Après sept saisons avec les Cavaliers, LeBron James revient à Cleveland avec le Heat de Miami, ce soir, pour y disputer un premier match depuis son départ fracassant en juillet. Regard sur un phénomène... et sur une ville qui n'a pas pardonné

LeBron James n'est plus ici, mais dans les faits, c'est un peu comme s'il y était encore. On prend l'autoroute pour aller à Independence, là où se trouve le centre d'entraînement des Cavaliers en banlieue de Cleveland, et qu'est-ce qu'on voit? Une pancarte qui nous indique la direction d'Akron, là où LeBron est né en décembre 1984. Ensuite, on entre dans le centre d'entraînement des Cavaliers, et qu'est-ce qu'on voit sur un mur? Des énormes photos de LeBron, tout souriant, en train de célébrer un titre d'association.

Quelques minutes plus tard, les joueurs et l'entraîneur des Cavaliers sont présentés aux médias, et de qui on parle? On ne parle que de lui.

Le match de l'année dans la NBA aura lieu à Cleveland, ce soir. Les Cavaliers vont accueillir le Heat de Miami. Ce ne sera pas une rencontre de championnat, ni une rencontre des séries. Juste un match de saison régulière, entre deux clubs qui, il y a six mois à peine, n'avaient strictement rien en commun.

Sauf que cette fois, les deux clubs ont beaucoup en commun. Parce que le Heat va débarquer ici avec LeBron James. Le roi. Le fils de Cleveland. Celui qui devait sauver la ville et lui offrir un premier championnat depuis on ne sait plus trop quand. Ce gars-là.

Ce serait peu de dire qu'on l'attend au tournant. D'ordinaire, les Cavaliers reçoivent une cinquantaine de membres des médias pour un match de saison régulière. Ce soir, c'est plus de 150 journalistes qui vont s'entasser dans les gradins du Quicken Loans Arena pour observer le moindre drible de celui qui aime se faire surnommer King James.

L'organisation des Cavaliers refuse de fournir les détails, mais elle admet que des mesures de sécurité additionnelles ont été prises. La direction du Heat, pour des raisons de sécurité également, a choisi de ne pas dévoiler aux médias son itinéraire de voyage, ni de dévoiler le nom de l'hôtel où le club va loger.

Tout ça pour un seul homme. Tout ça pour LeBron James.

Mais que leur a-t-il fait, au juste?

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C'est un peu dur à comprendre quand on ne vient pas d'ici. À Montréal, on n'a jamais rien vu de tel. Bien sûr, on s'est moqué de Théo à son premier match dans un maillot ennemi au Centre Bell, et on va probablement huer Daniel Brière jusqu'en 2075 si c'est possible. Mais à Cleveland, LeBron James, c'est une autre affaire.

J'ai choisi d'en parler avec Scott Raab. Le gars est journaliste (Esquire) et écrivain, mais il est avant tout un gars de la place, un vrai de vrai, qui est un peu comme tous les fans de Cleveland: intense. Pas pour rien qu'il se promène encore avec le talon d'un billet des Browns de Cleveland, du match de championnat de 1964 de la Ligue nationale de football. «J'étais là, c'est la dernière fois qu'on a gagné quelque chose», se souvient-il.

On lui parle de LeBron, et le ton monte rapidement.

«Il y a deux choses avec lui, commence-t-il par dire. Premièrement, la façon dont il a terminé sa carrière avec les Cavaliers, au printemps dernier. C'était en séries contre les Celtics de Boston, et il a carrément abandonné. Il a croulé sous la pression, et il a abandonné. Le leader de ce club, c'était lui, et c'est toute l'équipe qui s'est écroulée de gênante façon contre Boston.

«La deuxième chose, c'est qu'il a choisi d'humilier publiquement la ville de Cleveland en annonçant à la télévision qu'il quittait les Cavaliers pour aller jouer à Miami. Je n'ai pas de problème avec les joueurs autonomes, mais lui, il a toujours dit qu'il n'allait pas aller ailleurs pour s'offrir un championnat avec un autre club. Alors le fait de se montrer à la télévision nationale comme ça, et de dire à toute l'Amérique qu'il va maintenant jouer à Miami alors que les partisans de Cleveland croyaient encore qu'il allait rester, pour la ville, c'était humiliant et dégradant.»

