Deux semaines après la fin des Jeux olympiques de Londres, les Jeux paralympiques se mettront en branle merdredi et ce, jusqu'au 9 septembre. La délégation canadienne débarque dans la capitale anglaise avec en poche des centaines de médailles gagnées au cours des années, mais avec des objectifs à la baisse par rapport à la récolte de Pékin. Le programme paralympique canadien aurait-il plafonné?

Gaétan Tardif connaît comme le fond de sa poche le mouvement paralympique canadien. Chef de mission auprès de l'équipe qui représentera le pays à Londres au cours des prochains jours, il a été de tous les Jeux depuis ceux de Sydney, en 2000, alors qu'il était médecin au sein de la formation.

Aux Jeux d'hiver, le Québécois a vu ses protégés s'améliorer au fil des années, terminant troisièmes du classement des médailles d'or à Vancouver (2010) après deux sixièmes places (2002 et 2006). Aux Jeux d'été, le résultat a été tout à l'inverse: à deux troisièmes places (2000 et 2004) a succédé un septième rang à Pékin, en 2008. Et voilà qu'athlètes et dirigeants de l'équipe canadienne visent ouvertement une huitième place à Londres.

L'équipe canadienne doit-elle se résigner au déclin? Absolument pas, maintient le Dr Tardif, qui salue plutôt le gain de profondeur et de vitalité du mouvement à l'échelle internationale.

«Les Jeux paralympiques sont encore en évolution, dit-il. De la compétition qui n'existait pas arrive: l'opposition est de plus en plus féroce, et c'est bon pour les Jeux.»

Directrice générale du programme À nous le podium, Anne Merklinger ajoute que le Canada a longtemps été et est toujours un modèle pour les nations qui lui emboîtent le pas et qui investissement désormais des sommes colossales dans le sport paralympique.

Ainsi, dans cette optique, «un top 8 est un objectif très élevé», dit-elle. «Ça veut dire qu'il faudra transformer en or plusieurs médailles de bronze et d'argent gagnées au cours des dernières années.»

Course au financement

Conséquence logique de cette compétition croissante, la course aux médailles se veut également une course au financement. La Chine, par exemple, a ouvert les vannes en vue de «ses» Jeux en 2008, et le Brésil adopte la même stratégie à quatre ans des Jeux de Rio (2016).

Ceci explique en partie le pas en arrière du Canada, dont le Comité paralympique (CPC) doit boucler un budget qui équivaut à une fraction de celui de certains de ses adversaires.

«Nous savons que la Corée et la France ont des budgets annuels d'environ 30 à 35 millions de dollars, alors que le nôtre, en cette année de Jeux, est de 8 millions», indique Henry Storgaard, président du CPC.

Le problème du financement est donc majeur, et on assure s'y attaquer de front. Déjà, à l'approche des Jeux de Vancouver, le gouvernement du Canada a débloqué des sommes considérables pour les programmes olympiques et paralympiques. À cela s'ajoute l'apport d'À nous le podium (ANP), qui fournit depuis 2005 des enveloppes aux fédérations sportives ainsi qu'à certains athlètes individuels ciblés comme espoirs de médailles pour les aider à optimiser leur entraînement à l'approche des Jeux.

Et ANP ne distingue pas les athlètes olympiques de leurs homologues paralympiques, assure Anne Merlkinger, ancienne olympienne dont la fille Meagan Michie nourrit elle-même le rêve paralympique. Atteinte du syndrome de Prader-Willi, une rare maladie génétique, Meagan a toutefois raté sa qualification pour Londres en natation.

«Quand nous parlons des Jeux, nous parlons d'un tout», confirme Mme Merklinger.

Partenariats

Plus riche d'une somme annuelle de 5 millions consentie par le gouvernement fédéral, le CPC tente également par tous les moyens de séduire les investisseurs du secteur privé.

Dans la recherche de partenariats corporatifs, Henry Storgaard et Gaétan Tardif soulignent que leurs principaux arguments de vente sont les athlètes eux-mêmes.

«Dès que quelqu'un assiste à une compétition paralympique, on observe un immense changement dans sa conception du sport, dit M. Storgaard. La personne peut alors s'attarder aux habiletés des athlètes, pas à leur handicap. Nous devons continuer de sensibiliser le public et les commanditaires au fait qu'il s'agit de sports de haute performance.»

