Dans le monde du golf, personne n'osait trop critiquer les frasques de Tiger Woods. Personne sauf Billy Payne, président du club Augusta National.

La petite société obéit à sa propre Bible, la vision de ses pères fondateurs, Clifford Roberts et Bobby Jones. Une vision ambigüe, à la fois morale et rédhibitoire. Voici un portrait éclair de ce club dirigé par des gens têtus et secrets, qui visent l'excellence mais amassent les contradictions.

 

L'alliance

Bizarre duo que Roberts et Jones. Le premier était un puissant financier de New York, à la tête de la Reynolds Corporation. Austère, inflexible, et bourru.

Le second était le plus grand golfeur de sa génération. Un charismatique homme du Sud au visage doux et arrondi, qui aimait le bourbon et la littérature.

Jones et Roberts. La parfaite alliance entre l'argent et le golf. Ils engagent l'architecte anglais Alistair Mackenzie pour concevoir un parcours inspiré par le vénérable Old Course de St. Andrews. En pleine Grande Dépression, il faudra seulement 78 jours de travail pour le construire, raconte Curt Sampson dans son ouvrage Golf, Money and Power in Augusta*.

Parmi les 80 membres inauguraux du National, 60 venaient de New York. En 1933, ils effectuent le long voyage en train, agrémenté par du whisky de contrebande, pour visiter leur nouveau sanctuaire.

Le pouvoir du club s'est rapidement concentré dans son noyau. Roberts et Jones décideront tout ensemble.

À sa première édition en 1934, l'entrée était gratuite. L'alcool aussi, même pour le public. Mais les pros ne jubilaient pas. Plusieurs se plaignaient du parcours, conçu pour un haut crochet de droite à gauche. C'était la trajectoire de Jones...

 

Le contrôle

Clifford Roberts était un homme peu croyant. Malthusien aussi. Selon lui, la planète était surpeuplée. On raconte qu'il a refusé un membre, sous prétexte qu'il était «assez idiot» pour avoir cinq enfants. Un organisme occupait une place de choix dans son testament : le Planed Parenthood, consacré au contrôle des naissances.

Le financier cultivait les amitiés utiles. Son plus célèbre ami et peut être aussi le plus proche était le Dwight Eisenhower.

Roberts recrute ce héros de guerre dans son club. Des membres d'Augusta convainquent l'ancien général de se présenter sous la bannière républicaine. Grâce à leur aide, il gagnera.

Le lendemain de son élection, Eisenhower prend l'avion. Direction : Augusta National. Une maison lui sera construite sur le terrain en 1953. Roberts se rend aussi lui-même souvent à la Maison-Blanche pour voir son ami. Il y aurait séjourné plus de 120 nuits durant le mandat Mais Roberts ne s'agenouillait pas pour le leader du monde libre.

L'histoire est célèbre. Exaspéré par le pin taeda à la gauche du 17e trou, Eisenhower demande qu'on le coupe. Roberts s'y opposera. L'arbre s'y trouve encore.

Son obsession de contrôle durera jusqu'à son dernier jour. À l'automne 1977, Roberts a 83, il souffre. Sa fin, il la choisira lui-même. Il se rend à un étang du parcours, vêtu d'un pyjama et un imperméable. Il se tire une balle de .38 dans la tête. À sa demande, ses cendres seront dispersées sur le parcours.

 

Indifférence

Sa vision gouverne encore les lieux. Le National entretient un rapport très aristocrate, presque puritain, avec l'argent.

Jusqu'à 1952, le Tournoi des Maîtres était déficitaire. Aujourd?hui, il est rentable, mais beaucoup moins qu'il ne pourrait l'être. Le club a récemment acheté pour 46 millions $US de terrains afin d'ouvrir un vaste nouveau stationnement au public. Le prix chargé par voiture cette année: 0$.

Avec quatre dollars, on peut encore acheter un sandwich et une bière. Et les commanditaires sont pratiquement invisibles. Les noms sont même effacés des sacs de chips et de bières.

À la télé, les publicités sont encore limitées à quatre minutes par heure.

En plus de limiter ainsi ses profits, le tournoi verse de l'argent à des charités. Ces versements restent habituellement confidentiels.

Mais le National n'a pas toujours été un grand bienfaiteur pour sa communauté. En 1969, le «Los Angeles Times» titrait ainsi un portrait du club : «As White As The Klu Klux Klan».

Il faudra attendre 1975 pour y voir un premier Noir jouer au Tournoi des Maîtres. Et 1991 pour y voir un premier Noir membre.

Les histoires de ségrégation abondent. Un collègue du «Sports Illustrated» nous en raconte une sidérante. En 1986, il demande à payer pour un chandail acheté. Une préposée noire refuse. Il demande pourquoi. «Monsieur, ne me forcez pas à répondre à cette question, s'il vous plaît», dit-elle. La majorité des employés étaient noirs, mais pas les caissiers. Seuls les blancs pouvaient toucher à l'argent.

Les soirées des premiers membres devenaient parfois sinistres. À l'hôtel Bel Air Vanderbilt d'Augusta, ils organisaient des galas de boxe. Ça se terminait en bataille royale : six pugilistes noirs masqués. Le gagnant était le dernier à rester debout. Le soulman James Brown, natif d'Augusta, y a participé. «Je me souviens que je titubais et je frappais dans les airs. Les gens riaient. Moi, je ne savais pas que c'était de l'exploitation, je savais que je gagnais un dollar et que je m'amusais.»

Aujourd'hui, la ségrégation est terminée. Mais le National refuse de reculer sur un autre front. Aucune femme n'a encore été invitée à y devenir membre.

 

 

 

*Sources :

Golf, Money and Power in Augusta, Georgia, Curt Sampson, 1999.

The Making of the Masters, David Owen, 2003.

www.masters.com