Mélissa Boisvert pédale comme une déchaînée, sans remarquer le paysage bucolique des Cantons-de-l'Est qui défile à ses côtés. Tout ce qu'elle perçoit, c'est le derrière et les épaules de sa partenaire, Audrey Sarrazin. Et encore, elle les voit difficilement. Depuis sa naissance, elle souffre d'une rétinite pigmentaire, une déficience visuelle qui restreint son champ visuel, comme si elle regardait à travers un tube.

Depuis un an, la toute petite femme de 25 ans aux yeux bleus et aux longs cheveux bruns ne vit que pour son tandem. Le 15 juin, elle revenait de sa journée de travail à Montréal en autobus lorsqu'elle a reçu l'appel qu'elle attendait depuis des mois.

«Bonsoir Mélissa, je t'annonce que tu fais maintenant partie de l'équipe canadienne de paracyclisme», lui a dit son entraîneur Éric Van den Eynde. Elle s'est tout de suite mise à pleurer. «Je n'arrêtais pas de répéter: «Je m'en vais à la Coupe du monde!» Les gens dans l'autobus devaient me prendre pour une folle.»

La finale de la Coupe du monde de paracyclisme sur route aura lieu en sol québécois cette année, à Baie-Comeau, du 8 au 10 juillet. La cycliste de Granby participera aussi aux Championnats canadiens, qui se dérouleront de jeudi à samedi à Belfountain, en Ontario. Elle est actuellement à la recherche de commanditaires.

Vers Londres

Mélissa s'entraîne cinq soirs sur sept. En arrivant chez elle, elle ouvre sa porte de garage, sort son vélo stationnaire devant son entrée, met son casque d'écoute et pédale. «Mes voisins me regardent et me demandent en riant si je me prépare pour les Olympiques. Sérieusement, je leur réponds que oui!»

Même si elle roule en tandem depuis à peine un an et qu'elle vient tout juste de rejoindre l'équipe nationale, la coureuse rêve déjà des Jeux paralympiques de Londres l'année prochaine. «C'est irréaliste, mais je m'entraîne pour ça.»

Le plus souvent possible, elle quitte son entrée de garage pour prendre la route sur son tandem bleu en aluminium. Lorsqu'elle ne roule pas avec sa partenaire, c'est son père François qui tient le guidon de devant. «J'ai la chance d'avoir un papa très en forme, dit-elle. Il est mon aide-entraîneur et mon partenaire.»

À deux, c'est mieux

La pilote du tandem, Audrey Sarrazin, roule avec Mélissa depuis le mois d'avril. «Je n'avais jamais conduit de tandem de ma vie, dit l'athlète de Berthierville, âgée de 26 ans. On a roulé ensemble deux fois avant les sélections nationales. Donner la chance à une athlète de participer à des compétitions de haut niveau, c'est extraordinaire.»

Une compétition en tandem se déroule de la même façon que sur une bicyclette traditionnelle. Les attaques rythment la course, les cyclistes roulent en peloton et élaborent des stratégies d'équipe. «Mais c'est comme si on conduisait un camion à 18 roues, dit Audrey Sarrazin. La vitesse ne se prend pas aussi facilement qu'en vélo individuel.»

Des épreuves de contre-la-montre et de vélo sur piste existent aussi en tandem. À l'échelon national, il y a seulement sept tandems au Canada, quatre masculins et trois féminins. Treize coureurs sur quatorze sont Québécois. Les championnes mondiales sont d'ailleurs les Canadiennes Lyne Bessette et Robbie Weldon.

La communication entre les deux cyclistes d'un tandem est primordiale. «Je n'ai pas le choix de faire confiance à ma coéquipière, explique Mélissa Boisvert. Je ne change pas les vitesses, je ne touche pas aux freins. Je me contente de pédaler. On n'a qu'une chaîne et nos pédaliers sont synchronisés. Lorsqu'Audrey se lève, elle doit me le dire, sinon, on perd l'équilibre.»

Tête de cochon

Malgré son handicap, la cycliste ne ralentit pas la cadence. En plus de ses entraînements, elle travaille à temps plein comme agente de communications pour Société Logique, un organisme à but non lucratif qui fait la promotion d'environnements accessibles à l'ensemble de la population. «Je suis tête de cochon! Avec une déficience visuelle, il faut défoncer des portes pour réussir. Je me suis battue pour aller dans une école ordinaire, du primaire à l'université. Je suis comme les autres.»

L'ancienne ballerine considère toutefois qu'elle ne s'était jamais complètement épanouie sur le plan sportif, jusqu'à sa découverte du vélo en tandem l'an dernier. «Je voulais jouer au soccer, comme mon père, mon oncle et mon frère. J'ai maintenant l'impression de découvrir une partie de moi que je ne connaissais pas depuis 25 ans. C'est ma deuxième vie. Pédaler, c'est respirer.»

Photo: Stéphanie Mantha, La Voix de l'Est

Mélissa Boisvert s'entraîne notamment avec son père François.