Une bombe en Afghanistan a fait basculer sa vie. Il a perdu la jambe gauche. Comme d'autres soldats, il aurait pu sombrer dans l'alcool et la dépression. Mais il s'est raccroché au hockey. Non, ce n'est pas une histoire de millionnaire de la Ligue nationale. C'est celle de Dominic Larocque. Celle d'un soldat devenu paralympien. L'histoire d'un guerrier.

Dominic Larocque se souvient de l'avion. Il se souvient de la nuit. De la tension qui régnait dans le grand Hercules plein de soldats canadiens. Du survol de Kandahar dans la noirceur totale. Il se souvient de la chaleur étouffante au moment de marcher sur le tarmac.

La chaleur, c'est son premier souvenir d'Afghanistan. C'était en 2007, l'été de ses 20 ans. Le Québécois l'admet, il ne savait pas très bien dans quoi il s'embarquait.

«Est-ce que ça allait être comme dans les films ou pas du tout? Je n'en avais aucune idée, raconte Larocque. Je demandais à des vétérans, mais j'avais du mal à trouver des réponses. La plupart avaient participé à des missions en Bosnie avec les Casques bleus. Mais là, c'était autre chose complètement. Là, c'étaient des opérations de combat. C'était nouveau pour l'armée canadienne.»

Le jeune Dominic a vite compris ce qui l'attendait: la guerre. Une quinzaine de jours après son arrivée, l'un de ses amis est mort. Simon Longtin, 23 ans, était le premier militaire de Valcartier à mourir en Afghanistan. Il y en aurait plusieurs autres.

La mort de Longtin a entraîné une vague d'indignation au Québec. Avant l'incident d'août 2007, 57% des Québécois s'opposaient à l'envoi de soldats de Valcartier en Afghanistan. Le pourcentage a grimpé à 68% dans les jours suivant la mort du Québécois, selon un sondage réalisé à l'époque par La Presse.

«Ils nous ont réveillés le matin pour nous dire que Simon était mort. Ç'a été un choc, raconte Dominic Larocque. C'est là que je l'ai vraiment réalisé que ça pouvait arriver. Des fois, on pense que ça ne peut qu'arriver aux autres. Qu'on est des Rambo intouchables. Mais non.

«J'avais parlé à des vétérans qui avaient fait des missions, et des situations comme celles-là ne leur étaient pas arrivées en 15 ans de carrière. Finalement, c'est arrivé.»

La bombe

Dominic Larocque a décidé jeune d'embrasser la carrière militaire. Mais il ne rêvait pas à la guerre. Il voulait plutôt devenir technicien en recherche et sauvetage. «Il a toujours aimé ça, l'aventure. Il voulait aider le monde en détresse», raconte son père, Pierre Larocque.

Loin de Valleyfield où il a grandi, il rêvait de secourir des gens en montagne, en forêt, en mer, aux quatre coins du monde. Mais pour ça, il fallait «quatre ans d'armée». Il avait 16 ans quand il s'est présenté au centre de recrutement.

Le jeune avait le physique de l'emploi. C'était un sportif-né. Il jouait au hockey et au soccer. «Il n'a pas joué dans le double lettre, mais juste avant, raconte sa mère, Kathleen Poulin, qui l'a conduit à son lot d'arénas. Il adorait le sport. L'armée, c'est venu sur le tard. Comme bien des jeunes, il ne savait pas trop ce qu'il voulait faire comme métier. Je pense qu'il a été attiré par l'aventure.»

Les choses sont allées très vite. Il a été muté à Valcartier en 2006. Puis rapidement, on lui a annoncé qu'il partait en Afghanistan.

Le jeune militaire a été déployé dans le district de Panjwaye, un bastion taliban. «Pas mal l'endroit le plus dangereux du pays», se rappelle celui qui était fantassin. Il vivait sur la ligne de front. «On était sur le terrain. On dormait souvent sur des toits de maison, sous les véhicules, on dormait où on pouvait.»

Quelques jours après son arrivée donc, son ami Simon Longtin a été tué. Puis trois jours plus tard, le 22 août, deux autres Québécois, Mario Mercier et Christian Duchesne, sont morts coup sur coup. Une atmosphère lourde s'est installée chez les soldats de Valcartier en Afghanistan. Plus personne ne se prenait pour Rambo. Tout pouvait arriver.

Dominic Larocque se souvient peu de la journée du 27 novembre 2007. Il se souvient être parti en patrouille dans un véhicule blindé léger. Puis c'est tout.

Il s'est réveillé trois jours plus tard dans un hôpital de Kandahar. Des amis lui ont narré l'explosion. Ils lui ont raconté la bombe artisanale posée par les insurgés talibans. Il a appris que deux autres soldats avec lui dans le véhicule avaient été blessés: l'un a perdu ses pieds et l'autre s'est cassé le cou.

Pour sa part, il avait failli y passer. La bombe a explosé juste sous lui. «Je me rappelle m'être réveillé à l'hôpital. J'ai vu qu'il me manquait une jambe. J'avais l'autre jambe pleine de vis pour réparer les fractures. Mais j'étais confus aussi parce que je prenais pas mal de médicaments. Je restais réveillé quelques minutes et je me rendormais. J'avais des flash-backs.»

