Dans le souvenir de Joannie Rochette, la Russie est un pays froid, pour ne pas dire glacial. Le climat comme ses gens. Ça ne l'indiffère donc pas d'apprendre que Sotchi est situé à 800 kilomètres au sud de Moscou et qu'il y pousse des palmiers. De là à s'engager pour les Jeux olympiques de 2014, il n'y a qu'un pas... qu'elle n'est pas prête à franchir. Pas encore.

À moins de 500 jours des JO de Sotchi, Rochette n'est toujours pas décidée à replonger. «À ce moment-ci, je ne peux vraiment pas répondre. Ça change tous les jours», a résumé la patineuse de 26 ans, rencontrée hier midi avant un entraînement.

«Si je retournais aux Jeux, a poursuivi Rochette, ce serait l'un des plus grands défis que je ne me sois jamais lancés, juste de faire l'équipe et de me représenter aux championnats canadiens. C'est pour ça que j'hésite. C'est difficile.»

L'athlète originaire de l'île Dupas est déchirée.

Rochette n'a jamais pu tirer un trait sur sa carrière amateur, ce qui la tiraille. Elle pensait poursuivre une année ou deux avant d'être happée par le tourbillon qui a suivi sa médaille de bronze aux JO de Vancouver, dans les circonstances que l'on sait. Depuis deux ans et demi, elle enchaîne les spectacles professionnels, au rythme d'une cinquantaine par année, mais en demandant chaque fois la permission à la fédération canadienne, ce qui lui permet de conserver son statut d'amateur auprès de l'International Skating Union.

«Je n'en ai pas tant perdu»

Cet emploi du temps lui a permis de maintenir la forme et de conserver les acquis techniques. «Ce qui me surprend, c'est que je n'en ai pas tant perdu», a souligné celle qui participera vendredi à une compétition professionnelle au Japon. «Je fais encore des combinaisons triple-triple quand on me lance des défis. Je suis à un niveau étonnamment proche par rapport à où j'en étais en 2010. Ça me fâche quasiment...»

Ce serait tellement plus simple si elle n'était plus dans le coup! Le niveau de compétition aux derniers Mondiaux de Nice, où l'Italienne Carolina Kostner, une ancienne rivale, s'est imposée avec seulement cinq triples sauts, a également chatouillé la Québécoise. «J'aurais peut-être pu gagner», n'a pu s'empêcher de penser la vice-championne de 2009.

Prétendre à une médaille individuelle à Sotchi est une autre histoire. La patineuse aura alors 28 ans et ces trois années sans compétition ne seront pas sans conséquence, ne serait-ce que vis-à-vis des juges. À l'affût de tout ce qui se fait dans le monde, Rochette n'est pas sans savoir qu'une nouvelle génération de patineuses russes risque d'émerger en 2014.

En clair, Rochette craint qu'une sixième ou une septième place à Sotchi - ce qui représenterait par ailleurs un bel exploit personnel - ne porte ombrage à son exploit de Vancouver. «Comme athlète olympique, tu veux toujours faire mieux ou égaler ce que tu as fait dans le passé. Comment serait-ce perçu par les gens? Parce qu'il y a toujours des attentes. Je ne sais pas comment je vivrais avec ça dans le futur.»

Elle se rappelle une conférence de l'ex-skieur Brian Stemmle. Très émotif, il n'avait jamais vraiment digéré son chant du cygne raté aux JO de Nagano alors qu'il avait raté un virage à la fin d'une descente où l'or semblait lui être destiné.

Rochette devrait aussi se trouver un nouvel entraîneur. Manon Perron, qui l'a accompagnée jusqu'à Vancouver, s'occupe désormais de développement dans la province. Joannie l'a rencontrée il y a deux semaines pour lui demander conseil. Et puis? «C'est partagé», a dit en souriant la sextuple championne canadienne, qui aurait sans doute préféré un avis plus tranché.

Une présence déterminante

Un facteur crucial pourrait faire pencher la balance: l'inclusion d'une nouvelle épreuve par équipes aux JO de Sotchi, sans laquelle Rochette ne songerait jamais à retourner sur le circuit.

Avec la retraite récente de Cynthia Phaneuf, sa présence pourrait être déterminante pour le Canada, déjà bien nanti dans les trois autres disciplines. L'idée de marquer l'histoire et de participer à une compétition collective l'enchante.

«Si Joannie souhaite revenir et à se remettre au travail, bien sûr qu'on en serait très heureux», a avancé le directeur haute performance de Patinage Canada, Mike Slipchuk, précisant qu'elle devrait d'abord se distinguer sur la scène nationale.

Ambivalente, Rochette se donne jusqu'à janvier pour se brancher. «Pour être passée par là, je sais à quel point c'est intense, a rappelé la double olympienne. Je suis prête à faire les efforts, mais c'est un gros investissement de temps, et d'effort physique et émotionnel. Ta vie sociale y passe. Ce n'est pas une décision à prendre à la légère.»

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Mère et coach de vie...

Joannie Rochette n'a pas vraiment de souvenirs des Jeux olympiques de Vancouver. La mort tragique de sa mère a tout occulté: «J'ai tellement eu un gros down après les Jeux. Pendant deux ans, j'en ai arraché. Ça commence à mieux aller.»

Avec du recul, Rochette comprend encore mieux le rôle majeur joué par sa mère au cours de sa carrière. «Elle était ma coach de vie, ma manager, ma secrétaire, a-t-elle détaillé. C'est elle qui faisait le lien entre mes vies personnelle et professionnelle. Elle était ma psychologue, ma confidente. Elle venait m'encourager, me voir patiner. Je ne le réalisais pas, mais c'était une job à temps plein.»

La patineuse de 26 ans dit en tenir compte dans son processus de réflexion pour les Jeux de Sotchi. «Je ne le cacherai pas, le fait qu'elle ne soit plus là, c'est difficile.»