David Veilleux avait fait un rêve, vendredi. En fait, c'était plutôt un cauchemar. Il terminait deuxième d'une étape au Critérium du Dauphiné, dépassé de justesse à la ligne d'arrivée.

Voilà sans doute pourquoi il refusait d'y croire, deux jours plus tard, alors qu'il se dirigeait assurément vers la victoire lors de la première étape du Dauphiné, dimanche après-midi, à Champéry, en Suisse. «Je savais que ça regardait bien, mais tu ne veux pas te dire que ça marche, tu ne le réalises comme pas...»

Pourtant, tout ça était bien réel. Veilleux était fin seul à quelques hectomètres de la ligne d'arrivée, en avance sur le peloton, un peu plus bas, à deux minutes. Le cycliste de Cap-Rouge a lâché le guidon, serré les poings et hurlé sa joie en regardant vers le ciel.

«L'émotion que tu vis... C'est comme si ça t'envahit de joie. J'étais juste vraiment heureux», a-t-il résumé une heure plus tard.

À peine revenu dans sa chambre d'hôtel, Veilleux était encore «sur un nuage» quand il s'est branché sur Skype et a raconté sa journée un peu folle.

La victoire, de loin la plus importante de sa carrière, est énorme. Elle a permis à l'athlète de 25 ans de décrocher le premier maillot jaune de leader, que le grand Bernard Hinault, ancien triple vainqueur, lui a glissé sur les épaules lors de la cérémonie protocolaire. Il a ensuite reçu le bouquet et le lion en peluche, «un classique», le même qu'au Tour de France, qui organise aussi le Dauphiné depuis 2010.

«Juste ça, c'est spécial», a souligné Veilleux. «C'est un moment extraordinaire.»

Le Critérium du Dauphiné, épreuve World Tour disputée dans les Alpes et qui se poursuit jusqu'à dimanche, est la deuxième course par étapes en importance en France. Plusieurs des favoris du prochain Tour de France, dont Chris Froome et Alberto Contador, y sont en guise de préparation finale. D'autres, comme Veilleux, espèrent se démarquer pour obtenir leur sélection.

À l'évidence, cette victoire, arrachée au bout d'un numéro solo de près de 50 km, fait de lui un choix quasi incontournable pour l'équipe Europcar. Il deviendrait ainsi le premier natif du Québec à prendre le départ de la Grande Boucle, le 29 juin, en Corse.

Un «rideau»

En l'absence du traditionnel prologue, il paraissait clair que cette première étape de moyenne montagne susciterait les ambitions.

À la réunion matinale, les dirigeants d'Europcar ont ordonné à leurs troupiers de se glisser dans une échappée. Bien placé, Veilleux a lui-même mis le coup en oeuvre dès le deuxième kilomètre d'une étape en comptant 120. Trois coureurs se sont ensuite joints à lui.

À ce moment-là, Veilleux espérait avant tout fournir de la visibilité à son commanditaire et, qui sait, décrocher le maillot de la montagne. «Je ne pensais pas du tout que l'échappée se rendrait au bout aujourd'hui.»

Or, les équipes des favoris, peu motivées à assumer la chasse à ce stade précoce de la course, ont laissé aller. Ou «fait un rideau», selon le jargon employé par Veilleux.

L'écart avait atteint plus de 10 minutes quand les Saxo Bank de Contador, les Movistar de Valverde et les Sky de Froome se sont réveillés. Voyant l'avance fondre et sentant son ascendant sur ses trois compagnons d'échappée, Veilleux a alors tenté sa chance, sur les conseils de son directeur sportif, Sébastien Joly. Il s'est envolé à trois kilomètres du sommet du col du Corbier, principale difficulté de la journée.

«David traînait un peu les autres, qui étaient devenus un peu un boulet», a raconté Andy Flickinger, l'autre directeur sportif d'Europcar. «Ensuite, il restait 41 kilomètres pour rallier l'arrivée, dont 18 kilomètres de descente, en deux paliers, et deux autres petits cols. Par rapport à ces qualités de rouleur, il ne dépensait pas forcément beaucoup plus d'énergie que s'ils étaient à quatre.»

«C'était vraiment la

meilleure option pour aller chercher cette victoire, a enchaîné Flickinger. Je dis bien qu'il est allé chercher cette victoire. Elle n'est pas venue à lui.»

Malgré la chasse organisée dans le peloton et la tentative de retour solitaire du champion du monde du contre-la-montre, l'Allemand Tony Martin, Veilleux a conservé un coussin d'un peu plus de trois minutes dans l'avant-dernier col. Il restait à gérer les 20 derniers kilomètres et la montée finale vers Champéry.

«Je me suis bien reposé dans la descente pour pouvoir tout donner dans la dernière montée, qui n'était vraiment pas facile, et ne pas coincer dans le final», a expliqué le diplômé en génie mécanique.

Veilleux s'est imposé avec une avance de 1 min 56 s sur le Belge Gianni Meersman et de 1 min 57 s sur le Néerlandais Tom Slagter et le reste d'un peloton de 70 coureurs. Cela lui donne une marge suffisamment importante pour espérer pouvoir défendre son maillot jaune jusqu'au contre-la-montre individuel de jeudi.

François Parisien, de Bromont, a fini 152e à 14 minutes. En mars, Parisien est devenu le premier Québécois gagnant d'une course World Tour en remportant la cinquième étape du Tour de Catalogne.

Veilleux est le deuxième Canadien vainqueur d'étape au Critérium du Dauphiné. Steve Bauer a gagné une étape en 1988 et le prologue en 1989. «J'ai juste saisi la chance que j'ai eue», a résumé Veilleux, modeste.

Pierre Hutsebault, son entraîneur personnel, a exprimé sa «satisfaction du travail accompli» depuis le début de leur collaboration, en 2006. «C'est déjà satisfaisant de le voir au niveau ProTour. Qu'il gagne une étape, seul comme ça, c'est extraordinaire», a-t-il dit, joint quelques minutes avant que son protégé rallie l'arrivée. «C'est très émouvant.»

Hutsebault y voit une preuve de la santé du cyclisme québécois. «Avec une progression d'année en année, sans sauter les étapes, un coureur d'ici peut faire ça.»