Patrick Boivin et Kavis Reed n'ont pas tenté de se défiler au moment de faire le bilan de l'horrible saison que viennent de connaître les Alouettes de Montréal: ils se sont trompés et n'ont pas adopté la bonne stratégie quand ils ont été nommés en poste il y a 10 mois.

« Il est clair, pour Kavis et moi, que nous aurions dû commencer la refonte de notre formation quand nous avons été nommés en poste», a d'ailleurs souligné d'entrée de jeu le président Boivin.

«Je ne pense pas que c'était tant une question de «timing» que l'objectif que nous avions pour la saison», a plus tard précisé celui qui a succédé à Mark Weightman, le 14 décembre dernier.

Le plan de Boivin et Reed était de faire l'acquisition de quelques vétérans sur le marché des joueurs autonomes afin d'offrir aux partisans «un match éliminatoire à domicile».

«On a abordé ça en tentant de faire un pont entre les 20 dernières années des Alouettes et notre nouvelle ère, note page blanche à nous, a expliqué Boivin. Le concept, la vision était vraiment de faire un pas (en avant) sans trop brusquer, étant donné les deux dernières saisons sans éliminatoires. Avec le recul, possiblement que nous aurions dû y aller dès le départ avec une approche basée sur le développement. Mais on jugeait que c'était trop brusqué de le faire à ce moment-là.»

Ce plan leur a explosé au visage quand leurs deux principales prises, le quart-arrière Darian Durant et le receveur Ernest Jackson, ont offert des performances bien en deçà des attentes. Le retour avec l'équipe de ces deux joueurs fera d'ailleurs l'objet d'une réévaluation au cours de la saison morte.

«Tout comme Darian, Ernest a été une déception cette saison, a affirmé Reed. Encore une fois, une grande part du blâme me revient, notamment sur la façon dont il a été utilisé en début de saison. Quand vous embauchez des joueurs autonomes, vous regardez où ils ont été utilisés et de quelle façon ils ont connu du succès. Je ne crois pas que nous ayons placé Ernest en position de connaître du succès à son arrivée chez nous. Parfois, ça peut affecter un athlète.»

Boivin et son directeur général ont fait leur mea culpa samedi, au lendemain d'une humiliante défaite de 33-0 aux mains des Tiger-Cats de Hamilton, leur 11e d'affilée. Cela faisait plus de 20 ans que les Alouettes n'avaient pas été blanchis. Leur fiche de 3-15, ainsi que leur série de revers, constituent autant de nouvelles marques de médiocrité dans l'histoire du club.

«Je prends le blâme pour cette saison», a répété Reed.

Malgré leur mauvais dossier et un club vieillissant, les deux dirigeants refusent toutefois de parler de reconstruction.

«Le terme reconstruction signifie repartir de zéro, a indiqué le président. Kavis vient de le dire: nous avons plusieurs éléments sur lesquels nous pouvons bâtir. Pour nous, c'est davantage de développer une équipe que de reconstruire ou dynamiter ce qui est déjà en place. Il y a déjà plusieurs bons éléments en place. Il ne suffit que de bâtir là-dessus et de regarder vers l'avant.»

Reed estime aussi que la formation montréalaise compte sur de bons éléments qui pourront servir de fondation à son plan. Le directeur général a toutefois refusé de nommer qui que ce soit quand on lui a demandé d'identifier ce noyau «de qualité».

«Comme pour toutes les bonnes équipes, ça commence dans les tranchées. On a dit beaucoup de choses sur notre ligne à l'attaque. Je crois que lorsqu'elle est en santé, notre ligne vient dans le premier tiers du circuit, a illustré Reed. Nous devons bien sûr nous améliorer et des blessures peuvent survenir. Mais nous avons beaucoup de pièces en place. Le plan était de réorganiser une défensive vieillissante, de rebâtir notre tertiaire tout en marquant des points, afin d'être en mesure de le faire. Vous ne serez pas capable d'y aller d'une reconstruction sur tous les plans, alors vous devez choisir où vous allez le faire.

«Quand je regarde notre talent offensif, je crois sincèrement que nous disposons d'éléments clés. Pour diverses raisons, nous n'avons pas été capables de répondre aux attentes. C'est pourquoi nous devons évaluer en profondeur notre campagne. Nous devons nous assurer de consolider nos fondations. Nous avons suffisamment d'éléments clés pour nous permettre d'aller de l'avant.»

