Il faudra ajouter le nom de Y. E. Yang aux livres d'histoire du golf. Le Sud-Coréen de 37 ans est devenu hier le premier joueur à rattraper Tiger Woods lors de la ronde finale d'un tournoi majeur, et aussi le premier Asiatique à gagner un majeur.

Le 18e trou du Hazeltine National ressemblait à un univers parallèle hier. Contre toute attente, les rôles venaient de s'inverser. Tiger Woods regardait le sol, un rictus incrédule au visage, la défaite coincée dans la gorge. Juste à côté, c'était un relatif inconnu qui fendait l'air avec ses poings. Y.E. Yang, 110e rang mondial.

Deux minutes plus tard, Tiger était disparu dans le vestiaire pendant que l'interprète de Yang traduisait la joie du vainqueur. «Ce sera un party un peu fou ce soir», indiquait-il, l'air pantois, lors de la cérémonie de remise de trophée. Les dignitaires regardaient poliment. Ils semblaient attendre de se réveiller, mais le réveil n'est pas venu.

Hier midi, on croyait que le nom de Tiger Woods pouvait déjà être gravé pour la cinquième fois sur le trophée Wanamaker. Après 54 trous, le numéro 1 mondial menait par deux coups. Et il affichait une fiche parfaite de 14 en 14 lorsqu'il occupait cette position.

Ce qui ne devait pas arriver est arrivé au 14e trou. Woods et Yang, qui jouaient ensemble, partageaient la tête à -6. Yang s'est transformé en Tiger, et Tiger s'est transformé en humain. Le Sud-Coréen a calé son coup d'approche pour un aigle. Woods calait ensuite l'oiselet, mais se contentait de poliment lever deux doigts pour la foule. Rien à célébrer.

Pour la première fois du championnat, il venait de perdre la tête. Et Yang n'allait pas le laisser la reprendre.

«J'essaie de contrôler l'art de maîtriser mes émotions, expliquait Yang après sa ronde. À travers mes petites victoires en carrière, j'ai appris à le faire.» Ses nerfs ont flanché une seule fois, avec ses trois roulés au 71e trou. Mais Tiger commettait aussi un bogey. Juste au moment où il devait accomplir un miracle.

Mais le miracle allait survenir 15 minutes plus tard, et Woods en serait la victime.

Avec un trou à jouer, Yang menait par un. Balle dans la première coupe de l'herbe longue, vent frontal, arbre dans sa ligne et, petit détail, la chance de créer la plus grande surprise golfique des dernières décennies.

Sa balle fendait l'air juste au-dessus de l'arbre, avant que le crochet ne la ramène à huit pieds du trou. Échec et mat.

«J'ai fait tout ce que je devais faire pour l'emporter, sauf rentrer la balle dans le trou, confiait Woods après ce revers estomaquant. J'ai simplement raté les roulés qui m'auraient permis de remporter le tournoi.»

Yang qui?

Yang qui? Yong-Eun Yang, Sud-Coréen de 37 ans natif de Jeju-do, vainqueur plus tôt cette année de la Classique Honda. Son premier coup de golf, il l'a frappé à 18 ans quand un ami l'a trainé dans un champ d'exercice. La vie allait le séparer rapidement de son coup de foudre. Plus de 18 mois de service militaire l'attendaient dans la division navale.

Puis il s'est adonné à l'haltérophilie. Et enfin à temps plein au golf. Après cinq victoires sur le circuit japonais, il réussissait finalement à se qualifier pour la PGA américaine en 2007.

Cette année-là, il gagnait l'Omnium HSBC à Shanghai en résistant à une charge de Tiger Woods. Mais Yang et Woods n'étaient pas dans le même duo ce jour-là. Hier, ils disputaient leur première ronde ensemble.

Tiger portait son traditionnel polo rouge, prêt à faire saigner son adversaire. Yang, lui, troquait ses coquets pantalons roses de la veille pour une tenue blanche immaculée.

«Tiger a gagné 70 fois et je n'ai gagné qu'une seule fois. Les chances sont de 70 contre 1, j'imagine. Mais je crois à la chance», confiait-il samedi soir.

La grâce allait le toucher.