«Oh... Oh... Il est tombé?» En apprenant les informations parcellaires en provenance d'Italie, la voix déjà grave de Steve Bauer est descendue d'une octave. La confirmation de la mort de Wouter Weylandt est arrivée au milieu de l'entrevue téléphonique, un peu avant midi. Bauer s'est demandé si le coureur belge avait des enfants. Il ne savait pas que sa femme était enceinte.

Le deuxième réflexe de Bauer, l'ancien grand cycliste canadien devenu directeur sportif, a été de souligner le caractère exceptionnel d'un tel événement.

Bauer était là la dernière fois où un coureur s'est tué dans un Grand Tour. Fabio Casartelli était son coéquipier chez Motorola en 1995. Bauer avait 35 ans et disputait son neuvième et dernier Tour de France.

Casartelli, champion olympique, avait chuté dans la descente du col de Portet-d'Aspet et sa tête avait heurté des blocs de ciment. Le jeune homme de 24 ans était décédé dans l'hélicoptère qui l'amenait à l'hôpital.

La nouvelle de sa mort s'était propagée dans le peloton durant cette longue étape. Bauer ne se souvient plus comment il l'avait appris, seulement de comment il s'est senti. «Avec un tel vide, il était impossible de penser, a raconté l'ancien porteur du maillot jaune. On a seulement fini la course. Les émotions ont explosé après. Continuer le Tour a été encore plus difficile.»

Mais les coéquipiers ont rapidement convenu que «c'était la seule chose à faire».

Le lendemain, l'étape avait été neutralisée et s'était transformée en une procession à la mémoire de Casartelli. Bauer et ses coéquipiers avaient franchi la ligne côte à côte, un peu avant le reste du peloton.

«Je crois que ce fut peut-être l'étape la plus difficile qu'on ait faite au Tour de France, a dit Bauer. La souffrance, pour tous les coureurs, était vraiment évidente. Ce sera certainement la même chose (aujourd'hui) au Giro.»

Depuis 2000, 12 cyclistes ont trouvé la mort en course.

La Canadienne Clara Hughes a été profondément marquée par l'accident mortel de sa coéquipière américaine Nicole Reinhart lors d'une course au Massachusetts en 2000. Projetée de son vélo, elle avait heurté un arbre.

Les risques du métier

Le Kazakh Andrei Kivilev est décédé des suites d'une chute en apparence banale lors de la deuxième étape du Paris-Nice en 2003.

Comme Casartelli, il ne portait pas de casque. L'Union cycliste internationale avait ensuite rendu son port obligatoire.

«Ça fait partie des risques du métier, mais ce n'est jamais le fun d'entendre qu'un coureur a subi une chute dramatique. C'est un peu effrayant», a admis Dominique Rollin, coureur québécois de l'équipe française FDJ.

Joint chez lui en Espagne, Rollin n'avait pas encore appris la mort de Wouter Weylandt. Les professionnels connaissent les dangers de la course - sans compter les nombreuses frousses à l'entraînement - mais mieux vaut ne pas y penser.

«Sinon, il vaut mieux arrêter le sport, pense Rollin. Les risques sont toujours présents. Tu descends un col, tu as des pointes de vitesse au-delà de 90 km/h, mais tu n'as aucune idée où tu t'en vas, de quoi a l'air le prochain virage, de ce qui peut se présenter sur la route. Les risques sont là et on fait avec. On se garde des marges de manoeuvre, mais il suffit parfois d'un peu d'eau sur l'asphalte ou un peu trop de vitesse et tout peut chavirer.»

Rollin en a lui-même fait l'expérience dimanche dernier lors de la dernière étape des Quatre Jours de Dunkerque. Il était en échappée avec un petit groupe. Une main du coureur devant lui a glissé du guidon. Il a tapé un trou et s'est affalé sur le bitume. À 50 km/h, le Québécois n'a pas pu l'éviter. Il en a été quitte pour une fracture de la clavicule et espère reprendre la compétition début juin.

Selon Rollin, la pire erreur serait d'abuser de la prudence: «Des fois, en faisant trop attention, on prend une mauvaise ligne, on fait des à-coups, on saute sur les freins en plein du milieu du virage. C'est ce qu'il ne faut pas faire.»

Continuer comme avant

Steve Bauer pense la même chose. À moins qu'une enquête ne démontre que l'accident de Weylandt aurait pu être évité, «il faut continuer comme avant».

«Autrement, c'est le sport, conclut-il. Il y a des blessés. Comme la Formule 1, c'est dangereux. C'est dangereux aussi d'entrer dans un avion, de marcher dans la rue, de conduire tous les jours pour aller au travail.

«C'est peut-être un peu plus dangereux de faire une course de vélo, mais c'est un peu comme dans la vie, quand même.»