Nous sommes lundi, lendemain du Tournoi des Maîtres, et elles sont vidées. Le préposé Maurice nous présente donc la case attribuée à notre quatuor, celle de Larry Mize.

On s'assoie sur le balcon pour lacer nos souliers. Il donne sur Magnolia Lane, l'étroite allée bordée d'arbres centenaires qui sépare le brouhaha urbain de ce petit paradis fermé.

En quittant le vestiaire, on remarque une armoire qui semble en ébène. Une ligne la divise. À gauche, il est écrit «accept». À droite, «reject». Il y a un trou juste en dessous. Quand une nouvelle candidature est proposée au club, un membre peut, dit-on, déposer une bille noire. Cela suffirait pour bloquer un indésirable. Non, on ne rejouera probablement jamais ici.

Rob, sage cadet

Rob Kiser nous attend dehors. C'est notre cadet, un roux trapu de 55 ans à la peau usée par le soleil. Il sourit calmement, avec sa jaquette blanche et ses grosses lunettes à la vieille monture carrée. Il y a «1000 ans et 200 livres», Rob était un arrêt-court convoité par les Expos. Il a finalement été retranché au camp d'entraînement de Jacksonville, en 1973.

Il grimace de plaisir en levant notre tout petit sac, loué en catastrophe le matin même dans un club voisin (le National ne prête pas de bâtons). «Certains membres ont des sacs tellement gros, on dirait qu'ils transportent leurs ex-femmes ou la dépouille de Jimmy Hoffa», chuchote-t-il.

La question que tous se posent: combien jouerais-je au Tournoi des Maîtres? Beaucoup... Difficile toutefois de répondre plus précisément. Pour ne pas retarder le jeu, le club nous demande d'utiliser les tertres avancés, ceux des membres. La différence est immense - 6365 verges au lieu de 7435 verges. En plus, les verts n'ont pas été roulés. Ils demeurent quand même à environ 12 sur l'échelle Stimpmeter. Ça suffit pour donner le vertige.

Surtout que les fanions n'ont pas été déplacés depuis dimanche. Ce sont les mêmes qui ont causé les trois roulés de Tiger au 14e ou de Westwood au 9e. Faut y jouer pour le constater: le comité du terrain était sadique.

Les verts des 3e et 4e trous sont des brutes. Idem pour l'ensemble du 7e trou. L'allée y est mince comme une mannequin, et le vert n'est pas très profond et il intimide. Surélevé, encerclé de profonds cratères de sable blanc et ondulé comme si on avait enterré en dessous une petite famille d'éléphants.

Et on n'a pas parlé du vent. Il souffle, tournoie, se calme puis réapparaît sans avertissement pour agiter à nouveau les pins majestueux. Au 12e, ça devient un casse-tête. Le drapeau est placé complètement à droite. Pendant qu'on plante notre té, Rob tente de nous assagir: «Boss, fais pas comme Couples, vise 30 pieds à gauche». La cible est aussi grande qu'un toit de camionnette. Insouciant, on la vise quand même. La balle monte dans les airs et reste suspendue quelques secondes. Mauvais signe. Ploutch!

Ce ne sera pas la seule erreur de notre carte- 81 - qui inclut deux verts de trois roulés et un autre de quatre et un oiselet, au 15e trou.

Génie architectural

À l'Omnium des États-Unis, les parcours sont barbares. Leur défense reste toujours la même. Laisser pousser l'herbe longue, la densifier et assécher les verts. Les pros doivent frapper machinalement des flèches longues et hautes en espérant d'éviter le pire.

Rien à voir avec les nuances du National. Son architecture est géniale. Sur chaque trou, il faut réfléchir, prendre une décision. Il invite autant aux prouesses qu'aux catastrophes.

Au 13e trou, une normale 5, on peut frapper un bois 1 du tertre. Mais il faut courber son coup vers la gauche. On a échoué. Notre balle aboutit là où était celle de Mickelson la veille. Comme lui, quelque 210 verges nous séparent du vert. Cette fois, il n'y aura pas de miracle. Contentons-nous de dire qu'il est très difficile de garder l'équilibre et de faire un bon contact dans les brindilles de pin. Le reste est personnel.

Ce n'est pas grave. Les centaines d'azalées fleurissent enfin, l'eau brille dans le ruisseau Rae et on rêvasse en admirant toutes les essences d'arbres et leurs teintes de vert jauni, pomme, bruni, olive et grisâtre. On voudrait aller s'y perdre et ne plus bouger. Mais notre temps est compté.

Après la ronde, on nous accorde encore quelques minutes dans le vestiaire des champions. Il ne reste que des Cherry Coke, des Ginger Ale et quelques mini-sandwiches emballés sous pression, au beurre d'arachide et confiture. Ce lunch prolétaire satisfait. Et il prépare au retour à la réalité, qui s'annonce difficile.