Le décision du Comité international olympique (CIO) de bannir la Russie des Jeux olympiques de PyeongChang a eu l'effet d'une «bombe» à l'ovale de Salt Lake City, hier matin.

À l'entraînement en prévision d'une Coupe du monde de patinage de vitesse longue piste, les athlètes se sont réjouis de cette décision «sans précédent». Sauf les Russes, évidemment, aussitôt pourchassés par des caméras dans les minutes qui ont suivi l'annonce.

«Beaucoup de gens étaient contents, mais les Russes avaient l'air assez assommés, a décrit le Canadien Alex Boisvert-Lacroix. Personne ne pleurait ou quoi que ce soit, ils ont essayé de garder leur sang-froid, mais tu voyais que ça ne volait pas haut autour de leur groupe. L'ambiance était lourde. C'était à la limite du malaise.»

«Très surpris», le patineur de Sherbrooke se dit «extrêmement content que le CIO ait décidé de prendre des mesures drastiques, mais réalistes».

Des athlètes russes pourront concourir sous le drapeau olympique, mais ils devront d'abord montrer patte blanche auprès d'un comité de testeurs indépendants.

Ça risque d'être compliqué pour le double champion mondial Pavel Kulizhnikov, objet d'un test positif en 2012 et d'une suspension de deux ans, ce qui devrait en principe le disqualifier pour une «invitation», selon les règles édictées par le CIO.

«C'est une grosse nouvelle», a souligné Boisvert-Lacroix, un rival direct de Kulizhnikov au 500 m. «Il y a au moins un gros adversaire qui tombe pour les Jeux, il n'y a pas de doute.»

Laurent Dubreuil, lui aussi gagnant d'un 500 m en Coupe du monde cette saison, se réjouit que le CIO cible les plus hautes instances.

«Les athlètes qui subissent un test positif sont suspendus. Les coachs et les docteurs ne le sont pas. Ils passent à un autre et ça n'arrête jamais. Si on commence à les bannir, les pays vont sûrement commencer à s'ouvrir les yeux et ça va les forcer à changer. C'est la meilleure nouvelle qu'on pouvait espérer.»

Changement des mentalités

Le champion mondial de ski de fond Alex Harvey a également estimé que le CIO avait pris «la bonne décision à première vue».

«C'est probablement la meilleure façon de provoquer de vrais changements», a-t-il jugé depuis Davos, où il se prépare pour une Coupe du monde en fin de semaine.

En après-midi, il a croisé des rivaux russes dans la salle de musculation de l'hôtel. Les entraîneurs qui haranguaient les athlètes étaient les mêmes qu'aux Jeux de Salt Lake City, en 2002, lui a fait remarquer le technicien-chef Yves Bilodeau. Deux fondeuses russes avaient alors devancé l'Albertaine Beckie Scott avant d'échouer à des tests antidopage.

«Ça ne change pas, c'est ça, l'affaire. Les athlètes sont remplacés et le système reste le même. [...] C'est la première fois que la punition est aussi large. C'est un pas dans la bonne direction.»

Le fondeur de Saint-Ferréol-les-Neiges attend de voir les modalités d'application des sanctions du CIO avant de se réjouir complètement. «Est-ce que les entraîneurs de l'équipe de Russie, les médecins, les directeurs sportifs et les farteurs seront là sous le drapeau olympique? Si c'est ce qui arrive, il n'y a pas grand-chose qui aura changé dans les faits.»

En sévissant contre les dirigeants et entraîneurs plutôt que les seuls athlètes, le CIO a pris la voie la plus juste, selon le fondeur et les deux patineurs interrogés.

«J'ai l'impression que si les athlètes ne suivent pas la recette du docteur, ils sont renvoyés chez eux, a indiqué Harvey. Ce n'est pas un choix libre et éclairé. Ça ne justifie rien, mais ça explique. Il faut que tout le monde reçoive une punition.»

Cette «claque dans la face» devrait susciter la «honte» en Russie et provoquer un changement des mentalités, espère Dubreuil. Ce dernier s'indigne que des patineurs du calibre de Kulizhnikov et de Ruslan Murashov, ainsi qu'une dizaine d'autres athlètes russes, n'aient fait l'objet d'aucun test de leur agence antidopage nationale cette année, selon une compilation d'ESPN.

«Il faut que quand on voit un Russe sur la ligne de départ, les gens se disent qu'il n'a pas plus de chances d'être dopé qu'un Allemand, un Polonais ou un Canadien, a-t-il souligné. Il faut avoir confiance au sport pour que ça marche. Sinon, ça va être de la lutte. Au moins, on sait que c'est arrangé. Ça a le mérite d'être clair.»

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«Un minimum», selon Brassard

Un «coup de règle» sur les doigts du géant russe. Voilà comment Jean-Luc Brassard analyse la décision du Comité international olympique (CIO) au sujet de la participation de la Russie aux Jeux olympiques de PyeongChang.

Le champion olympique y voit une forme d'aménagement « politique » pour ménager les susceptibilités du pays de Vladimir Poutine. À ses yeux, la commission exécutive du CIO n'avait d'autre choix que de sanctionner au moins le comité olympique russe et ses dirigeants.

«C'est toujours bien rien qu'un minimum», a confié un Brassard remonté, hier soir, au téléphone. «Je pense que le journal Le Monde avait la manchette la plus juste: "Le CIO exclut la Russie, mais pas ses athlètes".»

Le chef de mission démissionnaire de l'équipe canadienne pour les JO de Rio se sentait seul sur son île à juger insuffisantes les sanctions contre la Russie.

«Se satisfaire de ces mesures aujourd'hui, c'est comme être un lépreux et remercier ton tortionnaire d'avoir mis le thermostat du frigo à -3 au lieu de -17, a-t-il lancé. J'entends qu'il ne fallait pas pénaliser de pauvres petits athlètes russes. Ben non! Ce sont plutôt les petits athlètes canadiens et d'autres pays qui, toute leur vie, ont eu une run de journaux pour aller aux Olympiques qu'il faut plaindre. Ils finissent septièmes dans l'anonymat le plus complet parce qu'ils ont été battus par six dopés.»

En ce sens, Brassard estime que l'organisme À nous le podium fait fausse route en orientant ses recommandations de financement sur la base des résultats aux JO. «Notre sport canadien devrait être beaucoup plus axé sur une saison de six mois, où c'est beaucoup plus difficile de contrôler les résultats par le dopage. C'est quoi cette idée d'attribuer notre financement sur un one-shot deal d'une organisation opaque qui s'appelle le CIO, duquel on a le droit de ne rien dire? Il faut arrêter de vénérer le CIO et son image de marque.»

Malgré les efforts de pionniers comme Dick Pound et Christiane Ayotte, la lutte contre le dopage n'a avancé que d'un «demi-glissement d'escargot depuis 40 ou 50 ans», affirme Brassard. «Pierre Harvey se battait contre des dopés en 1988. Son gars est pogné dans la même maudite affaire 30 ans plus tard! Il n'y a pas de quoi s'applaudir.»

Photo Ivanoh Demers, archives La Presse

Jean-Luc Brassard