C'est peut-être l'un des plus grands mystères du sport professionnel. Chaque dimanche, la scène est rejouée des dizaines de fois. Peyton Manning s'installe derrière son joueur de centre. Il recule, crie, gesticule, effectue une feinte de remise, gesticule encore, pointe un adversaire du doigt, crie encore un peu... pour finalement prendre le ballon et effectuer sa passe.

Mais qu'est-ce qu'il fait, au juste? Qu'est-ce que Peyton Manning fait comme ça, les bras en l'air, dirigeant ses coéquipiers comme un chef d'orchestre dirige ses musiciens?

La Presse a voulu savoir. Pour y arriver, cinq joueurs des Colts ont été interviewés sur le sujet cette semaine à l'hôtel de l'équipe, à Fort Lauderdale: le joueur de centre Jeff Saturday, les receveurs Reggie Wayne, Dallas Clark et Samuel Giguère, ainsi que le grand manitou lui-même, Peyton Manning.

De tous les joueurs rencontrés par La Presse pour cet article, c'est Manning lui-même qui s'est montré le plus réticent à dévoiler ses secrets.

«Ce que je fais à la ligne de mêlée? Ouais... je ne peux pas trop en parler, a-t-il commencé par dire plus tôt cette semaine. Notre attaque est une attaque sans caucus, alors je décide des jeux à la ligne de mêlée. Mais vous savez, ce qui se passe avant le jeu, ce n'est pas le plus important, selon moi. Le plus important, c'est ce qui survient après la remise du ballon.»

Les Saints de La Nouvelle-Orléans ne sont probablement pas d'accord. Les Saints, qui vont affronter les Colts demain soir à Miami dans le cadre du 44e Super Bowl, font partie des ennemis qui essaient de «décoder» Peyton Manning. De comprendre les signaux, de comprendre ce qu'il fait.

Et ça, ce n'est pas toujours évident. «Certains de ses gestes veulent dire quelque chose, mais parfois, ça ne veut rien dire du tout, d'expliquer le centre Saturday. Tous les matchs sont à la télé, tout le monde peut voir ce qu'on fait, alors on n'a pas le choix. On change nos signaux chaque semaine.»

Le receveur québécois Samuel Giguère, qui a dû apprendre par coeur le système des Colts («ça m'a pris un an avant d'être à l'aise», dit-il), affirme que Manning peut décider de tout à la ligne de mêlée.

«Avec lui, les receveurs doivent toujours être aux aguets, de préciser Giguère. S'il pense qu'un receveur doit modifier son tracé, il va changer le tracé du receveur à la ligne de mêlée. Avec lui, pas le choix, il faut se tenir prêt.»La liste Manning

Selon Saturday, Manning prend place à la ligne de mêlée avec une série d'options bien en tête. «Il voit toujours quelque chose en s'installant. Il a une liste de choses à faire dans sa tête et son but, c'est de nous placer en meilleure position possible pour réussir.»

Une fois Manning bien installé derrière son joueur de centre, c'est là que ça se complique... surtout pour l'autre équipe! C'est alors que débute la «symphonie Manning». Des gestes. Des cris. Des feintes. Tout, absolument tout, est fait dans le but de créer de la confusion, de déstabiliser l'adversaire.

Sur le terrain, c'est Manning qui dicte le tempo. Et l'adversaire n'y peut strictement rien.

«Notre attaque sans caucus ne donne pas beaucoup de temps à la défense pour s'ajuster, fait remarquer Giguère. Quand Peyton s'installe, sa première lecture, c'est la protection. Après ça, il va feindre la remise pour voir comment la défense va réagir. De là, il va décider s'il doit changer la protection ou non. Ensuite, c'est les tracés. S'il voit quelque chose, un tracé qui doit être modifié par exemple, il va faire un signe au receveur. S'il pense que la défense reconnaît nos signaux, il va les modifier avec nous une fois rendu au banc.»

Reggie Wayne avoue que Manning est parfois dur à suivre. «Il fait des ajustements à la dernière seconde, de dire le receveur numéro un des Colts. Il faut toujours être prêts. S'il me voit contre un certain demi défensif et qu'il pense que je vais le battre avec un tracé différent, il va me faire signe. On travaille ces choses-là lors de nos rencontres d'équipe en semaine. Lors des réunions, Peyton nous pose toujours des questions juste pour voir si on est prêts...»

Bien sûr, les joueurs des Colts adorent. La symphonie Manning, tous y participent. Reggie Wayne et Dallas Clark ont chacun franchi le cap des 1000 verges de gains cette saison. Le demi Joseph Addai a fini la saison avec 10 touchés, comme Wayne et Clark. Manning? Avec ses 4500 verges de gains, il s'est offert une dixième saison de plus de 4000 verges. Tout ça en 12 ans de carrière chez les pros.

«C'est plaisant de faire partie de cette attaque, parce qu'il y a tant de possibilités, a laissé savoir Dallas Clark. Si, par exemple, l'autre équipe réussit à ralentir Reggie (Wayne), on sait qu'on a d'autres options.»

Le chef d'orchestre, lui, préfère jouer la carte de l'humilité. Peyton Manning l'a répété maintes fois cette semaine: si son attaque fonctionne aussi bien, c'est parce que les patrons des Colts l'ont toujours placé en bonne position.

«La clé de notre système, c'est la constance, a tenu à préciser le quart des Colts. Tous les entraîneurs de l'équipe sont avec moi depuis le début. Jim (Caldwell, l'entraîneur-chef) est avec l'organisation depuis 2002. La constance, c'est vraiment la clé. Regardez un peu du côté de Washington... Je pense que (le quart) Jason Campbell a connu six coordonnateurs à l'attaque en six saisons. Si j'étais placé dans une telle situation, j'aurais bien du mal, moi aussi!»