«Il nous avait souhaité du malheur et 10 minutes plus tard, j'embarquais sur la glace pour faire ma course et ma lame était brisée. Nous, on avait des soupçons, mais c'est difficile de prouver ces choses-là.»

Le patineur de vitesse Olivier Jean savait qu'il avait été victime d'un acte de sabotage aux Championnats du monde par équipes de Varsovie, en mars 2011. Il avait aussi une très bonne idée de l'identité du coupable. Faute de preuve formelle, il en était cependant venu à la conclusion que le mystère ne serait jamais véritablement résolu.

«Je m'étais dit: je vais mourir et je ne saurai pas la réponse...», a raconté Jean avec un certain amusement, hier matin, après un entraînement de l'équipe canadienne de patinage de vitesse courte piste à l'aréna Maurice-Richard.

La veille, c'est donc en souriant que Jean a pris connaissance d'un article publié sur le site internet du Chicago Tribune... qui confirmait tous ses soupçons. Le Coréen Jae Su Chun, l'entraîneur-chef de l'équipe américaine de patinage courte piste avec qui il a déjà travaillé à Montréal, aurait lui-même orchestré l'acte de sabotage.

Le 20 mars 2011, la lame d'un patin de Jean a été endommagée, ce qui l'a obligé à se retirer dès le premier tour de la finale «A» du relais, laissant ses trois coéquipiers se débrouiller seuls. Sous-représenté, le Canada a évidemment été relégué au quatrième et dernier rang de cette course ultime, l'empêchant de décrocher l'or qu'il convoitait au classement général final (il a dû se contenter du bronze).

Seule surprise pour Jean dans cette histoire rocambolesque: le geste aurait été commis par le patineur américain Simon Cho, un de ses grands rivaux au 500 mètres. Cette année, le Québécois est devenu champion mondial sur la distance, succédant à Cho, qui l'avait battu en 2011.

«C'était difficile d'imaginer qu'un athlète aurait fait ça, a expliqué Jean. Si ça avait été un complot orchestré par l'équipe d'entraîneurs, ils auraient dû, à mon sens, avoir l'astuce de garder ça entre eux et de ne pas impliquer des athlètes, ce qui augmente les chances de fuites.»

»Mon secret le plus noir»

Voilà précisément ce qui est survenu alors que l'histoire est étalée au grand jour dans la foulée d'un scandale dont le personnage central est Jae Su Chun. Ce dernier est suspendu provisoirement par US Speedkating dans le cadre d'une enquête disciplinaire dont il est l'objet. Il est accusé par une douzaine de patineurs de sévices physiques et verbaux et de commentaires excessifs dirigés contre des patineuses. Il aurait traité certaines d'entre elles de «grosses» et de «dégoûtantes» à plusieurs reprises et leur aurait dit qu'elles ne devraient pas manger.

Dans une demande d'arbitrage obtenue par le Tribune, l'incident impliquant Jean est aussi rapporté avec force détails. Cho aurait admis son méfait à un coéquipier, lui disant: «Je sais que j'ai fait des choses «dérangées». J'aimerais les effacer. Mais je ne peux pas... Et je me prépare à en subir les conséquences.»

La lame du patin de Jean a été tordue, manifestement par un coup, perdant sa cambrure normale et la rendant inutilisable. L'athlète de Lachenaie ne s'en est aperçu qu'en posant le pied sur la glace avant la finale. Il était trop tard pour la changer.

Toujours selon la procédure d'arbitrage, Cho a également écrit à un coéquipier: «C'est mon secret le plus noir et je le regrette.» Le patineur de 21 ans, natif de Séoul, a également affirmé que Chun était le «cerveau» derrière cette affaire.

Cela concorde en toutes lettres avec la version des événements de Varsovie racontée par Jean et ses coéquipiers canadiens, où Chun s'était plaint de la façon dont les Canadiens s'étaient comportés en qualifications. Il reprochait entre autres aux frères Charles et François Hamelin de s'être ligués au 3000 m pour empêcher les Américains d'accéder à la finale «A», réservée aux quatre premiers pays.

«Il était vraiment frustré de ça, a raconté Jean. Il me l'avait dit ouvertement. Il m'avait aussi ouvertement dit qu'il souhaitait que ça aille mal dans notre course. Il nous avait souhaité du malheur et 10 minutes plus tard, j'embarquais sur la glace pour faire ma course et ma lame était brisée. Nous, on avait des soupçons, mais c'est difficile de prouver ces choses-là.»

Les soupçons des Canadiens étaient amplifiés par le fait que les Américains étaient leurs seuls partenaires de vestiaire à Varsovie. Quelques minutes après la finale litigieuse, François Hamelin, à son grand étonnement, a été vertement apostrophé par Chun dans le vestiaire. Il lui a lancé avoir perdu toute fierté d'avoir coaché son frère et lui à l'époque où il était conseiller technique à Montréal, en 2006-2007. Depuis cette histoire, l'équipe canadienne s'assure d'avoir un membre de son personnel en tout temps dans le vestiaire pour surveiller les patins.

»Pas tous la même idée de l'esprit sportif»

Ironiquement, Jean était l'un des plus fidèles adeptes des enseignements de Chun. Les deux avaient gardé contact après le départ du Coréen pour les États-Unis. «Quand je lui ai parlé après les championnats du monde, il me répétait: «Olivier je ne t'aurais jamais fait ça», a relaté Jean. Tu sais, on a une bonne relation.»

Comme les États-Unis n'étaient pas partie prenante à la finale «A», Chun aurait agi par pur esprit de vengeance. Jean ne lui en veut pas. «J'imagine qu'on n'a pas tous la même idée de la victoire et de l'esprit sportif», a souligné l'athlète de 28 ans.

Quant à Cho, avec qui il entretenait de très bonnes relations, Jean le considère à certains égards comme une victime dans cette histoire: «Il y a sûrement un contexte de pression psychologique, de pouvoir garder sa place dans l'équipe.» Il plaint ses collègues-patineurs américains, qui doivent composer avec une tempête à l'approche de cette importante saison préolympique.

Même constat de la part d'Yves Hamelin, directeur du programme de courte piste canadien, qui préfère se tourner vers l'avenir. Qualifiant de «déplorable» le geste commis, il n'a pas l'intention de réclamer réparation, rappelant l'importance toute relative des Mondiaux par équipes, une compétition qui a été abolie après 2011, notamment en raison du manque d'intérêt des pays européens.

Jean, lui, n'a qu'une seule intention: «Je vais faire ma loi sur la patinoire...»