Il a été rapatrié quelques jours plus tard. Mais son arrivée au Québec ne marquait pas la fin du calvaire. C'était plutôt le début d'un long processus de reconstruction. Un processus duquel plusieurs soldats brisés ne se remettent jamais.

Photo Finbarr O'Reilly, Reuters

«C'est un combattant»

Six ans après l'explosion, certaines blessures restent vives. La mère de Dominic Larocque n'est toujours pas capable de parler du coup de téléphone qui l'a réveillée dans la nuit de novembre 2007. Un appel en provenance d'Afghanistan, porteur de mauvaises nouvelles. «J'aimerais parler d'autre chose», échappe-t-elle, la gorge nouée, après un long silence.

Mais Kathleen Poulin accepte de raconter comment son fils s'est battu après avoir perdu sa jambe gauche. Elle se rappelle ses visites au Centre de réadaptation François-Charron, à Québec, les autres soldats blessés, dont certains complètement découragés, dépressifs, brisés.

Dominic aussi a eu sa période noire. «Tu perds tout. Tu ne sais plus ce qui t'attend. Dominic a vécu ça, rappelle Mme Poulin. Mais il s'en est sorti très vite. Il relativisait les choses: "Ça aurait pu m'arriver dans un accident de la route entre Montréal et Québec". Il a pris les choses avec philosophie.

«On lui a découvert ce que j'appellerais une vieille âme. On ne savait pas qu'il était comme ça plus jeune. On l'a découvert là, dit-elle. C'est pas mêlant, des fois, c'est lui qui nous remontait le moral.»

Dominic Larocque se souvient de cette année 2008 comme la plus dure de sa vie. «Marcher, on tient ça pour acquis. C'est tout un choc de devoir réapprendre, dit celui qui a passé un an en réadaptation. Il y avait d'autres soldats au Centre. Il y en a qui ont pris des chemins différents: drogue, alcool, dépression. C'est dur à expliquer, qui prend quel chemin et pourquoi.»

Les suicides de militaires canadiens ont fait les manchettes dans les dernières années. Juste avant Noël, quatre anciens combattants de la guerre d'Afghanistan se sont enlevé la vie.

Le jeune soldat a chassé de sa tête les idées noires en les remplaçant par une obsession de tous les instants: réapprendre à marcher, vite, et reprendre une vie «normale».

Photo Jeff McIntosh, PC

De l'Afghanistan à Sotchi

Il a commencé par la natation. Il voulait refaire du sport, comme lorsqu'il était enfant, comme avant son accident. Puis en 2008, il est tombé par hasard sur un match des Championnats du monde de hockey sur luge à la télévision. «Je n'avais jamais vu ça avant. Ça m'a plu.»

Les choses ont déboulé. Il a été initié au sport l'année suivante par un membre de l'équipe nationale de passage à Québec. En 2010, il s'est équipé, a eu sa luge. Lors d'un tournoi peu après les Jeux de Vancouver, un cadre de Hockey Canada l'a aperçu et l'a invité au camp d'entraînement de l'équipe nationale.

Sportif et avec une bonne expérience du hockey, il s'est taillé une place dans l'équipe. Il est devenu le deuxième joueur québécois de la formation.

«C'est le même sport, avec les mêmes règlements, les mêmes principes de jeu. Sauf qu'on ne patine pas debout, explique Dominic Larocque, qui portera le numéro 26 à Sotchi. La grande différence, c'est d'apprendre à jouer avec deux mains et patiner avec les deux mains. À un niveau élevé, ça va très vite. C'est contact, alors il faut garder la tête haute.»

Joindre l'équipe canadienne de hockey sur luge, se rendre pour la première fois aux Jeux paralympiques, c'est un baume sur des années difficiles.

Après son accident, Dominic Larocque a dû faire une croix sur son rêve d'adolescence de devenir technicien en recherche et sauvetage. Il a plutôt suivi des formations pour être graphiste au sein de l'armée. C'était un deuil.

Il partage aujourd'hui sa vie entre l'armée, sa copine et le hockey. Il va au gym presque tous les jours et passe six heures par semaine sur la glace. Il n'a pas le salaire d'un joueur de la LNH. Mais il sait que le hockey lui a donné beaucoup plus que de l'argent. «Le hockey l'a sauvé», dit sa mère.

«C'est une tragédie et ça va rester une tragédie. Mais ça a pris ça pour l'amener là où il est aujourd'hui. On parle beaucoup des suicides de militaires dans les médias, mais je trouve qu'on ne parle pas assez de ceux qui se sont relevés, note Kathleen Poulin. Non, les premiers temps n'ont pas été faciles. Mais c'est un combattant, Dominic. Je trouve que son histoire envoie un beau message.»

Aux Jeux paralympiques de Sotchi, qui ont commencé vendredi, l'équipe canadienne vise l'or. Elle pourrait marquer l'histoire en réalisant un premier triplé au hockey olympique: victoire des hommes, des femmes et des paralympiens.

Dominic Larocque, lui, va marquer sa propre page d'une histoire tourmentée. Une histoire qui l'a mené de l'Afghanistan à Sotchi. Une histoire de guerre et de hockey. Une histoire de rêve, de deuil et de courage.

Photo Jeff McIntosh, PC