«Dès qu'on est capables de convaincre un commanditaire potentiel de venir aux Jeux, en général, c'est de l'argent en banque, complète le Dr Tardif. À Chicoutimi, où j'ai grandi, à peu près personne ne connaît les règles du cricket. Pourtant, c'est un sport qui intéresse un milliard et demi de personnes dans le monde, il doit y avoir une raison! C'est la même chose pour les sports paralympiques: il faut être capable d'en expliquer rapidement l'intérêt, les stratégies, etc.»

Développer, recruter

Le retour sur investissement de cet argent neuf ne risque toutefois pas d'être remarqué à Londres, mais plutôt à Rio.

En effet, le CPC a pris la décision d'amorcer sa reconstruction en amont, en mettant l'accès sur le recrutement et sur le développement.

À l'heure où les États-Unis ont poussé si loin les limites du recrutement qu'ils ont créé un programme spécifique aux vétérans d'Afghanistan et d'Irak, le Canada, lui, ne compte même pas un recruteur à temps plein.

«Et n'oubliez pas qu'il y a plus de personnes avec un handicap en Chine qu'il y a d'habitants au Canada, dit Gaétan Tardif. Ça illustre à quel point le défi de recrutement est grand pour nous.»

En outre, notamment en raison de compressions budgétaires passées, le CPC a dû sacrifier le développement des jeunes athlètes au profit de la haute performance. Une décision qui a payé à court terme, mais qui a accouché d'une génération de «stars» aujourd'hui vieillissantes.

«On est dans un creux, confirme la multimédaillée en athlétisme Chantal Petitclerc. Les investissements des dernières années aideront à renverser la tendance et à reprendre l'avance qu'on a déjà eue, mais le fruit n'est pas encore mûr.»

Et dans l'optique du développement, on mise dorénavant sur la base, explique le Dr Tardif, en multipliant les organisations locales.

«Il faut tisser des liens entre les différentes organisations, surtout dans les petites communautés, dit-il. Ça nous prend une base pour trouver les gens qui ont du talent, leur fournir des équipements et des ressources, et ainsi former une nouvelle relève.»

Et à Londres?

Ceci étant dit, tout n'est pas gris pour les athlètes canadiens qui s'apprêtent à s'envoler pour Londres.

«J'en suis à mes septièmes Jeux, et je n'ai jamais vu une aussi bonne préparation à ce jour», assure le Dr Tardif.

Quant à la récolte totale de médailles, elle est bien secondaire pour les athlètes une fois la compétition amorcée. «Les athlètes s'imposent eux-mêmes suffisamment de pression, ils ne pensent pas à ça, note Anne Merklinger. Tous ceux qui vont aux Jeux ont investi huit, 10, 12 ans de leur vie pour se préparer: je crois que les Canadiens vont célébrer leur performance, pas seulement leurs médailles.»

Il reste que vu la maigre récolte du Canada aux récents Jeux olympiques de Londres - une seule médaille d'or -, on ne peut s'empêcher de souhaiter un meilleur sort aux paralympiens.

«Si on n'en gagne pas au moins deux, je doute d'avoir encore un emploi à mon retour!», souligne Henry Storgaard en riant.

Le défi est donc lancé. En attendant Rio.

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Les Jeux paralympiques en chiffres:

12 JOURS

Les Jeux auront lieu du 29 août au 9 septembre

4000

Nombre approximatif d'athlètes qui convergeront vers Londres

145

Nombre d'athlètes dans la délégation canadienne. 134 officiels (arbitres, entraîneurs, personnel de mission, etc.) et 12 athlètes de support (pilotes de vélo, guides pour la course, etc.) les accompagnent.

19

Nombre de médailles d'or remportées par le Canada à Pékin, dont cinq par Chantal Petitclerc (athlétisme) et trois par Valérie Grand'Maison (natation). Dean Bergeron et Michelle Stilwell (athlétisme) ainsi que Chelsey Gotell (natation) en ont ajouté deux chacun.

21

Nombre de sports présentés. Des Canadiens seront en lice dans 15 d'entre eux.

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Récolte canadienne dans l'histoire:

Année Ville Médailles d'or Rang*

1968 Tel Aviv 6 12

1972 Heidelberg 5 13

1976 Toronto 25 6

1980 Arnhem 64 4

1984 New York 87 3

1988 Séoul 54 4

1992 Barcelone 28 6

1996 Atlanta 24 7

2000 Sydney 38 3

2004 Athènes 28 3

2008 Pékin 19 7

Source: paralympic.ca