En 2000, Alex Anthopoulos a décroché son premier boulot dans le baseball majeur : répondre de façon bénévole au courrier des fans des Expos. Depuis la semaine dernière, ce Montréalais de 32 ans est le nouveau directeur général des Blue Jays de Toronto.

L'expression une ascension fulgurante est trop faible pour décrire le parcours d'Alex Anthopoulos, qui est depuis samedi dernier le premier Québécois directeur général dans le baseball majeur.

 

Son histoire est une belle illustration de l'adage «quand on veut, on peut». Originaire de Mont-Royal, parfaitement bilingue, il s'est propulsé au sommet de la hiérarchie sans que rien ne le prédestine à cette carrière, sinon une passion dévorante pour son sport.

«C'est vers 1992 que je suis devenu fou du baseball», raconte-t-il. Un ami détenteur d'abonnements de saison cherchait un compagnon pour aller voir les Expos. Anthopoulos a commencé à fréquenter le Stade olympique avec assiduité.

Il s'est mis à manger du baseball, dévorant les statistiques et s'amusant comme un fou avec le jeu de simulation Scoresheet Baseball. «Ce jeu-là simulait des matchs, des repêchages, et nous permettait de mettre en valeur un réseau de filiales. Je négociais au téléphone avec des mordus du baseball de partout au Canada, dont des dirigeants d'entreprises!»

Anthopoulos ne se doutait pas qu'un jour, il le ferait pour les Blue Jays de Toronto.

Répondre au courrier

Alex Anthopoulos avait 20 ans quand son père est mort d'une crise cardiaque. Du jour au lendemain, l'étudiant en économie a quitté l'Université McMaster, en Ontario, pour prendre la relève dans l'entreprise familiale de ventilation.

«J'ai voulu faire vivre l'héritage de mon père mais, après deux ans, j'ai compris que je ne voulais pas faire cela toute ma vie. J'adorais le baseball et j'ai décidé de tenter ma chance. Je ne pouvais pas rater mon coup, car je connaissais l'autre option et elle ne m'intéressait pas.»

Anthopoulos a cogné à la porte des 30 équipes des majeures pour obtenir un stage. Il offrait de déplacer des boîtes, conduire un camion, n'importe quoi. Les Marlins de la Floride étaient prêts à l'accueillir, mais un problème de permis de travail l'a retenu au Québec.

Voyant la saison 2000 approcher sans que ses démarches n'aient porté ses fruits, Anthopoulos a dû envisager un plan de rechange. Puis, le jour même où il dénichait un emploi chez Fidelity Investments, il a reçu un coup de fil des Expos.

«On était deux à convoiter un poste non rémunéré pour répondre au courrier des fans le week-end. Les Expos me l'ont donné parce que j'étais beaucoup plus insistant. Je travaillais dans un coin du vestiaire, je voyais passer Vladimir Guerrero et je ne faisais pas de bruit.»

Et en fin de journée, il allait s'asseoir avec les dépisteurs pour suivre les matchs. C'est au contact de ces vieux pros qu'il a commencé à rattraper le retard qu'il avait sur eux.

Sous l'aile de Ferreira

Anthopoulos a ensuite été payé 7$ l'heure pour faire des photocopies dans le bureau des opérations baseball. Cette soudaine proximité avec les dirigeants des Expos lui a permis de rencontrer Fred Ferreira, le responsable du recrutement international, qui l'a invité à collaborer à son école de baseball en Floride. Un autre emploi non rémunéré, mais la meilleure chose qui ait pu lui arriver.

«Pendant deux ans, j'ai travaillé sur le terrain tous les jours. J'en ai appris énormément sur les élans des frappeurs et des lanceurs. L'évaluation de joueurs, c'est ce que j'ai toujours aimé.»

Par toutes sortes de moyens, Anthopoulos tentait de compenser pour une expérience qu'il n'avait pas. Il a participé à ses frais à l'école de recrutement du baseball majeur. Il a visionné des images de tous les joueurs repêchés depuis 1998 afin de comprendre pourquoi certains avaient eu du succès par la suite et pourquoi d'autres avaient échoué. Après l'avoir vu mémoriser tous les rapports qu'il lui avait apportés, Fred Ferreira l'a finalement nommé assistant au recrutement international.

