Sur le bord de la piscine, le biomécanicien Mathieu Charbonneau pousse une caisse en métal semblable à celles utilisées dans les hôpitaux pour transporter les plateaux-repas. Il ouvre un panneau et appuie sur un bouton. Au bout d'un mât, un écran plasma sort lentement de la boîte, qui contient aussi un ordinateur. Il installe ensuite deux caméras, l'une sous l'eau et l'autre à côté du bassin.

Cet après-midi, Victoria Poon et son coéquipier Charles Francis travailleront leurs départs et leurs entrées à l'eau. Issu du milieu de la santé, Charbonneau travaille comme biomécanicien du sport depuis deux ans et demi au Centre national multisport-Montréal. «Je suis un gars de mesures plus que de prescriptions, explique le spécialiste de 35 ans. Ce n'est pas moi qui fais faire les exercices. J'analyse la performance le plus froidement possible.»

Grâce à Dartfish, un logiciel suisse conçu à l'origine pour le ski alpin, les images captées par les deux caméras peuvent être rediffusées simultanément. Chaque phase du geste est découpée à la fraction de seconde près. Quand Poon sort de l'eau, la rétroaction est immédiate. Charbonneau offre son point de vue en cherchant le regard approbateur de l'entraîneur Benoit Lebrun, avec qui il travaille en étroite collaboration.

Poon a beau avoir l'un des meilleurs départs au monde, le ralenti démontre qu'elle laisse légèrement tomber les fesses avant de se projeter vers l'avant. Un mouvement presque imperceptible du bassin se répercute aussi sur la position de son corps avant de fendre l'eau. L'amélioration est cependant notable si l'on compare à un enregistrement de l'an dernier que Charbonneau ressort des archives.

Après une heure de répétitions, le biomécanicien est content. Le coach aussi. « C'est un hit! «, lance Benoit Lebrun en se tapant dans les mains.



Le préparateur physique Alain Delorme

En ce début de saison, l'accent est mis sur le développement de la force. Victoria Poon côtoie aussi souvent le préparateur physique Alain Delorme que son entraîneur Benoit Lebrun.

Ancien ailier défensif des Redmen de McGill, Delorme a touché à tout depuis 25 ans, du volleyball au patinage artistique (David Pelletier, Shae-Lynn Bourne) et du water-polo à la boxe (Lucian Bute). Il accompagne Poon depuis cinq ans.

Son suivi est méticuleux. Ce matin-là, quand Poon effectue ses tractions à la barre, Delorme l'accompagne avec ses mains durant tout le geste pour que chaque répétition soit accomplie avec un maximum d'efficience. Son approche est davantage axée sur la qualité globale du mouvement que sur la force brute. « Serre les fessiers, contracte les abdos, relève la tête!» lui enjoint-il pendant cette huitième et dernière levée.

Sa complicité est manifeste. Chaque nageur vient lui serrer la main après la séance et reçoit un mot d'encouragement avant de partir.

Il ne se gêne pas aussi pour les haranguer gentiment. « Dix sur dix pour la testostérone, mais techniquement, c'était pourri ! «, lance-t-il à Benoit Huot, qui vient de terminer un exercice sur un appareil.

Avec Poon, Delorme sera plus cérébral. « Vic a un esprit d'ingénieur, fait remarquer le préparateur de 48 ans. Elle a besoin de comprendre rationnellement ce qu'on fait avant de s'engager dans l'effort. Une fois qu'elle saisit l'objectif à atteindre, elle en ajoute une couche. «

Delorme discute quotidiennement avec Benoit Lebrun. « Ce qu'on fait dans la salle de musculation se transpose souvent le jour même dans la piscine «, note Poon. « Mon rôle est plus d'influencer que de décider «, précise le préparateur. « J'ai le privilège de côtoyer l'athlète et l'entraîneur tous les jours. Parfois, si je vois quelque chose, ça m'amène à lever un drapeau jaune ou rouge. «

Delorme est un fervent de l'approche multidisciplinaire de type institut vers laquelle se dirige le Centre national multisport-Montréal. «Pour toute organisation sportive qui compte plein de bons spécialistes, qui ont plein de bonnes idées, le défi est de rendre ça cohérent», prévient-il cependant.

