Sur le bord de la balustrade, tout près de la ligne d'arrivée, Curt Harnett frôlait l'apoplexie. Le chef de mission de l'équipe canadienne a poussé un soupir de soulagement lorsque les six coureurs sont passés sous son nez. Ce n'était pas la médaille d'or, mais ça s'en approchait.

Après avoir mis le feu au vélodrome de Milton avec deux victoires dans les épreuves de sprint, plus tôt cette semaine, Hugo Barrette a réchappé une situation périlleuse dans le dernier tour de l'épreuve de keirin, dimanche soir. Repoussé à l'extérieur comme quatrième homme, le pistard des Îles-de-la-Madeleine a réussi une remontée in extremis pour arracher le bronze.

« Dans mon livre, j'ai gagné, a tranché Barrette après coup. Revenir de si loin à moins de 100 mètres de l'arrivée, je ne pense pas qu'aucun autre coureur n'aurait été capable de faire ça. »

Surpris vendredi par le natif de Cap-aux-Meules en quart de finale du sprint, le Colombien Fabio Puerta, vice-champion mondial 2014, a pris sa revanche en imposant sa loi au keirin. Le Vénézuélien Hersony Canelon Vera a gagné l'argent.

Photo Chris Young, PC

Le keirin a beau être sa spécialité, le Québécois de 24 ans a accueilli ce bronze avec un immense sourire. « Je ne pouvais pas partir sans médaille, mais s'il y a un évènement où ça me dérangeait un peu moins de ne pas aller chercher l'or, si on veut, c'est bien le keirin. Il y a tellement d'imprévus! J'ai prouvé que j'étais le plus fort et le plus rapide au sprint et c'est là que ça se passe. C'est l'épreuve-reine. »

Coureur de milieu de peloton depuis le début de sa carrière, Barrette estime avoir « passé un message » aux Jeux panaméricains. « Tout le monde a entendu mon histoire. Tout le monde sait que je m'en viens. [...] Il va y avoir une petite pression quand je vais arriver dans la saison de Coupe du monde. On va m'attendre de pied ferme. Mais j'ai bien hâte de leur prouver qui je suis maintenant. »

LE BOURLINGUEUR DES ÎLES

Né au milieu d'une fratrie de six enfants, Barrette s'est expatrié à 18 ans de ses îles chéries pour accomplir son destin sportif. Il a bourlingué entre Bromont, Sherbrooke, la Floride et Los Angeles, avant de s'établir à Milton au début de l'année. Malgré l'absence de soutien et d'argent et les blessures, il s'est accroché.

À quelques reprises, ses parents ont cru que leur fils abandonnerait le sport. « C'est un rêveur », a dit son père Serge, qui a assisté à toutes les compétitions avec sa femme, Dominique Gauthier, et leurs deux autres fils plus âgés, David et Simon, 26 et 25 ans.

Aujourd'hui, Barrette profite de conditions d'entraînement idéales dans ce qui deviendra un centre national à Milton. Avec ses trois médailles à de mêmes Jeux panaméricains, il surpasse Gordon Singleton, double médaillé d'or en 1979 à San Juan, et Harnett lui-même, médaillé de bronze et d'or en 1987 à Indianapolis. Ses deux prédécesseurs l'ont d'ailleurs entouré pour une prise de photo après la course.

Retenues par les études et le travail, les trois petites soeurs d'Hugo n'ont pu faire le voyage à Toronto. Depuis Cap-aux-Meules, Cloé et Joële, 21 et 19 ans, filmaient les courses avec un téléphone pour les transmettre ensuite à leur grande soeur Fani, 22 ans, qui fait un stage en dentisterie à Paris.

« Je ressens beaucoup de fierté. Je n'ai jamais eu un tel rush d'adrénaline », a décrit M. Barrette, assis dans les premières rangées.

À la toute fin, les parents ont reçu une accolade émotive de leurs fils venus les rejoindre dans les gradins. « J'étais content de faire une bonne performance devant la famille et les amis, a dit Hugo. Avec la foule, c'était comme une médaille d'or. Le support a été incroyable : des Îles-de-la-Madeleine au Québec et au Canada au grand complet. J'ai vraiment senti l'amour. »

Au vélodrome

Un ovni

Le vélodrome des Jeux panaméricains ressemble à un ovni qui se serait posé au beau milieu d'un champ. Érigé en périphérie de Milton, à une heure de route de Toronto quand il n'y a pas de circulation, l'édifice de 56 millions est entouré de fermes et de terres agricoles. L'endroit est propice à l'observation des outardes, comme les journalistes endormis ont pu le constater à l'arrivée de la navette, dimanche après-midi. Après les Jeux, Cyclisme Canada y installera son centre national.

Le bronze pour Pelletier-Roy

Déçu de sa cinquième place la veille à l'omnium, Rémi Pelletier-Roy a rebondi en menant l'équipe de poursuite vers le bronze contre le Venezuela. « Je suis vraiment content d'avoir gardé mon esprit positif et d'avoir réussi à gagner une médaille avec ces jeunes-là », a exprimé l'aîné du groupe à 25 ans. « C'est comme moi, le capitaine. Je suis vraiment fier d'eux. Il y a un an, je faisais 10 tours sur les 16. Maintenant, j'en fais quatre ou cinq. Ils ont beaucoup progressé. » Le cycliste de Longueuil tourne maintenant les yeux vers les Jeux olympiques de Rio, où il ferait son chant du cygne avant de reprendre ses études en médecine. Le processus de qualification commence en septembre dans le cadre des championnats continentaux au Chili. Pelletier-Roy mise surtout sur l'omnium. Une sélection à la poursuite par équipes est plus improbable. « Je veux vraiment amener ces gars-là le plus loin possible », a précisé Pelletier-Roy, qu'un coéquipier a pris dans ses bras pour la photo d'après-podium. « Je les vois en 2020 aux Olympiques à leur tour. »

Un triomphe

Les épreuves de piste des Jeux panaméricains ont été un triomphe pour l'équipe canadienne, qui a dominé le tableau des médailles avec 10, dont six d'or. Monique Sullivan a signé une troisième victoire record en s'imposant face à sa compatriote Kate O'Brien en finale du sprint individuel, dimanche. L'omnium masculin est la seule épreuve où le Canada n'a pas monté sur le podium. « C'est au-delà de nos espérances », s'est exclamé le directeur haute performance Jacques Landry. Clara Hughes avait été la dernière médaillée canadienne à des Jeux panaméricains, à Santo Domingo, en 2003. Il restera à transposer ces succès sur la grande scène des JO de Rio.