Novembre 1970. Dans la grisaille de cet automne de crise, les nouveaux Alouettes s'avèrent l'une des rares sources de plaisir pour les Montréalais qui ont hâte que l'hiver commence... et que «ça» finisse.

L'équipe que Rocky Brisebois de CJMS appelle «les Zoizeaux» n'a perdu qu'un match à l'Autostade mais a quand même fini au troisième rang du Big Four. Qu'à cela ne tienne! Les Alouettes (7-6-1) sont en séries! Victoire à Toronto en demi-finale de l'Est puis en finale contre Hamilton: les Alouettes joueront à la Coupe Grey pour la première fois depuis 1956. Cette année-là, menés par le quart-arrière Sam Etcheverry, recordman du football canadien et enfant chéri des Montréalais, les Alouettes avaient subi une troisième défaite de suite à la Coupe Grey, les trois contre les Eskimos d'Edmonton. Le «Rifle» retourne donc à la finale mais comme entraîneur...

«Nous étions jeunes, et Sam avait réussi à nous faire croire en nous-mêmes», nous racontait cette semaine Peter Dalla Riva, triple vainqueur de la Coupe Grey, en évoquant le nouvel esprit de cette équipe qui avait remporté un grand total de sept victoires au cours des trois saisons précédentes, sous Kay Dalton. Dans leurs nouveaux uniformes vert, rouge et blanc - les couleurs de l'Italie, tout pour plaire à un enfant de Trévise -, les Alouettes s'en allaient à Toronto pour affronter les Stampeders de Calgary, la même équipe qu'ils avaient battue à leur première victoire en finale, en 1949.

En ce samedi 28 novembre, le terrain du stade de l'Exposition nationale était dans une condition déplorable, se souvient l'ancien quart étoile des Alouettes, Sonny Wade, que La Presse a joint dans sa Virginie natale. «Avant une mise en jeu où je devais courir, j'avais replacé un morceau de tourbe sur lequel j'avais peur de trébucher. C'était terrible!»

Le match commence mal pour les Alouettes. Bob Storey, le fils de l'ancien arbitre de la LNH Red Storey, échappe le ballon sur un retour de botté et Calgary marque tout de suite un touché. Cinq minutes plus tard, les 32 000 spectateurs du CNE Stadium sont témoins de l'un des jeux les plus spectaculaires de l'histoire de la Coupe Grey. Sonny Wade l'a suivi de près: «Nous étions près des buts des Stampeders, troisième essai et une. J'ai remis à Moses Denson qu'un adversaire a tout de suite attrapé à la cheville. Mais Moses a vu Ted Alflen seul dans la zone des buts et a décidé de lui lancer le ballon. Touché!»

George Springate rate le converti... Politiquement incorrect! Le printemps précédent, George Springate s'était fait élire à l'Assemblée nationale avec les libéraux de Robert Bourassa. «Pour combattre les séparatistes», avait alors déclaré l'ancien de McGill. Comme tous les députés québécois, cet automne-là, Springate était protégé par des gardes du corps. Même à Toronto sur les lignes de côté, se rappelle Peter Dalla Riva, peu touché personnellement par les événements: «L'arrivée de l'armée, en octobre, avait été un choc mais après quelques semaines, les soldats faisaient partie du décor.»

À la mi-temps, les Alouettes mènent 9-7 après un placement du député de Sainte-Anne. La deuxième demie sera toute montréalaise. La défense - Judges, Smear, Phaneuf, Code, Gaines, Larry Fairholm le capitaine - ne donne qu'un placement à l'attaque de Calgary, menée par Jerry Keeling au quart. Le placide Sonny Wade, lui, continue de découper la défense ennemie, pièce par pièce: touché de Tom Pullen sur une course de 7 verges puis, au 4e quart, touché de Gary Lefebvre sur une passe de 10 verges de Sonny Wade: 23-10 Alouettes qui remportent leur deuxième Coupe Grey, 21 ans après la première.

Wade, le quart des grandes occasions, sera choisi joueur du match comme encore en 1974 et en 1977. «Mon plus beau souvenir reste la Coupe Grey de 1970. C'était ma première, nous étions jeunes et nous avions du plaisir à jouer ensemble.»

Vingt ans après, le bloqueur Pierre Desjardins, le capitaine de l'attaque - Ceppetelli, Canale, George, Evanshen, Van Ness -, avait raconté à notre ami Robert Duguay s'être senti «comme Napoléon» en retournant sur le terrain dévasté, quelques heures après la victoire. Mais les vainqueurs ne savaient pas encore ce qui les attendait à Montréal. «Quand nous sommes arrivés à Dorval, le dimanche, il y avait du monde partout dans l'aérogare et autour», se souvient Peter Dalla Riva.

Le lundi 30 novembre 1970, plus de 200 000 personnes acclament les nouveaux champions au centre-ville. À cause des événements, même le père Noël n'avait pas eu la permission de défiler, rue Sainte-Catherine. Sonny Wade était dans la première décapotable, avec l'autre héros du jour, Sam Etcheverry, décédé en 2009.

«Nous étions sur un nuage. Les gens souriaient... On sentait que cette victoire allait les aider, aider Montréal et le Québec tout entier, à retrouver une vie normale.»

Le jeudi suivant, 3 décembre, le FLQ a libéré l'attaché britannique James Cross et ses ravisseurs se sont envolés vers Cuba. Peter Dalla Riva, lui, s'est marié le samedi 5 décembre et il célébrera cette semaine deux 40es anniversaires.