Les Jeux olympiques de Londres ont été une catastrophe pour Triathlon Canada. L'Albertaine Paula Findlay avait terminé au dernier rang, en pleurs et blessée. Simon Whitfield, premier champion olympique de la discipline, avait vertement critiqué la direction de l'organisation pour la prise en charge déficiente de son plus bel espoir.

Près de quatre ans plus tard, la situation n'est pas plus rose. À une semaine de la fin du processus de qualification pour les JO de Rio de Janeiro, l'incertitude et l'instabilité planent autour de la fédération canadienne.

Une réduction de budget a causé la mise à pied de plusieurs employés, dont celle, récente, de l'entraîneur de l'équipe nationale, Jamie Turner. Peter Davis, directeur haute performance depuis décembre, vient aussi d'être remplacé sur une base intérimaire par Jonathan Hall, qui s'occupait des moins de 23 ans au centre national de Victoria.

De leur côté, les athlètes de l'équipe canadienne ont appris qu'ils ne recevraient plus de financement pour couvrir leurs frais de déplacement et de subsistance pour les compétitions jusqu'à la fin de la saison.

«[Les dirigeants] ne semblent pas trop avoir appris de 2012», regrette Sarah-Anne Brault, jointe en Australie la semaine dernière. «Je ne sais pas exactement ce qui se passe, mais ce n'est pas nécessairement idéal pour une année olympique.»

Substitut pour les JO de Londres, la triathlonienne de 26 ans s'entraîne depuis deux ans avec le Néo-Zélandais Turner. Ses compatriotes Amélie Kretz, Tyler Mislawchuk et Alexis Lepage, plusieurs Australiens et la championne du monde américaine Gwen Jorgensen font partie du même groupe, les Wizards de Wollongong.



Décentralisation

Embauchée dans la foulée de l'échec de Londres en 2012, l'ex-directrice haute performance de Triathlon Canada, Libby Burrell, avait encouragé cette décentralisation et ce modèle d'entraînement multinational. La Sud-Africaine avait engagé Turner en 2013, sachant que les meilleures Canadiennes pourraient apprendre au contact de la numéro un mondiale Jorgensen. Or, Burrell a quitté la fédération sans avertissement l'automne dernier pour accepter un poste de conseillère à la haute performance à l'organisme À nous le podium (ANP).

Ironiquement, une coupe radicale du financement d'ANP a provoqué la majeure partie des déboires actuels de Triathlon Canada. Pour l'année financière qui a commencé le 1er avril, l'organisation recevra 350 000 $ de moins, soit une réduction de 60 % par rapport à la subvention de l'année précédente. «Ça a eu un effet majeur», admet le directeur général de Triathlon Canada, Tim Wilson.

ANP est un organisme fédéral qui soutient les meilleurs espoirs de médailles canadiens par l'entremise des fédérations, pour des besoins et des ressources précis.

«[Les dirigeants d'ANP] fondent leur opinion sur les chances des triathloniens de monter sur le podium, souligne Wilson. Il y a plusieurs athlètes canadiens en général qui sont très prometteurs. Ils doivent donc mettre leur argent derrière ces athlètes qui, pensent-ils, sont les plus prometteurs en ce moment.» 

«Malheureusement pour le triathlon, ils [les dirigeants de l'organisme À nous le podium] ne croient pas qu'on a tout à fait un potentiel de médaille pour 2016.»

Le non-renouvellement du contrat de Jamie Turner et l'arrêt du financement des dépenses des membres de l'équipe nationale sont des conséquences directes des coupes d'ANP, indique Wilson.

Le départ précipité de Burrell avait provoqué l'embauche de Peter Davis de façon intérimaire. Pressenti à l'époque, Jonathan Hall ne se sentait pas prêt à remplir ce rôle, affirme le directeur général. Les choses auraient changé dans les dernières semaines. Entraîneur renommé issu des programmes australien et américain, Hall aura donc la tâche de sélectionner les triathloniens qui représenteront le Canada à Rio.

«Jonathan Hall est un expert du triathlon hautement qualifié, ce que n'était pas Peter Davis», soutient Wilson. Triahtlon Canada ouvrira bientôt le poste de directeur haute performance en vue du prochain cycle olympique.

«Ignorer le chaos»

À l'autre bout de la planète, Sarah-Anne Brault et Amélie Kretz ont cherché à faire fi de la vague de changements à Triathlon Canada. Jamie Turner continue de les diriger sur les bases d'une entente privée.

«On avait le choix de retourner au Canada et de s'entraîner avec des entraîneurs canadiens, dans un centre national où on serait soutenues, mais tu ne fais pas ça une année olympique», souligne Brault, originaire de Lévis.

Kretz, de Blainville, compte sur des commanditaires personnels et la subvention mensuelle du programme d'aide aux athlètes de Sport Canada pour subvenir à ses besoins. Comme sa coéquipière, la triathlonienne de 22 ans préfère penser à la dernière course de qualification pour Rio, samedi, à Yokohama, au Japon.

«C'est plate pour nous, mais ma priorité, c'est de me qualifier, me concentrer sur ce que je peux contrôler et essayer d'ignorer tout le chaos à Triathlon Canada en ce moment», résume Kretz.

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Photo fournie par Alexis Lepage

Alexis Lepage

Incertitude pour Rio

À moins d'une semaine de la fin d'un processus de sélection qui s'étendait sur deux ans, on ne sait toujours pas combien de triathloniens canadiens s'aligneront à Rio. Tout se décidera samedi lors de l'étape des Séries mondiales de Yokohama. À l'heure actuelle, le Canada détient deux places, tant chez les femmes que chez les hommes. Ce nombre pourrait grimper à trois (peu probable) ou descendre à une (possible).

Blessée en 2015 et victime d'un coup de chaleur à sa dernière compétition sur la Gold Coast, début avril, Amélie Kretz jouera gros au Japon. «J'ai fait le travail dans les derniers mois, souligne l'ancienne médaillée des Mondiaux U23. Je sais que je suis en forme et que je peux avoir de bons résultats. Mais je ne me mets pas de pression: je vais être là pour exécuter une bonne course.»

Actuellement deuxième Canadienne au classement olympique, Sarah-Anne Brault voudra non seulement décrocher un bon résultat pour son bénéfice personnel, mais aussi pour permettre à son pays de conserver ses deux places à Rio. «Je n'ai pas encore réussi à mettre trois bons segments ensemble cette année, analyse celle qui avait fini septième à Yokohama en 2014. Je sais que je peux le faire.»

Absentes depuis le début de la saison pour des raisons de santé, Kirsten Sweetland (12e) et Paula Findlay (18e) n'ont pas impressionné outre mesure pour leur reprise à une Coupe du monde au Mexique, samedi dernier. Si elles finissent parmi les huit premières au Japon, elles décrocheront une qualification automatique pour les Jeux olympiques. Sinon, le directeur haute performance Jonathan Hall déterminera les sélections discrétionnaires.

PHOTO DELLY CARR, ARCHIVES ITU

Amélie Kretz