Laurent Dubreuil a un tempérament plutôt rare pour un athlète québécois: très confiant, démonstratif, presque frondeur. Ce n'est pas un défaut, mais quand les choses tournent mal, ça fait jaser dans les chaumières. Comme il y a un peu plus d'un an, lorsqu'il a échoué à se qualifier pour les Jeux olympiques de Sotchi. Un véritable coup au coeur pour l'ancien champion mondial junior.

Dubreuil est retourné à la planche à dessin, a modifié ses méthodes d'entraînement, son équipement, mais une chose n'a pas changé: sa foi en ses moyens. Il a même décidé de libérer cette «étincelle» qu'il avait sciemment mise sous cape à ses débuts seniors.

Ce désir de marquer les esprits lui a bien servi alors qu'il occupait le sixième rang provisoire après le premier

500 mètres des Championnats du monde de patinage de vitesse par distance d'Heerenveen, aux Pays-Bas, hier. À voir la façon avec laquelle ses rivaux patinaient, l'athlète de 22 ans savait que seul un sans-faute pouvait le mener sur le podium. Il y est parvenu.

«Une course de rêve, la course d'une vie», s'enthousiasmait encore Laurent Dubreuil trois heures plus tard. Jamais il n'aurait cru un jour patiner aussi vite au niveau de la mer (34,723 secondes). «C'est vraiment une course que je ne pensais pas être capable de faire. Aussi simple que ça.»

Deuxième derrière le Néerlandais Michel Mulder avant la dernière paire de la journée, le patineur de Lévis savait que son sort reposait sur les lames d'un autre Néerlandais, Hein Otterspeer. À moins d'une chute ou d'une défaillance magistrale, l'or était promis au Russe Pavel Kulizhnikov, impérial depuis le début de la saison. «Mettons que je grouillais pas mal, a dit Dubreuil. J'étais beaucoup plus stressé là qu'avant ma course.»

Otterspeer est bien parti, mais il a perdu l'équilibre dans le dernier virage intérieur. Assis tout près, Dubreuil a levé les bras. Il savait que la médaille de bronze était dans la poche. Par huit centièmes. «En patinage de vitesse, c'est ça, le défi, quand tu pars à l'extérieur: faire un bon dernier virage intérieur. J'ai été capable, lui non. C'est la seule raison pour laquelle on se parle d'un podium et non d'une quatrième place.»

Aucun Québécois n'était monté sur le podium aux Championnats du monde par distance depuis l'or (1000 m) et l'argent (500 m) de Sylvain Bouchard à Calgary, en 1998. Médaillé d'or à Nagano en 2008, Jeremy Wotherspoon était le dernier patineur canadien médaillé sur 500 m.

Dubreuil a préparé son exploit dans des conditions d'entraînement carrément exécrables, par les grands froids de janvier, à l'anneau Gaétan-Boucher de Sainte-Foy. «Il n'y en a pas beaucoup qui croyaient en nos chances de réussir dans des conditions comme ça», a-t-il relevé.

«J'avais un peu peur avant de venir ici, a admis l'entraîneur Gregor Jelonek. Pendant trois semaines, à Québec, il n'a vraiment pas fait beau. Il y a eu des -25, -30. On a été obligés de changer et d'adapter le programme. On a fait beaucoup d'entraînement sur bicycle, de la musculation. J'étais un peu inquiet pour la vitesse.»

Des maux de dos ont privé Dubreuil de deux journées d'entraînement à son arrivée aux Pays-Bas, la semaine dernière. Il a réussi à terminer deux fois sixième en Coupe du monde, ce qui lui a permis de conserver sa deuxième position au classement. Il avait réservé ses meilleurs coups de lame pour le grand rendez-vous.

Un peu crispé face à Kulizhnikov au premier 500 m (34,971, quand même), Dubreuil s'est détendu pour le deuxième, où il a réalisé l'ouverture la plus rapide de sa carrière. «Des fois, c'est juste une question de se laisser patiner», a dit le médaillé de bronze. «Il a vraiment fait une course exceptionnelle, surtout que le calibre était extrêmement fort», a renchéri Jelonek.

Entre les deux courses, l'entraîneur n'a pas manqué de rappeler à son athlète qu'il s'apprêtait à effectuer son dernier tour de piste sur la glace du Thialf. La mythique patinoire d'Heerenveen subira des rénovations majeures à partir de lundi. Pour un féru de l'histoire de son sport comme Dubreuil, ce n'était pas anodin.

Il comptait s'offrir «une ou deux bières» pour célébrer, car les Mondiaux sprint l'attendent dans deux semaines au Kazakhstan. Cette compétition revêt une plus grande valeur sentimentale à ses yeux, même s'il sait qu'un podium est beaucoup moins probable.

«Ce que je viens de faire est une étape, un accomplissement en tant que tel, mais ce n'est pas un point final, a précisé Dubreuil. Je ne veux pas non plus que dans cinq ans, on parle de cette troisième place comme de mon meilleur résultat à vie...»