Les deux hommes ont également affirmé que la décision de congédier Jacques Chapdelaine et Noel Thorpe était toujours la bonne et que s'ils ne l'avaient pas prise en cours de saison, ils auraient fort probablement été remerciés à la conclusion des activités.

Quant au nouvel entraîneur-chef, Reed espère l'avoir embauché d'ici la mi-décembre. C'est ce dernier qui choisira ses adjoints. La direction des Alouettes a d'ailleurs indiqué à tout le personnel d'entraîneurs de l'équipe que s'ils recevaient une offre d'une autre organisation, elle ne leur mettrait pas de bâton dans les roues.

«Nous allons choisir quelqu'un qui cadrera bien dans la philosophie de l'équipe, qui comprendra le plan que nous voulons mettre en place et qui sera en mesure de rallier les joueurs derrière lui», a dit Reed.

Le sort d'Anthony Calvillo demeure incertain. L'entraîneur des quarts, qui a appelé les jeux en attaque à la suite du congédiement de Chapdelaine, a déclaré la semaine dernière qu'il ne s'amusait pas dans son rôle d'entraîneur depuis trois ans, mais Reed était incapable de dire si l'ex-quart vedette allait quitter le nid.

Le plan

Le directeur général Kavis Reed a parlé d'un plan en sept étapes pour relancer les Alouettes. Les voici:

• 1- Continuer de développer et d'établir une infrastructure qui nous permettra d'offrir à nos joueurs et notre personnel un environnement et une expérience de première qualité de façon à promouvoir la rétention;

• 2- Rassembler un personnel d'entraîneurs fort et diversifié qui nous permettra de maximiser le potentiel de nos joueurs;

• 3- Utiliser le repêchage pour bâtir et maintenir un groupe de joueurs canadiens de qualité;

• 4- S'assurer d'avoir plus d'un joueur du même type à chaque position, afin que nous n'ayons pas à adapter nos stratégies pour nos joueurs de profondeur en cas de blessures;

• 5- Bâtir une équipe avec un caractère fort, qui offre de bonnes performances de façon constante;

• 6- Utiliser le marché des joueurs autonomes afin d'ajouter des effectifs à notre formation, au lieu de tenter de bâtir avec des joueurs autonomes, comme nous avons tenté de le faire en 2017;

• 7- Continuer la relation établie en 2017 avec les clubs universitaires, collégiaux et secondaires afin de solidifier notre position de leader dans le football au Québec.

Le quart Darian Durant reconnaît aussi ses torts

À l'instar de la haute direction de l'équipe, le quart Darian Durant a fait son mea culpa. Le vétéran, acquis sur le marché des joueurs autonomes, sait très bien qu'il n'a pas livré la marchandise.

«J'ai eu une mauvaise saison, a-t-il dit sans détour. Je me suis imposé beaucoup de pression. Je voulais tellement changer la culture, les habitudes de défaites ici. Les choses sont rapidement devenues hors de mon contrôle. Je dois demeurer calme, m'assurer de ne pas en faire trop et ne pas trop me mettre de pression. Je ne peux pas gagner tout seul, je dois me le rappeler. J'ai trop souvent tenté d'en faire trop cette saison. (...) C'est la plus difficile saison de ma carrière.»

Comme ses coéquipiers, il croit que l'équipe a les éléments pour connaître du succès.

«Je ne peux parler que pour l'attaque, mais en début de saison, nous sommes allés chercher de grosses victoires, nous amassions beaucoup de verges, alors je crois que le noyau est en place. Bien sûr nous avons besoin de renforts - dans les trois phases de jeu -, mais je pense que le noyau est là. Nous avons de grands leaders. La seule chose à faire est d'afficher de la constance, à commencer par moi. Quand votre quart joue mal, souvent, vous allez perdre.»

Restera maintenant à voir si la direction des Alouettes souhaite y aller avec Durant dans le rôle de partant la saison prochaine. Sous contrat pour deux autres saisons, Durant n'exigerait pas une transaction si jamais on choisissait d'y aller avec un autre quart, Matthew Shiltz, par exemple.

«Je serais prêt à servir de mentor, a indiqué Durant. Peu importe le rôle que Kavis me demandera de jouer, je le jouerai. Je ne suis pas un gars égoïste, je comprends ces choses. J'ai déjà été à la place de Matthew et aussi dans un club qui voulait apporter des changements. Mon rôle est de me préparer, peu importe où je me situe dans la hiérarchie.»