La nutritionniste Alexia de Macar

Avant que la nutritionniste du sport Alexia de Macar ne se joigne au groupe de natation en décembre 2010, le réfrigérateur des athlètes, près de la piscine olympique, était vide. Depuis, il est rempli de fruits, de légumes et de boissons protéiniques comme le lait au chocolat, un must post-entraînement.

«Il y a une fenêtre d'une demi-heure après l'entraînement pour optimiser la récupération, rappelle Alexia de Macar. Je force les nageurs à se préparer des collations. Depuis, les plongeurs ont suivi l'exemple...»

La nutritionniste n'a pas eu à convaincre Victoria Poon des bienfaits d'une bonne alimentation. Celle-ci est venue la consulter de sa propre initiative. «Victoria est l'une des athlètes les plus assidues que j'aie rencontrées», dit-elle.

À 6'1 et 184 livres, Poon n'a pas à se soucier de perdre du poids. Sa préoccupation est de maintenir sa masse musculaire en période d'affûtage pré-compétition. La nutritionniste l'a aidée à démêler les moments de la journée où elle devait ingérer des glucides ou des protéines. «Les athlètes ont beaucoup de connaissances, mais parfois ils s'y perdent un peu», souligne-t-elle.

Des prises de sang régulières lui permettent aussi de faire un suivi plus pointu des niveaux de ferritine, de vitamines B12, de vitamines D, etc.

Dans le cadre de son doctorat en nutrition, elle mène aussi un projet de recherche sur la glutamine, un supplément déjà très utilisé, pour optimiser le dosage de façon individuelle en vue des compétitions. L'idée est de réduire l'incidence des troubles gastro-intestinaux et des infections des voies respiratoires supérieures chez les athlètes d'élite.

Pour y arriver, Alexia de Macar doit connaître de façon précise la composition corporelle de chaque athlète (masse maigre vs masse grasse). C'est ce que permet de mesurer le Bod Pod, une nouvelle machine aux allures d'incubateur futuriste dont le Centre national multisport-Montréal vient de faire l'acquisition. On est loin des pinces pour mesurer les plis cutanés.

La médecin Suzanne Leclerc

Victoria Poon ne consulte pas souvent la Dre Suzanne Leclerc, médecin de l'équipe de natation. «Je suis en santé, tout est en ordre», souligne la nageuse. La Dre Leclerc, directrice médicale du CNMM, exerce néanmoins un suivi très important en procédant à un test sanguin mensuel. Elle est aussi une ressource précieuse pour l'équipe de natation. «Elle a des contacts partout», dit le préparateur physique Alain Delorme.

Le psychologue Wayne Halliwell

Victoria Poon répète quelques phrases-clés avant de monter sur le bloc de départ: «Serre les fesses, kicke quatre fois, reste haute sur l'eau...» C'est le psychologue du sport Wayne Halliwell, bien connu pour son travail avec Alexandre Bilodeau et Jennifer Heil, qui lui a suggéré cette préparation d'avant-course. Elle rencontre Halliwell une fois par mois et avant chaque compétition importante. «Il ne me dit pas quoi faire. Il discute avec moi. Il m'aide à réaliser par moi-même ce que j'ai à faire durant une course, pour que ça devienne pratiquement instinctif.»



Photo: Alain Roberge, La Presse

Victoria Poon côtoie aussi souvent le préparateur physique Alain Delorme (à gauche) que son entraîneur Benoit Lebrun.

La prof de Pilates Ann McMillan

En analysant des vidéos, l'entraîneur Benoit Lebrun a remarqué que Poon avait une toute petite tendance, en fin de course, à laisser tomber le coude gauche. Problème de contrôle scapulaire, a diagnostiqué l'équipe qui entoure la nageuse. Solution: réactiver toute la chaîne musculaire autour de l'omoplate. Le préparateur Alain Delorme en a glissé un mot à sa collègue Ann McMillan, professeure de Pilates. Une fois par semaine, Poon passe deux heures à son studio du centre-ville pour régler le problème. Avec l'espoir que ça se traduise dans l'eau.





