Lorsque Xavier Desharnais visualise sa dernière traversée du lac Saint-Jean qu'il entreprendra ce matin, le nageur en eau libre repense à la musique tonitruante qui joue à l'arrivée.

La chanson We Are the Champions du groupe Queen résonne chaque année dans les oreilles du gagnant de cette compétition après 32 km d'efforts. Et dans son scénario idéal, Xavier Desharnais est le premier à émerger du lac pour entendre le morceau.

« C'est vraiment unique [au Lac-Saint-Jean], raconte le nageur originaire de Sherbrooke qui est sur le circuit de la Fédération internationale de natation depuis 10 années. Ils font jouer la chanson We Are the Champions à l'arrivée. Tu l'entends dans l'eau. Tout le monde chante. Tout le monde tape des mains. »

L'athlète de 28 ans tentera d'atteindre la plus haute marche du podium pour une troisième fois dans cette course mythique avant de se retirer du circuit pour de bon.

En 2015, sur le quai et les rives de Roberval, des milliers de personnes ont assisté au triomphe du Québécois - médaillé d'or de la course de 32 km en eau libre. Un an plus tôt, il avait aussi terminé premier, ex aequo avec le Macédonien Tomi Stefanovski.

En remportant cette mythique course deux années d'affilée, il est devenu le deuxième Canadien et le premier en 58 ans à réaliser cet exploit.

« Mes victoires au Lac-Saint-Jean, c'est vraiment quelque chose dont je vais me rappeler toute ma vie. »

S'il remporte la couronne pour une troisième fois aujourd'hui, il deviendrait le premier Canadien à réussir ce « tour de force », comme il le dit lui-même.

Le Sherbrookois entame ce mois-ci une dernière série de compétitions avant de tirer sa révérence du circuit : Mont-Tremblant, lac Mégantic, Macédoine, France, Italie et, pour finir, la Californie.

Les planètes s'alignent finalement pour le nageur qui a connu un début d'année difficile. En février, il a subi des blessures à l'épaule qui ont failli mettre un terme à sa dernière saison. Opéré en avril, il a perdu près de quatre mois d'entraînement. Il a dû mettre les bouchées doubles pour être rétabli à temps pour le début de la saison.

En plus des blessures, il n'a pas réussi à se trouver des commanditaires. L'athlète s'est tourné vers les réseaux sociaux pour lancer une campagne de sociofinancement et ainsi réussir à payer les frais reliés aux compétitions. La générosité du public l'a beaucoup touché. Il a récolté un peu plus de 15 000 $ en dons - dépassant légèrement son objectif fixé à 15 000 $ - sur le site makeachamp.com.

UN ATHLÈTE DÉVOUÉ

La traversée du lac Saint-Jean est un marathon de nage de 32 km dans une eau où la température varie entre 16 et 20 ˚C. « Je suis assez bon dans l'eau froide. J'aime bien les vagues. Quand j'ai gagné en 2015, c'était des conditions extrêmement difficiles. Je performe mieux là-dedans », décrit celui qui vient de terminer une maîtrise en kinésiologie.

« C'est terriblement stressant, dit Jean Desharnais, le père de Xavier. C'est une des pires situations que tu peux avoir comme parent. On le voit pas, on sait pas. Est-ce qu'il souffre ? Est-ce qu'il fait de l'hypothermie ? »

Malgré le stress, le père de l'athlète sera au bord de l'eau aujourd'hui pour voir son fils terminer la course. Ce sera peut-être la dernière fois que Jean Desharnais verra Xavier nager en eau libre.

Il a commencé la natation à 7 ans, suivant les traces de son grand frère. « Xavier a toujours vu son grand frère comme une idole », raconte son père. En vieillissant, Xavier Desharnais multiplie les compétitions et les heures d'entraînement en piscine.

C'est la rencontre avec le coach Mohamed Marouf qui lui donnera le goût de l'eau libre. « Mohamed avait vu en Xavier un athlète très endurant. C'est lui qui a emmené Xavier à faire de petites compétitions dans la région », relate le père du sportif.

Viennent alors les premières compétitions : 2 km, puis 10, pour finir par 32. Le nageur passe l'hiver dans les piscines et l'été dans les lacs.

L'AVENIR DE L'EAU LIBRE

Au moment de faire ses adieux au monde de la nage en eau libre, Xavier Desharnais constate que le circuit international a du plomb dans l'aile. « On ne se le cachera pas, le circuit va mal. Tu ne peux pas t'entraîner aussi fort, aussi longtemps pour trois courses [longue distance par année] », déplore-t-il.

Le circuit Coupe du monde Grand Prix FINA - rêve de tout nageur en eau libre - a diminué de façon draconienne le nombre de compétitions sur de longues distances. Depuis 2007, la FINA a décidé de promouvoir le 10 km en eau libre, délaissant ainsi les plus longues épreuves.

L'athlète relate les sacrifices que demande une pratique sérieuse de la nage en eau libre.

« Chaque jour, il faut que tu dépasses tes limites. Je m'entraîne 25-30 heures par semaine. Je fais de 80 à 100 km de nage par semaine. »

Mais le nageur ne jette pas l'éponge pour autant. Même s'il met fin à sa carrière de nageur en eau libre, Xavier Desharnais continuera à s'impliquer pour le développement de son sport. L'an prochain, il sera coordonnateur du volet nage en eau libre au Québec pour la fédération de natation.

En parallèle, il donnera des conférences sur l'eau libre à des groupes de jeunes. « Je leur dis que c'est possible de partir de rien et de se rendre au niveau où je me suis rendu », explique-t-il.

Ce sport exige une grande force mentale. « Dans l'eau, tu es tout seul, tu n'as pas de musique, tu n'as personne à qui parler. Ça peut être très difficile mentalement », souligne-t-il.

Pour avoir du succès dans des courses en eau libre, cela prend un mélange de talent, d'endurance et de stratégie. « Si tu ne t'entraînes pas, tu n'as vraiment aucune chance. Les conditions changent à chaque course et l'expérience joue pour beaucoup », ajoute Desharnais.

Et justement, son expérience de la traversée du lac Saint-Jean lui permettra peut-être d'entonner We Are the Champions avec la foule aujourd'hui sur la plus haute marche du podium.

Photo Jessica Garneau, Archives La Tribune

Xavier Desharnais en action lors de la Traversée du lac Memphrémagog, en juillet 2015