Les Bills de Buffalo disputeront demain le premier d'une série de cinq matchs en cinq ans à Toronto. Une initiative qui fait rager les gens de Buffalo, mais aussi un sénateur canadien qui veut empêcher la NFL de s'implanter en permanence au Canada.

Pour bien comprendre l'importance des Bills à Buffalo, il faut aller au Big Tree Inn. Situé à quelques minutes du stade des Bills, le Big Tree Inn est un petit bar entièrement dédié à la cause des Bills. Il y a une statue en bois de l'ancien quart Jim Kelly à l'entrée. À l'intérieur, les photos, trophées et chandails qui sont accrochés un peu partout nous rappellent que par ici, le sujet de conversation numéro un, c'est les Bills.

 

Dan Demarco est le propriétaire du Big Tree Inn depuis 28 ans. Il ne veut même pas penser à la possibilité d'un futur sans ses Bills. «La ville va déjà assez mal comme ça, je n'ose pas imaginer ce que ce serait sans notre équipe», soupire l'homme de 52 ans.

Buffalo sans les Bills? Plus que jamais, le scénario est réaliste. Demain, les Bills de Buffalo vont accueillir les Dolphins de Miami. Le hic, c'est qu'ils ne vont pas recevoir les Dolphins à Buffalo, mais bien à Toronto, sous le toit du Rogers Center. Il s'agira du premier match de saison régulière de la NFL à être présenté au Canada.

Pour les fans comme Dan Demarco, l'ennui, c'est que le match de demain ne sera pas qu'une petite balade d'un jour. En fait, les Bills vont disputer quatre autres matchs de saison régulière à Toronto, à raison d'un par saison jusqu'en 2012.

Ça, c'est pour le futur immédiat. C'est la suite qui est plus compliquée. La NFL affirme que les matchs des Bills à Toronto font partie d'une stratégie globale visant à propager la bonne nouvelle du football américain à l'extérieur des États-Unis des matchs de saison régulière ont déjà été présentés à Mexico et à Londres. Les Bills, le propriétaire Ralph Wilson en tête, affirment que les matchs à Toronto vont simplement permettre de renflouer les coffres.

Mais les fans ont leurs doutes.

«Je crois qu'ils veulent vraiment déménager l'équipe à Toronto, ajoute Dan Demarco. Mais je ne pense pas que ça va arriver. Pourquoi ils partiraient? Tous les billets sont vendus ici. Imaginez: les Bills sont mauvais, et tous les billets sont vendus quand même! Ça montre à quel point ils sont populaires à Buffalo.»

Populaires, oui. Mais rentables? Là est la question. Les Bills jouent dans un vieux stade construit en 1973, le Ralph Wilson Stadium, qui ne comprend pas les loges lucratives que l'on retrouve à Washington, à Chicago où à Houston. D'où les détours à Toronto; pour «emprunter» les Bills, le géant torontois Rogers Communications a accepté de verser 78 millions de dollars US au propriétaire Ralph Wilson. C'est presque quatre millions de plus par match que les profits normalement réalisés par Wilson à Buffalo.

La nouvelle a été accueillie plutôt tièdement à Toronto. C'est que les Bills coûtent cher, et au bout du compte, ce sont les fans qui vont devoir payer pour ce luxe. Le prix moyen d'un billet pour le match de demain au Rogers Center se chiffre à environ 200$CAN. C'est beaucoup plus que le prix moyen d'un billet à Buffalo (51,24$US), et plus aussi que le prix moyen d'un billet en Nouvelle-Angleterre (117,84$US), là où les Patriots sont pourtant les plus gourmands de toute la NFL, selon le Team Marketing Report.

Il n'y a pas que la question du fric qui fait tiquer à Toronto. Pour certains observateurs, les Bills au Canada, c'est aussi une menace. Une menace à la santé du football canadien.

C'est du moins ce que prétend le sénateur Larry Campbell, qui entend déposer un projet de loi pour empêcher la NFL de s'établir à Toronto.

«La Ligue canadienne de football est une ligue importante pour des millions de Canadiens, elle est une institution nationale, a affirmé M. Campbell lors d'une entrevue téléphonique cette semaine. Si la NFL s'établit à Toronto, ça va sonner le glas pour une tradition centenaire au pays, pour une ligue qui emploie des milliers de gens.»

Le sénateur ne comprend pas pourquoi la NFL flirte avec le marché torontois. «De toute façon, la NFL au Canada, c'est un projet qui ne serait pas rentable, ajoute-t-il. Les Bills vont faire de l'argent avec les matchs de saison régulière à Toronto parce que Rogers a payé pour obtenir les droits. La vérité, c'est que le Rogers Center est trop petit pour la NFL. Alors, ils vont faire quoi? Ils vont demander au public de leur bâtir un nouveau stade!»

Il y a aussi ce léger détail: en milieu de semaine, il restait encore 3000 billets à vendre pour la rencontre de demain. On prévoit maintenant un match à guichets fermés (environ 53 000 spectateurs), mais le sénateur Campbell a des doutes sur ces statistiques.

«Bien sûr que ça va être à guichets fermés, Rogers a donné tellement de billets! lance-t-il. Je ne peux vous dire combien, mais je sais qu'ils ont donné des tas de billets. Tout le monde s'est fait offrir un billet pour ce match. Vous savez, les Canadiens ne sont pas habitués à devoir payer 200$ pour un match de football. Si les gens de Toronto veulent vraiment voir du football de la NFL, qu'ils aillent à Buffalo! C'est 90 minutes en voiture. Ce n'est pas la fin du monde.»

À Buffalo en tout cas, le compte à rebours est commencé. Le propriétaire Ralph Wilson n'est pas éternel, et à 90 ans, les interrogations sur son état de santé sont source d'inquiétude. Que va-t-il arriver si le proprio n'est plus capable de s'occuper de ses Bills? C'est la question à mille dollars par ici.

L'ancienne gloire des Bills, le quart Jim Kelly, a laissé savoir cette semaine à Toronto qu'il allait être aux aguets. Kelly est à la tête d'un groupe qui compte garder les Bills à Buffalo.

«Pour être honnête avec vous, je ne pense pas que l'équipe va déménager, a déclaré Kelly cette semaine. Quant à moi, l'équipe va rester où elle est, à Buffalo.»

Partiront, partiront pas? Les joueurs des Bills, eux, ne s'en font pas trop avec ces questions.

«On n'a aucun contrôle là-dessus, a commenté le receveur vedette Lee Evans. Je comprends nos fans; j'ai grandi à Cleveland, et quand les Browns sont partis au milieu des années 1990, j'étais sous le choc. Mais là, il n'y a rien qu'on peut faire.»