Le veston vert reste dans l'hémisphère Sud. Angel Cabrera devient le premier Sud-Américain à gagner le Tournoi des Maîtres.

Angel Cabrera paraît encore incrédule dans son veston vert. Il y a 30 minutes, il réalisait son rêve. Le rêve de tout golfeur. Gagner le Tournoi des Maîtres.

Ses yeux fixent maladroitement ses mains. L'Argentin secoue la tête en souriant. «Comme ça», dit-il en ouvrant les bras pour montrer l'ouverture miniature qu'il visait entre les arbres au 18e. Ridiculement petite. Sa balle heurtait un tronc avant de rebondir par miracle au milieu de l'allée.

C'était lors du premier trou de prolongation contre Kenny Perry et Chad Campbell. Cabrera a finalement sauvé la normale depuis 115 verges. Perry et lui poursuivaient alors la mort subite au 10e trou.

Sa flèche envoyée à 15 pieds du trou lui a assuré la victoire. Un rictus se mêle à son soupir pendant qu'il décrit le coup. Comme s'il ne digérait pas encore sa victoire.

Jeudi matin, malgré son immense talent, peu de gens lui donnaient une chance de gagner. Lui-même ne semblait pas trop y croire. Il avait raté le couperet à ses deux derniers tournois, et glissé au 69e rang mondial. Juste avant le Tournoi des Maîtres, son coach Charlie Epps lui a donc envoyé un cadeau. Un montage vidéo des roulés de sa victoire à l'Omnium des États-Unis de 2007.

Fallait lui remonter le moral. Il est comme cela, Angel Cabrera. Ce n'est pas un technicien ou une machine. Il doute. Il grimace. Il marche gauchement - d'où son surnom «El Pato», le canard. Il est même gêné, assez pour engager un interprète même s'il se débrouille assez bien en anglais.

À 40 verges de lui, on devine ce qu'il pense. Ou du moins on le croit. Au 10e, on pendait qu'il craquait. Que la pression l'accablait plus que les autres. Puis il enchaînait deux oiselets, au 15e et au 16e. «Bien sûr que j'étais nerveux, racontait-il. Je suis humain.»

Porte-bonheur

Avec sa victoire, Cabrera venge son pays pour la gaffe golfique du dernier siècle - l'erreur d'addition qui a coûté le Tournoi des Maîtres à son compatriote Robert Di Vincenzo en 1968. Le malheureux a récemment offert un cadre à Cabrera. «Il y avait un veston vert à l'intérieur. C'était pour me souhaiter bonne chance. Ça a marché», raconte le natif de Cordoba.

Une parade l'y attend probablement, comme celle qui l'avait mené de l'aéroport au centre-ville après sa victoire à Oakmont en 2007.

La victoire de Cabrera à Augusta, c'était aussi celle du gars ordinaire. Immensément talentueux, certes, mais néanmoins ordinaire. Vous vous souvenez de la pub «I am Tiger Woods?» Personne ne peut vraiment se reconnaître en Tiger. Mais plusieurs pourraient se reconnaître en Angel. Ancien cadet issu d'un milieu modeste. Quarante-ans dans quelques mois. Un peu chauve. Un peu gras. Habillé sans trop de style. Ancien fumeur. Regard plus inquiet que glacial. Et pas forcément le chouchou des foules, du moins ici dans le sud des Etats-Unis.

Perry bousille sa chance

Le préféré, c'était Kenny Perry. «C'est probablement ma dernière chance de gagner un majeur», avouait-il samedi soir.

Cette chance, il l'a bousillée. Sa ronde était pourtant bien commencée. Le vétéran de 48 ans a collé son approche à quelques pouces de la coupe au 16e. Le coup du tournoi, croyait-on. Il menait alors par deux avec deux trous à jouer. Puis il a cafouillé. Bogey au 17e, son premier de la journée. Puis un autre au 18e. Et encore un autre au deuxième trou de prolongation. La nuit sera longue.

«J'ai gagné la Classique John Deere l'année dernière en calottant (skullant) deux coups d'approches roulés.» Et je viens de faire la même chose au 17e. C'était horrible. Faut croire que j'ai un tic nerveux dans la main droite lorsque la pression monte.»

Perry pourra se consoler en mai, alors que son père et lui seront les «Grand Marshall» du Kentucky Derby, un titre honorifique. Mais il ne portera pas le veston qu'il voulait.

Hystérie pour Tiger et Mickelson

Relativement peu de spectateurs suivaient Cabrera et Perry dimanche. Ils se concentraient plutôt autour de Tiger Woods et Phil Mickelson.

Le duo a lancé une redoutable charge. Les chiffres rouges s'accumulaient au tableau. Et une foule monstrueuse accourait des quatre coins du parcours pour y assister. «Go Phil !» «Go Tiger !». Les cris fusaient de partout.

Mickelson a joué 30 sur le neuf d'allée. Woods a inscrit un aigle au 8e, puis des oiselets au 13e, 15e et 16e. Vers 17h, un seul coup séparait les éternels rivaux du meneur Kenny Perry.

C'était l'hystérie. Pour un groupe final, Perry et Cabrera jouaient dans l'anonymat. Presque seuls, avec tous ces cris pour les faire réfléchir. Ils s'avaient d'où ils venaient. Et ils savaient ce qu'ils signifiaient. Sans compter les tableaux géants qui le leur rappelait.

«On savait que Tiger et Phil partaient sur une lancée, raconte Cabrera. Ça m'a réveillé. J'ai réalisé que je devais moi aussi inscrire des oiselets.»

La remontée historique de Woods et Mickelson a pris fin au 17e. Bogey pour Tiger. Oiselet de cinq pieds raté par Mickelson. Et bogey pour les deux au 18e. Trop peu, trop tard.