Il était près de minuit à Shanghai quand Julie Sauvé a arrêté de parler. La volubile entraîneuse tentait de refouler un sanglot. Au téléphone, elle venait de raconter la soirée magique vécue par toute l'équipe canadienne de nage synchronisée.

Après un parcours frustrant où elles ont collectionné les quatrièmes places, les nageuses canadiennes ont enfin pu goûter aux joies du podium aux Championnats du monde FINA, hier. Quatrièmes à l'issue des préliminaires, elles ont causé la surprise en arrachant la médaille de bronze au combo libre. Pour ce faire, elles ont délogé les Espagnoles, tenantes du titre.

À en croire l'entraîneuse montréalaise, il s'agit presque d'une révolution. Les juges en nage synchronisée sont réputés pour leur conservatisme. Jusque-là, les positions de tête n'avaient jamais changé entre les préliminaires et la finale.

«Tout le monde a pleuré. Les autres pays ont pleuré pour nous aussi», a raconté Julie Sauvé, qui oeuvre dans le milieu depuis plus de 35 ans.

Le Canada a été le 12e et dernier pays à s'exécuter. Sur la musique du groupe Queen, les 10 nageuses, toutes québécoises, ont livré un numéro original et virevoltant, marqué par des portés et des lancers aux effets spectaculaires. Au son de Bicycle Race, Marie-Pier Boudreau-Gagnon, capitaine de l'équipe, a même exécuté sa plus belle imitation d'Andy Schleck dans le Galibier.

En sortant de l'eau, les Canadiennes croyaient peut-être se diriger vers une autre quatrième place. Quand le chiffre «3» est apparu sur le tableau, elles ont bondi de joie et se sont sautées dans les bras d'un bel élan euphorique.

«Ce soir, c'était juste magique», a commenté Boudreau-Gagnon, qui a décrit ce moment comme le plus beau de sa carrière. «Toute l'équipe était ensemble, on a très, très bien nagé. On n'avait rien à perdre, on s'est battues et on l'a eu.»

Le Canada a reçu 96,150 points pour sa prestation, devançant l'Espagne de quatre dixièmes. Avec 98,470 points, la Russie a gagné l'or, une cinquième consécutive à ces Mondiaux. La Chine a remporté l'argent grâce à 96,390 points. Après quatre quatrièmes places, les nageuses canadiennes pouvaient dire «enfin». «Enfin, oui, mais c'est plus un sentiment de satisfaction, a précisé Boudreau-Gagnon en téléconférence. On s'est offert un beau cadeau après toutes les performances qu'on a faites depuis le début de la semaine. La troisième place me rend plus fière qu'autre chose. C'est un sentiment partagé par toute l'équipe.»

Pour cette épreuve de combo, qui marie des éléments de solo, de duo et d'équipe, Boudreau-Gagnon était accompagnée de Geneviève Bélanger, Stéphanie Durocher, Jo-Annie Fortin, Chloé Isaac, Stéphanie Leclair, Tracy Little, Élise Marcotte, Karine Thomas et Valérie Welsh.

«Du jamais vu»

Boudreau-Gagnon et Sauvé sont persuadées que l'enthousiasme du public chinois, habituellement stoïque, a infléchi la vision des juges. «On a les meilleurs lifts au monde, a affirmé l'entraîneuse. Ce qu'on fait ne s'est jamais vu. Chaque fois qu'on sortait un lift, ça criait, ça s'exclamait, ça applaudissait. Le public a plus aimé notre programme que celui des Chinoises. Je vous le dis, la foule était en délire. C'était incroyable!»

En l'absence de la Russie, le Canada avait aussi remporté le bronze en combo aux derniers Mondiaux de Rome, en 2009. Le combo n'étant pas une épreuve olympique, le défi sera maintenant de transposer ces succès en duo et en équipe.

«C'est dur de changer les mentalités dans un sport jugé, a fait valoir Sauvé. Mais on vient de le faire. Les juges ont infirmé une décision, c'est une première. La médaille olympique, ça s'en vient. On y rêve et elle sera accessible à Londres en 2012.»

À tout le moins, une brèche aura été ouverte en Chine.