Les joueurs confiants

Personne n'était heureux dans le vestiaire des Alouettes de Montréal, samedi, au moment de remplir ses sacs et de quitter le nid. Mais tous les joueurs rencontrés croient que l'équipe peut rapidement faire tourner le vent.

«Ç'a déjà été réussi dans le passé. On a vu des équipes passer de la dernière à la première place, a souligné le secondeur Kyries Hebert, l'un des rares à ne pas avoir quoi que ce soit à se reprocher au cours de cette année de misère.

«Regardez Ottawa: en trois ans, cette équipe d'expansion a gagné la coupe Grey et participé à deux finales. On a la bonne personne pour mener ce projet: je crois que Kavis (Reed, le directeur général) fera ce qu'il doit faire pour faire de nous une équipe gagnante.»

«Regardez les Roughriders, a ajouté le demi inséré Nik Lewis. Ils ont été la pire équipe de la ligue l'an dernier et participeront aux matchs éliminatoires cette saison.»

À l'instar de la direction, les joueurs des Alouettes croient dur comme fer que l'équipe n'a pas besoin d'une restructuration en profondeur.

«Honnêtement, je pense qu'il y a beaucoup de joueurs avec beaucoup de talent au sein de cette équipe et que c'est seulement dû à la malchance et aux blessures que nous avons connu de mauvais matchs, a avancé le garde Kristian Matte. Ce dont on a besoin, c'est d'avoir tout le monde le même objectif: s'améliorer et on va être corrects.»

C'est donc possible, mais pas nécessairement facile.

«C'est tout un défi, a noté le centre Luc Brodeur-Jourdain. Il faudra trouver un groupe d'entraîneurs qui pourra bien travailler ensemble et entraîner les joueurs derrière eux. Dans la constitution même de l'équipe, on sait qu'il faudra se rajeunir, et moi je fais partie des dinosaures!»

Mais n'allez pas croire que Brodeur-Jourdain en ait terminé avec la Ligue canadienne.

«Ce n'était pas mon dernier match. Je vais me préparer durant la saison morte pour disputer une autre campagne. S'il y en a une autre, il y en aura une autre. S'il n'y en a pas, il n'y en aura pas. C'est la nature du sport. (...) Tu veux par contre avoir ce mélange parfait de vétérans expérimentés, qui ont vécu des championnats, mais aussi de sang neuf capable de pousser ces vieux joueurs-là.»

Après 10 saisons et deux coupes Grey, on est en droit de se demander ce qui pourrait pousser «LBJ» à disputer une autre campagne.

«Personnellement, j'ai envie de finir sur une bonne note. J'ai envie de quitter en sachant que l'équipe est de retour dans le bon chemin.»

Un autre qui n'a peut-être pas disputé sa dernière rencontre est Lewis. Mais comme Brodeur-Jourdain, il sera en paix s'il n'est pas de retour.

«Ce n'est pas garanti à 100 pour cent que je prendrai ma retraite, mais je suis 100 pour cent à l'aise si jamais j'ai joué mon dernier match. Je discuterai avec le nouvel entraîneur-chef et verrai ce qu'il souhaitera. Je suis même prêt à revenir comme entraîneur: je n'ai jamais pensé que je serais un athlète professionnel, mais j'ai toujours voulu être entraîneur. Ce serait mon job de rêve!»

Par contre, impossible de savoir si John Bowman, qui a disputé vendredi son 200e match dans la LCF, sera de retour en 2018. Le vétéran, que certains journalistes ont croisé au Stade olympique, ne s'est pas présenté dans le vestiaire du club en ce jour de bilan.

Cassure à Winnipeg

Plusieurs des joueurs rencontrés ont évoqué que la saison pouvait être vue en deux parties: il y a eu la saison avant le match du 27 juillet à Winnipeg et celle après. Les Alouettes menaient par 13 points avec quelques minutes à faire dans ce duel, avant de finalement s'avouer vaincus 41-40, portant leur fiche à 2-4. Ils n'ont remporté qu'un seul autre match par la suite, face à des Argonauts forts démunis.

«On peut regarder ça comme ça, a admis Matte. Ça faisait plusieurs semaines qu'on avait une progression en offensive. On était passé de 350 à 400, 450 verges de gains. Après ça, on va se le dire, c'était pénible. Je pense que ça nous a affectés encore plus qu'on pensait, pendant plusieurs semaines.»

«Oui, c'est une cassure dans notre saison, a renchéri Brodeur-Jourdain. Est-ce qu'on aurait dû être capable de surmonter ça? Absolument, c'est un échec de notre part de ne pas avoir su le faire.»