Voilà ce qu'on ne pardonne pas à LeBron par ici. La manière. L'insulte. Cette émission spéciale sur les ondes d'ESPN en juillet, cette «décision» annoncée au reste de l'Amérique. Tout ça a eu l'effet d'un gros crachat au visage.

Cleveland, qui a déjà assez souffert tant sur le plan sportif que sur le plan économique, n'avait pas besoin de ça.

«LeBron a été la plus grande vedette en ville depuis (le porteur de ballon) Jim Brown, à la fin des années 1950 et au début des années 1960. Les jeunes ne se souviennent pas de la dernière conquête des Indians au baseball, en 1948. LeBron était notre meilleur espoir depuis très longtemps.»

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Mais l'espoir n'a jamais offert de championnat à Cleveland. Il y a bien eu cette présence en grande finale en 2007, mais LeBron et ses Cavaliers avaient été sortis en quatre parties par les Spurs de San Antonio.

En sept ans chez les Cavaliers, l'enfant chéri n'a jamais pu récolter ce trophée que les gens de Cleveland attendent depuis trop longtemps.

On lui en veut pour ça, et pour toutes sortes d'affaires aussi. On entre dans les bars du centre-ville de Cleveland, on parle aux fans, et on entend des histoires, peut-être fausses, peut-être vraies, allez savoir. Comme la fois où LeBron, à un match des Indians, aurait exigé de ravoir sa monnaie après avoir acheté un sac de maïs soufflé.

On raconte qu'il est un pingre, un bébé gâté. Est-ce que tout ça est vrai? Aucune idée. Mais ça démontre bien une chose: par ici, la haine envers LeBron dépasse le simple cadre sportif. C'est devenu viscéral. C'est devenu une obsession.

À quelques mètres du Quicken Loans Arena, il y a un vieux bar, le Winking Lizard. C'est un bar sportif comme l'Amérique les aime, avec de la nourriture bien grasse et des télés tout partout. PJ Kearney, le gérant de la place, s'attend à une folle soirée en vue du gros match.

«Mais Cleveland n'est pas une mauvaise ville, tient-il à préciser. Je ne pense pas qu'il va y avoir de la casse. En fait, je trouve que la NBA s'énerve pour rien avec toutes ces mesures de sécurité.»

M. Kearney estime que LeBron a fait une seule erreur depuis son départ. «La façon dont il est parti, bien sûr. Mais s'il avait pris la peine de s'excuser... Il a eu la chance de le faire. S'il avait fait ça, les gens ici lui auraient tout pardonné. On l'adorait, il a tellement fait pour la ville avec ses oeuvres de charité.

«Mais il ne s'est jamais excusé...»

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Ce qui va arriver ce soir? Ça, personne ne le sait. Pas même les joueurs des Cavaliers.

«L'atmosphère va être incroyable, comme un match des séries, a affirmé le garde des Cavaliers Daniel Gibson, un bon ami de James. Il y a encore beaucoup d'émotions avec ce qui s'est passé cet été, les fans de l'équipe n'ont pas aimé qu'il parte. Ils sont passionnés, et j'imagine qu'ils ont été blessés, mais c'est comme ça. Il a fait ce qu'il avait à faire. J'espère seulement que ça n'ira pas trop loin.»

L'entraîneur des Cavaliers, Byron Scott, n'a pas voulu accorder trop d'importance au feuilleton LeBron. «Je n'étais pas avec le club l'an passé, ça ne veut rien dire pour moi. J'ai eu le poste sans savoir s'il allait revenir avec l'équipe. Quand il a fait connaître sa décision, ça m'a pris environ cinq minutes pour passer à autre chose.»

Les gens de Cleveland, eux, ne sont pas passés à autre chose. Et ils ne le feront peut-être jamais.