Dans un livre dévastateur publié mercredi, un ancien coéquipier de Lance Armstrong détaille le système qu'aurait mis en place l'Américain pour remporter sept Tours de France. Le récit de Tyler Hamilton écorche le sportif, mais aussi l'homme, dépeint comme un manipulateur vindicatif.

Voici le portrait d'un monde opaque et de celui qui, au tournant des années 2000, y a fait la pluie et le beau temps. On y surnomme l'EPO «Edgar». Les inspecteurs antidopage sont des «vampires» et les journalistes des «trolls», tout juste bons à fouiller dans vos poubelles.

Jamais document n'avait encore été aussi loin dans la description méthodique de «l'ère Armstrong» et de son dopage généralisé: publiées hier en anglais, les mémoires du coureur américain Tyler Hamilton offrent une vue de l'intérieur même du peloton. Et ce qu'on y voit n'est pas beau.

Mais The Secret Race, écrit par le journaliste Daniel Coyle, ne raconte pas que le parcours d'Hamilton. À travers lui, ce sont les rouages mêmes du dopage dans le cyclisme professionnel qui sont exposés. Et à chaque page, plane l'ombre d'un homme: Lance Armstrong.

Le livre reprend les révélations faites par Hamilton à l'émission 60 Minutes en mars 2011. Il soutient notamment que Lance Armstrong a subi par le passé un contrôle positif à l'EPO. «Je le sais parce qu'il me l'a dit», affirme Hamilton dans le livre.

Mais cet épisode survenu au Tour de Suisse en 2001 aurait été passé sous silence par l'Union cycliste internationale. «Lance a fait travailler le système pour lui. Merde, même que Lance était le système!» dit-il à propos de son ancien coéquipier.

Hamilton raconte être arrivé sur le circuit professionnel avec la ferme intention de courir «au pain et à l'eau». Il a toutefois vite déchanté lorsqu'il a constaté qu'il ne pouvait pas rivaliser avec le peloton. Il lui a fallu mille jours pour flancher. «En parlant aux autres cyclistes, j'ai vu que c'était récurrent: ceux qui se dopaient commençaient généralement lors de leur troisième année.»

Il a ingurgité une capsule rouge, de la testostérone fournie par le médecin de l'équipe. On était en 1997. Puis il s'est mis à l'EPO un an plus tard, à peu près au même moment où Armstrong est devenu son coéquipier à la US Postal.

Au début, les équipes fournissaient l'EPO. Mais l'affaire Festina survenue juste en 1998 a changé la donne: désormais sous haute surveillance, les médecins d'équipe ont cessé de superviser les injections.

Dans cette «nouvelle ère», les cyclistes devaient se débrouiller eux-mêmes pour trouver la drogue. Et à ce jeu, Lance Armstrong aurait été imbattable. Hamilton raconte comment le Texan a engagé un Français du nom de Philippe. Officiellement homme à tout faire, celui qu'ils surnommaient «Motoman» sillonnait les routes de France sur sa moto pour livrer de l'EPO à Armstrong et à Hamilton entre les étapes du Tour.

Puis en 2000, Hamilton entend pour la première fois parler de transfusion sanguine. Il ne tergiverse pas longtemps: si d'autres le font dans le peloton, il le fera. Il raconte comment Armstrong s'est aussi lancé dans les transfusions: «Un soir, avant le souper, on a subi une transfusion dans nos chambres. Je pouvais voir les pieds de Lance, son bras, le tube.»

Le dopage prend des airs de course aux armements dans laquelle le septuple vainqueur du Tour n'a pas son pareil. «Dans le peloton, on se disait que Lance avait toujours deux ans d'avance sur les autres», dit-il.

Portrait peu flatteur

Sur une note personnelle, Hamilton décrit son compatriote comme un compétiteur-né, obsédé par la victoire. Il le dépeint aussi comme violent et vindicatif.

Lors d'une sortie d'entraînement près de Nice au printemps 2000, il raconte comment Armstrong aurait battu un automobiliste qui l'avait frôlé en lui criant des bêtises. «Je me rappellerai toujours de ce gars par terre, pleurant et le suppliant, et Lance le frappant.»

Puis il rappelle comment Armstrong aurait insulté un coureur français qui osait critiquer la pratique du dopage. Lors du Tour 1999, il enjoint Christophe Bassons à «aller se faire foutre et à quitter le sport». «Pour Lance, le dopage est une réalité de la vie, comme l'oxygène ou la gravité. Soit tu te dopes et tu le fais au maximum, soit tu te la fermes et tu t'en vas.»

Tyler Hamilton a collaboré à l'enquête de l'USADA qui a abouti, en août dernier, à la radiation à vie d'Armstrong pour violation des règles antidopage et l'a également déchu de ses sept titres de vainqueur du Tour de France.

Lui-même convaincu de dopage en 2004 et 2009, il dit espérer que Lance Armstrong, comme lui, passe aux aveux. «Lance préférerait peut-être mourir que de l'admettre, mais dire la vérité pourrait bien être la meilleure chose qui ne lui soit jamais arrivée.»

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Des extraits du témoignage de Tyler Hamilton dans The Secret Race:

> «Lance m'a pointé son frigo. Je l'ai ouvert et là, dans la porte, à côté d'une pinte de lait, se trouvait une boîte d'EPO. J'étais surpris qu'il soit si cavalier, mais Lance semblait ne pas s'en faire. Je me suis dit qu'il savait ce qu'il faisait, j'en ai pris une fiole et je l'ai remercié.»

> «Nous étions dans la cuisine de Lance lorsqu'il m'a expliqué le plan: on paierait Philippe pour suivre le Tour de France sur sa moto, transportant un thermos rempli d'EPO. Lance était presque rayonnant en m'expliquant le plan - il adorait ce genre de scénario d'agent secret.»

> Au printemps 2000, lors d'un entraînement près de Nice, un automobiliste aurait frôlé Armstrong et lui aurait crié une injure. Le cycliste aurait rattrapé la voiture. «Lance avait sorti le gars de sa voiture et le frappait, et le gars pleurait. Le visage de Lance était écarlate. Il était fou de rage. Je me rappellerai toujours ce gars par terre, pleurant et le suppliant, et Lance le frappant.»

The Secret Race: Inside the Hidden World of the Tour de France: Doping, Cover-ups, and Winning at All Costs

Tyler Hamilton et Daniel Coyle

Éditions Bantam, 304 pages