«Tu t'es fait une place dans l'équipe!»

Ferreira est ensuite passé au service des Marlins en même temps que Jeffrey Loria. Mais Anthopoulos, lui, s'est accroché à la nouvelle administration. Le nouveau DG des Expos, Omar Minaya, lui a donné le mandat d'organiser les déplacements, les dépenses et la division du travail au sein du groupe d'éclaireurs.

«Je gagnais 25 000$ comme coordonnateur du recrutement et c'était le gros lot. J'avais désormais le droit de voyager avec l'équipe. Je me souviens qu'en embarquant dans l'avion, le receveur Michael Barrett m'avait dit: Eh! Tu t'es fait une place dans l'équipe!»

Durant la saison 2003, Anthopoulos a même pu sortir de son bureau et aller lui-même évaluer de jeunes joueurs canadiens. En fait, Anthopoulos aurait encore pris du galon la saison suivante... n'eût été d'une offre de Toronto. «Le poste que m'offraient les Blue Jays n'était pas aussi important, sauf que les Expos allaient déménager. Sachant à quel point c'était difficile pour un Canadien de travailler aux États-Unis, je ne pouvais pas refuser l'offre de Toronto. Autrement, mon aventure se serait terminée là et je m'en serais toujours voulu.»

Même embauché à titre de coordonnateur, Anthopoulos s'est vite retrouvé dans des souliers de recruteur. Pour le compte des Jays, mais aussi de l'équipe olympique grecque de 2004. Anthopoulos a prouvé à son nouveau patron, le directeur général J.P. Ricciardi, qu'à défaut d'une grande expérience, il avait du flair et travaillait fort.

«Même lorsque je répondais au courrier chez les Expos, mon objectif était d'être le meilleur dans ce que je faisais. Pour le reste, il s'agit d'observer. On m'a dit très tôt: il y a une raison pour laquelle on a deux oreilles mais une seule bouche. Utilise tes oreilles.»

DG à 32 ans

À la fin de la saison 2005, J.P. Ricciardi l'a convoqué à son bureau et lui a offert de devenir son adjoint. Anthopoulos pénétrait le cénacle. «Ricciardi est l'unique raison de mon ascension chez les Blue Jays, dit-il d'emblée. Il m'a délégué des tâches dans plusieurs domaines afin de se concentrer sur les 25 joueurs qui composaient l'équipe. Les quatre dernières années ont donc été une préparation incroyable pour le défi qui m'attend.»

Ce défi, il s'est concrétisé samedi dernier quand les Blue Jays ont limogé Ricciardi après huit ans à la tête de l'organisation.

À seulement 32 ans, Alex Anthopoulos est la plus récente preuve de la cure de rajeunissement que vit le baseball majeur. Il devient le sixième DG de la Ligue américaine âgé de moins de 40 ans. Il est l'un des 11 directeurs généraux de l'Américaine à n'avoir jamais été joueur. Mais il y a des sceptiques dans la salle. Aussi, Anthopoulos se fait très humble devant la tâche à accomplir.

«Nos partisans sont déçus parce qu'ils ont senti durant la dernière année qu'il manquait aux Jays un plan directeur. Je veux en établir un le plus rapidement possible. C'est un honneur pour moi de me retrouver dans ce poste-là et je vais le faire dans le respect des fans. Parce que j'ai déjà été l'un d'eux.»

LE NOUVEAU VISAGE DU BASEBALL MAJEUR

À 32 ans, Alex Anthopoulos est au deuxième rang des plus jeunes directeurs généraux dans les ligues majeures.

> 1. Jon Daniels, Rangers, 32 ans et 1 mois

> 2. Alex Anthopoulos, Blue Jays, 32 ans et 4 mois

> 3. Andrew Friedman, Rays, 32 ans et 11 mois

> 4. Theo Epstein, Red Sox, 35 ans

> 5. Michael Hill, Marlins, 38 ans