L'ex-lanceur étoile Éric Gagné a connu la meilleure carrière parmi tous les baseballeurs québécois de l'histoire, mais la honte et la culpabilité ne sont jamais loin lorsqu'il ressasse ses années de domination.

À la lecture de Game Over, une biographie écrite par le journaliste Martin Leclerc et publiée mardi aux Éditions Hurtubise, on sent que la décision de se raconter est une façon d'exorciser ses démons.

«C'est sûr que ça va m'aider, mais je veux aussi que ça aide les autres, a confié Gagné à La Presse. J'ai voulu transformer un gros négatif dans ma carrière en quelque chose de positif.

«J'ai essayé d'expliquer ce que c'était la pression de faire beaucoup d'argent, ce qu'était la pression des attentes qu'on place en nous et celles qu'on se met nous-mêmes, et pourquoi ça m'a conduit à faire certaines erreurs.»

Éric Gagné est un produit de son époque. Il évoluait dans un milieu où, estime-t-il, près de 80% de ses coéquipiers faisaient usage d'une substance ou d'une autre.

La question des hormones de croissance et du Rapport Mitchell, qui a été en quelque sorte son Waterloo, est abordée dès le prologue. Elle est ensuite laissée en jachère jusqu'aux dernières pages du livre alors que Gagné se livre à un mea-culpa débordant de sincérité.

«Au départ, j'avais consommé des HGH pour faire disparaître une blessure mineure à un genou et pour m'assurer de garder une place au sein des Dodgers, peut-on lire. Et en fin de compte, cet engrenage et cette dope ont raccourci ma carrière de quatre ou cinq années.»



Le jus... et le citron pressé

C'est sûr que Gagné a pressé le citron. Durant ses trois années de domination, soit de 2002 à 2004, aucun releveur de fin de match n'a participé à plus de rencontres que lui.

Comme les autres joueurs qui étaient «sur le jus», l'ancien gagnant du trophée Cy Young faisait montre d'une impressionnante durabilité et croyait résister à la douleur. Mais à compter de la deuxième moitié de 2004 - dès le moment où sa séquence record de 84 matchs sauvegardés sans sabotage a pris fin - les morceaux se sont mis à tomber.

Gagné évoque le puissant cocktail d'antidouleurs qu'on lui prescrivait pour tenir le coup. Mais les blessures - tant celles au coude, à l'épaule ou au dos - ont fini par miner la deuxième moitié de sa carrière. L'impitoyable cadence à laquelle il s'était soumise avait fini par avoir raison de lui.

Et à Boston, pendant son triste séjour avec les Red Sox, personne n'a manqué de le lui rappeler.

«Je me suis fait indiquer la porte de sortie parce que mon corps ne parvenait plus à tenir le coup, alors que ma soif de compétition et mon enthousiasme étaient toujours intacts, écrit-il. Les HGH étaient censés me faire rajeunir en régénérant mes tissus. Ils m'ont plutôt fait vivre en accéléré. Ils ont fait vieillir mes articulations plus vite que mon coeur et mon désir de jouer.»



Frénésie à Los Angeles

Dans Game Over, Gagné se dit incapable de savourer pleinement sa carrière en raison de la culpabilité qui le ronge et de l'idée que des gens puissent croire que seules les hormones ont expliqué son succès.

«Sauf que je commence maintenant à prendre un peu de recul et à regarder ma carrière comme une oeuvre d'art, nous a-t-il dit. Après tout, je suis parti de Mascouche à 15 ans et j'ai réalisé mon rêve...» 

L'ancien lanceur se souvient de la frénésie qu'il suscitait à Los Angeles à l'époque où les lunettes et les barbichettes se vendaient comme des petits pains chauds. Les années Game Over sont celles d'un rituel répété plusieurs fois par semaine au Dodger Stadium lorsque Gagné faisait son entrée dans un match au son de Welcome to the Jungle, de Guns 'n Roses. Une mise en scène qui s'est construite un peu par hasard, mais qui est vite devenue partie intégrante de la préparation de Gagné. 

Et du personnage aussi.

Touchante conclusion

Les vétérans des ligues majeures ont l'habitude de bien traiter les recrues et leur disent même qu'il est inutile de se promener avec un porte-monnaie. Gagné l'a appris le jour où le voltigeur Raul Mondesi l'a invité à s'acheter un complet. Il a vu le vétéran des Dodgers flamber 50 000 $ en seulement 45 minutes.

Et comme de nombreuses boucles qui se bouclent dans le récit, c'est lorsqu'il a retrouvé ses racines, chez les Capitales de Québec, que Gagné a pu à son tour donner au suivant. 

Le chapitre traitant des Capitales est d'ailleurs l'un des plus touchants du livre. Peut-être parce qu'il traite de l'homme redescendu sur le plancher des vaches? Ou à cause du rêve qui s'estompe pendant que la flamme, elle, brille encore?

Toujours est-il que le récit de son match d'adieu est à couper le souffle. Gagné, miné par les blessures, avait fait le pari de revenir dans les majeures comme partant et avait labouré toute la saison à Québec dans ce dessein.

Pour ce qui allait être le dernier départ de sa carrière, il s'est offert un match complet qui rappelait sa domination d'antan. Quand Gagné s'est présenté sur la butte en neuvième manche pour finir le travail, c'est au son de Welcome to the Jungle qu'il l'a fait.

«Je me suis dit que je recommençais à zéro, que j'allais protéger ma propre victoire.»

Une autre boucle de bouclée.



Photo: Reuters

Durant ses trois années de domination, soit de 2002 à 2004, aucun releveur de fin de match n'a participé à plus de matchs qu'Éric Gagné.