C'est pas moi, c'est la viande. Voilà l'essentiel de la défense présentée par Alberto Contador pour expliquer les traces de clenbutérol retrouvées dans son urine lors du dernier Tour de France. À première vue farfelue, la théorie de la contamination alimentaire pourrait tenir en cour. Cela explique sans doute la prudence de l'Union cycliste internationale dans le dossier. Comme toujours quand une histoire de dopage est révélée, les réactions et les informations parfois contradictoires affluent. Les circonstances particulières du cas Contador incitent à la plus grande prudence, prévient l'experte Christiane Ayotte. «Il y a matière à réflexion», résume la directrice du laboratoire antidopage de l'INRS.

Q: Qu'est-ce que le clenbutérol?

R: À l'origine, le clenbutérol est un médicament utilisé dans l'industrie chevaline pour aider les chevaux à mieux respirer. Des éleveurs peu scrupuleux, le plus souvent de l'industrie bovine, ont aussi utilisé ce produit pour accélérer la croissance de leur bétail, en particulier de la masse musculaire au détriment des graisses, métabolisées plus rapidement. Le clenbutérol est de la même famille que le salbutamol, ce médicament utilisé pour contrôler l'asthme. Son effet très puissant, même à petites doses, et ses nombreux effets secondaires font qu'il est généralement contre-indiqué pour l'être humain. Dans le sport, il est interdit depuis 1992. Le laboratoire de Mme Ayotte a d'ailleurs contribué à mettre au point un test permettant de le détecter dans l'urine. Ce test avait d'ailleurs mené au contrôle positif de la sprinteuse allemande Katrin Krabbe en 1992. Les haltérophiles et les culturistes l'ont largement utilisé. Ces derniers s'en servaient pour affiner leur silhouette à la veille d'une compétition. Selon Mme Ayotte, le clenbutérol est toujours l'un des produits interdits les plus utilisés par les athlètes. Récemment, le laboratoire de l'INRS a découvert des cas positifs chez des nageurs aux Jeux centraméricains et Caraïbes. Soixante-sept résultats anormaux ont été relevés par l'AMA en 2009. Pour l'anecdote, le clenbutérol, en dépit de ses nombreux dangers pour la santé, est aussi utilisé pour maigrir. Des vedettes hollywoodiennes auraient abusé de cette «pilule taille 0» pour se donner des looks cadavériques (voir les revues à potins).

Q: En quoi le cas Contador est-il particulier?

R: La petitesse des traces de clenbutérol trouvées dans son urine: 50 picogrammes par millilitre, une quantité infinitésimale. L'Agence mondiale antidopage demande à ses laboratoires accrédités de pouvoir détecter 2 nanogrammes par millilitre, soit 40 fois plus. Or, récemment, quatre laboratoires, donc ceux de Montréal et de Cologne (à l'origine du test de Contador), ont raffiné leurs équipements et leurs techniques, ce qui permet maintenant de déceler des quantités extrêmement petites. Des experts croient qu'il serait plus prudent de déterminer un seuil minimal pour établir un cas positif. À titre de porteur du maillot jaune au Tour de France, Contador était l'objet de tests quotidiens. Un seul a donné un résultat anormal. Cela soulève des questions, reconnaît Mme Ayotte. En théorie, du clenbutérol aurait dû être retrouvé dans les échantillons précédents et/ou subséquents. «Je n'ai pas les détails, mais je peux comprendre que les gens de l'UCI se grattent la tête «, dit-elle. Le clan Contador prétend donc qu'il est possible de déterminer précisément le moment de l'émergence du clenbutérol dans son urine. Et de l'attribuer à une seule cause: l'ingestion de viande contaminée en provenance d'Espagne.

Q: Cette thèse est-elle crédible?

R: En tout cas, c'est la défense classique employée par les athlètes ayant subi un contrôle positif au clenbutérol. Dans les années 90, de nombreux cas de contamination chez l'être humain ont été répertoriés en Europe et aux États-Unis. Un cas spectaculaire est survenu en Espagne: 113 personnes étaient tombées sérieusement malades après l'ingestion de foie de veau contaminé. «C'est tout le temps invoqué, mais en sport, je n'ai jamais vu ça, dit Christiane Ayotte. Cela dit, il semble qu'il y ait des circonstances particulières qui méritent qu'on attende avant de pouvoir porter un jugement. À l'athlète de montrer des éléments soutenant sa cause.»

Q: Quel impact pour le Tour de France?

R: En 2006, Floyd Landis a été dépouillé de son maillot jaune pour dopage à la testostérone quelques jours après sa victoire sur les Champs-Élysées. Il a nié avant de tout avouer cette année. En 2007, Michael Rasmussen, alors porteur du maillot jaune, a été exclu du Tour pour avoir menti sur son emploi du temps. Deux mois plus tard, on apprenait qu'il avait subi un contrôle positif à l'EPO. Alexandre Vinokourov, une autre grande vedette, a lui aussi été banni pour transfusions sanguines homologues. En 2008, le super grimpeur italien Ricardo Ricco a subi un test positif à l'EPO. Idem pour l'Allemand Stefan Schumacher, gagnant de deux étapes. Et, en 2010, les gens se sont passionnés pour le duel ultraserré entre Contador et le Luxembourgeois Andy Schleck, réglé le 22 juillet sur les pentes du Tourmalet. Deux jours plus tôt, Contador mangeait son boeuf prétendument trop chargé.