Photo: Robert Skinner, La Presse

Victoria Poon peut également compter sur sa professeure de Pilates, Ann McMillan.

Le physiologiste Perry Koziris

Roxanne Huot ouvre une boîte de plastique et en sort une panoplie médicale: gants de latex, tampons alcoolisés, nécessaire à piqûres, petits instruments électroniques. À différents moments d'une série, la technicienne au soutien scientifique du Centre national multisport-Montréal mesurera la concentration de lactate dans le sang de Barbara Jardin, coéquipière de Victoria Poon.

Roxanne Huot relayera les informations à son collègue Perry Koziris, physiologiste de l'exercice, dont l'ordinateur est relié à un appareil qui enregistre en temps réel les pulsations cardiaques de Jardin. Ces données serviront autant à mesurer le chemin parcouru qu'à adapter les entraînements.

Quand l'entraîneur Benoit Lebrun a une question d'ordre général sur la meilleure façon de préparer un athlète, il la pose à Koziris, revenu à Montréal en 2007 après 14 ans dans les universités américaines. Une nageuse doit perdre quelques kilos sans ralentir la cadence à l'entraînement ? Un autre veut être en mesure de maintenir sa puissance en fin de course ? «Généralement, il me revient trois jours plus tard, raconte Lebrun. Il a parcouru la littérature scientifique et sa réponse remplit trois pages...»

Le Dr Koziris a contribué à améliorer la préparation de Poon avant les courses. «On a travaillé beaucoup sur l'échauffement, explique-t-il. On y a ajouté plus d'intensité et on a réduit le temps entre la fin de l'échauffement et la course.»

Ces temps-ci, Poon applique une recette qui a porté ses fruits lors des deux premières années du cycle olympique: une longue phase de développement musculaire en salle avant le début de la saison de compétition.

Koziris communique régulièrement avec le préparateur physique Alain Delorme, un ancien coéquipier chez les Redmen de McGill, pour ajuster le programme de la sprinteuse. Déjà très forte, Poon s'applique à augmenter sa puissance avec des charges plus légères lors de ses entraînements en salle.

Sac sur l'épaule, Poon vient de compléter son entraînement dans l'eau. Elle dit se fier entièrement aux hypothèses scientifiques de Koziris, un vrai compétiteur comme elle. «Il est très intense...»

Une nageuse et 0,41%...

Ralentie par la varicelle, Victoria Poon a fini 30e au 50 mètres libre aux Jeux olympiques de Pékin. L'été suivant, elle a pris le 13e rang aux Mondiaux de Rome. En s'améliorant de «0,41%», la nageuse montréalaise deviendrait candidate au podium, calculait l'organisme À nous le podium, qui a choisi de la soutenir.

«Ce n'est pas beaucoup, mais maudit qu'il faut travailler fort pour arriver là!» s'exclame le coach Benoit Lebrun. La principale intéressée hausse les épaules devant ce calcul administratif. «Quand on s'entraîne, on n'a pas le choix de mettre la pédale au plancher et de se donner à 100%...», sourit-elle.

Malgré tous les spécialistes à sa disposition, Poon n'a pas été en mesure de franchir une marche de plus aux Mondiaux de Shanghai, en juillet, se classant 15e au 50 m et 12e au 100 m libre. Une entorse à la cheville, subie trois mois plus tôt, a eu des conséquences plus fâcheuses que prévu. Pour les Jeux de Londres, Poon a la ferme intention d'atteindre la finale. À partir de là, tout devient possible, croit-elle.

Après avoir assisté à sa préparation sur une période de quelques semaines, une question semblait incontournable: ce suivi presque maniaque, où pratiquement chaque action et chaque geste sont analysés, ne devient-il pas harassant pour l'athlète à la longue? «J'adore ça!» a spontanément répondu Poon avant d'expliquer: «Chaque jour compte d'ici les Jeux. Il ne reste plus beaucoup de temps. Avec tous ces spécialistes et ces scientifiques qui m'entourent, je n'ai pas à me demander si ce que je fais est la bonne chose ou non.»

Photo: Marco Campanozzi, La Presse

Victoria Poon dans un «Body Pod».