Il les a secoués une, deux, trois, quatre fois, cinq fois... À la fin, il ne restait plus personne. Même le tenace Robert Gesink n'en pouvait plus. Le méticuleux travail de sape de Philippe Gilbert était presque complet. La ligne d'arrivée l'attendait sur la Grande Allée. Il l'a franchie les deux index pointés vers le ciel.

«Avec 100 mètres à faire, j'ai pu en profiter et je me suis relevé. C'était un moment magnifique», a raconté Gilbert, hier après-midi, après avoir remporté avec panache la deuxième présentation du Grand Prix cycliste de Québec.

Cette victoire, la 17e d'une saison qui passera à l'histoire, permet au cycliste belge de s'installer pour de bon au sommet du classement mondial. «C'est vraiment un rêve éveillé que j'ai vécu pendant neuf mois», a reconnu l'athlète de 29 ans.

En descendant du vélo, le visage barbouillé par une poussière noire, Gilbert a sauté dans les bras du président de son fan-club, son papa Jeannot, venu spécialement de Remouchamps.

Dire que fiston n'était pas au sommet de sa condition... «Il a toujours été un guerrier, a rappelé M.Gilbert. On se demande un peu comment il réussit à aller chercher cette forme. Il tombe dans le trou et oups! il remonte toujours.»

Ça n'a pas été simple.

Marqué au fer rouge, entouré par une équipe Omega Pharma-Lotto «très faible», Gilbert a dû lui-même échafauder son succès, lançant une première salve dans l'avant-dernière montée de la côte de la Montagne. À ses trousses, neuf coureurs grimaçants, et pas les moindres: Gesink, Leukemans, Ciolek, Wegmann. Plus loin derrière, plusieurs costauds frappés de crampes, dont le Norvégien Boasson Hagen, l'autre grand favori.

Fin calculateur, Gilbert a ensuite attendu le groupe des neuf à l'amorce du dernier tour... pour mieux refaire le ménage au dernier passage dans le Vieux-Québec. Quand l'homme en noir, jaune et rouge a tourné seul sur la rue Saint-Jean, les milliers de spectateurs massés à l'arrivée, plus nombreux que l'an dernier, ont poussé un cri émerveillé. Après une première moitié de course plutôt monotone, l'attente de cinq heures avait valu la peine.

Gros juron...

Gilbert a parfaitement géré les deux derniers kilomètres. Auteur d'une chasse désespérée, Gesink a échoué par quelques dixièmes. Le Néerlandais de la Rabobank, gagnant sur le mont Royal l'an dernier, a lâché un gros juron en franchissant le fil, geste dont il s'est élégamment excusé en conférence de presse.

Troisième à 9 secondes, le jeune Colombien Rigoberto Uran a ainsi récompensé les efforts de ses coéquipiers de la Sky, aux avant-postes presque toute la journée. Ils auraient mérité un meilleur sort. Surtout l'Ontarien Michael Barry, celui qu'on a vu le plus souvent devant. Malgré les efforts consentis, le diable d'homme a trouvé le moyen de finir 14e ("1m23), un exploit en soi. «Ce n'était pas mon but d'être le meilleur Canadien, on courait pour gagner aujourd'hui», a souligné le vétéran de 35 ans.

Quatrième l'an dernier, Ryder Hesjedal, le coureur local attendu, a eu moins de succès. Il a pris le 27e rang, à 1m37 du gagnant, pour conclure une journée très décevante chez Garmin-Cervélo. Hesjedal a tenté une attaque avec trois tours à faire, mais personne n'avait l'intention de le laisser partir. Esseulé, mais non résigné, il menait le peloton principal à l'avant-dernier passage.

«Il était un peu dans la même situation que moi, a souligné Philippe Gilbert. Il a voulu assumer le travail, et finalement, il n'était plus là dans le final à cause de ça. Si j'avais fait comme lui, ça aurait voulu dire faire une croix sur le final. Ce n'était pas le but.»

Presque trop facile à dire quand on a des jambes de feu comme ça. Comblé, Gilbert aborde le Grand Prix de Montréal, demain sur le mont Royal, avec moins de pression. «Ce sera peut-être plus facile, on va voir. Mon contrat est rempli. Maintenant, ce qui viendra, ce sera du bonus.» Pour nous aussi.