Figure de proue du mouvement antidopage, Christiane Ayotte n'est pas surprise que l'Agence mondiale antidopage (AMA) eût réadmis, jeudi matin, la Russie au sein de son giron.

Alors qu'elle exigeait de la Russie qu'elle reconnaisse avoir mis sur pied un vaste système de dopage et camouflé des cas positifs d'athlètes russes, en plus d'exiger de remettre tous les résultats et échantillons du laboratoire de Moscou, l'AMA a assoupli sa position la semaine dernière, se basant sur les recommandations d'une commission indépendante qu'elle a elle-même mise sur pied.

Jeudi, aux Seychelles, sa commission exécutive de 12 membres a voté en faveur d'une réadmission de la Russie, même si elle ne remplit pas les deux conditions jugées jusqu'à récemment absolument nécessaires.

«On s'attendait à ce qu'il y ait une réaction positive de la commission exécutive de l'Agence, parce qu'il y avait eu une recommandation en ce sens du comité indépendant, a indiqué Mme Ayotte dans un entretien avec La Presse canadienne. Ce n'était donc pas une surprise pour moi. Mais je suis en mesure de comprendre la déception.

«Pour ma part, je doute grandement que les Russes se mettent du jour au lendemain à travailler contre le dopage et acceptent les standards reconnus, a ajouté celle qui dirige le laboratoire antidopage du Centre INRS de l'Institut Armand-Frappier. Il y aurait une lettre des instances russes qui aurait permis de régler les différends. L'Agence dit qu'elle suivra ça de près, mais au final, on a un mouvement sportif fortement divisé ce matin.»

Réactions négatives au Canada

Cette décision est bien loin de faire l'unanimité, particulièrement au Canada. Becky Scott, l'ex-fondeuse canadienne, a claqué la porte de la Commission des athlètes de l'AMA, dont elle était la présidente, la semaine dernière. Jean-Luc Brassard, dans une entrevue accordée jeudi à Radio-Canada, a déclaré que «les criminels ont pris le contrôle du tribunal». Paul Melia, président et chef de la direction du Centre canadien pour l'éthique dans le sport a dit qu'avec cette décision, «l'AMA lève le nez sur les athlètes propres». Des réactions qui ne surprennent guère Mme Ayotte.

«Plusieurs gouvernements, dont l'agence américaine, tirent à boulets rouges sur l'AMA. L'IAAF n'a pas encore réintégré la Fédération russe d'athlétisme, car elle ne la trouve pas conforme. La commission des athlètes du CIO approuve la réadmission, mais pas celle de l'AMA. Le milieu est divisé.

«Personnellement, jamais, jamais, avec tout ce que les Russes ont fait - incluant le labo russe - je ne pourrai avoir confiance qu'ils vont complètement avoir changé leurs façons de tricher, ajoute-t-elle. Même s'ils ont mis un laboratoire dans une université. Il faudrait que ce laboratoire soit sous tutelle et même à cela, il y a des limites. Je vais personnellement m'assurer, dans les limites de mes capacités d'agir, que personne ne les aide à redevenir les tricheurs qu'ils étaient.»

Selon elle, cette culture de la tricherie est si ancrée en Russie qu'elle ne voit pas comment le pays pourra changer ses façons de faire.

«Là où je doute beaucoup de la volonté des Russes, c'est que tous les athlètes russes qui ont eu des tests positifs à la suite des nouvelles rondes de tests ont tous poursuivi. Ils ont eu un appui financier, ils ont pu embaucher des experts américains et russes et se sont battus à coups de fausse science et de faussetés contre ces résultats positifs. Le pays les soutient encore !

«En ce qui a trait aux échantillons provenant du laboratoire russe, ils s'engagent à les rendre disponibles, à une date indéterminée. L'AMA nous dit qu'elle va s'assurer que ce soit fait rapidement. Pour l'autre condition, ils ont refusé d'appuyer les conclusions du Rapport McLaren, commandé par l'AMA, mais ils ont reconnu les conclusions du Rapport Schmid, du CIO. C'est bonnet blanc, blanc bonnet : Schmid est arrivé aux mêmes conclusions. Ça peut être vu comme un compromis, mais je ne pense pas que ce soit une compromission.»

Mme Ayotte refuse toutefois de blâmer uniquement l'AMA pour cette volte-face.

«Encore une fois, l'AMA suit les règles et les recommandations des comités, mais je pense qu'elle oublie l'émotivité, les sentiments qui font partie de ce dossier, et la façon dont plusieurs athlètes peuvent se sentir floués par le retour des Russes.

«L'AMA est composée des milieux sportifs internationaux et des gouvernements. On peut comprendre que les Américains vont s'opposer au retour des Russes. Mais à la limite, ce n'est pas crédible en un sens, parce qu'ils s'opposent au retour de compétiteurs pour leurs athlètes. Le mouvement sportif - les fédérations, dont le CIO - a aussi tout intérêt à ce que les Russes reviennent dans le giron olympique, car la Fédération de Russie est riche et a beaucoup d'argent à mettre dans le sport. Ça relève aussi le niveau sportif, le cirque des Olympiques et des Championnats mondiaux. Alors on voit qu'il y a des intérêts divergents en jeu.

«Je ne pense pas que l'AMA puisse être accusée d'avoir cédé, même si le comité exécutif est composé de la famille olympique. Les six membres du CIO ont tous appuyé cette recommandation et il n'y a eu que deux votes contre: il y a donc des gouvernements qui étaient en faveur. L'AMA est faite ainsi: il n'y a pas eu de pression, mais le grand cirque du sport était à l'oeuvre.»

Que Rodchenkov se taise

Grigory Rodchenkov, ex-directeur du laboratoire de Moscou, est le lanceur d'alerte derrière cette condamnation de la Russie. Loin de l'en remercier, Christiane Ayotte estime qu'il est à la source du problème et n'a pas mâché ses mots à son endroit.

«C'est un mécréant. Il l'a toujours été et l'est encore! Et je me retiens, a-t-elle souligné. Rodchenkov a contribué au problème. Il n'a pas juste suivi: il a été à l'avant du problème russe pendant tout ce temps. Il aurait intérêt à se la fermer. Je ne veux plus l'entendre. Il pourrait disparaître des médias que ça ferait mon affaire.

«Ce n'est pas un interlocuteur crédible. Je ne vois pas comment il est devenu du jour au lendemain un si bon organisateur. D'autant que c'est l'AMA qui l'a forcé à fuir, l'a obligé à démissionner et qui le poursuit depuis des années afin de mettre fin à son petit jeu lucratif, qui lui a mis beaucoup d'argent dans les poches, en passant. Alors on peut comprendre qu'il ait un os contre l'AMA. Mais moi, je ne veux plus entendre parler de lui. On n'est quand même pas pour écouter un tricheur pareil, d'une intelligence limite, venir nous dire ce qu'il faudrait qui soit fait ou non. Les Russes sont des tricheurs. Il était un tricheur. Tant pis pour lui, qu'il disparaisse!»

- Avec Gregory Strong, du bureau de Toronto