Le coureur Alex Genest avait jusqu'au 31 mai pour se qualifier pour les Jeux du Commonwealth de Glasgow. Ce jour-là, lors d'une épreuve organisée chez lui, à Guelph, il a raté le standard de sélection par deux secondes. En réalité, un abîme le séparait de l'Écosse.

Genest le sentait venir depuis quelques mois. Blessures, manque d'énergie et démotivation représentaient le lot quotidien du spécialiste du 3000 m steeple. Son incapacité à se qualifier l'a plongé dans l'incompréhension plus que dans la déception. Une semaine plus tard, une consultation avec sa psychologue du sport, qui l'a adressé à un médecin, lui a permis de comprendre ce qui le minait. Diagnostic: épuisement professionnel.

«Je n'avais plus le choix de prendre une pause, pas d'autre issue que de sortir du sport, constate Genest quatre mois plus tard. C'est ce que j'ai fait et ça m'a vraiment fait du bien de voir autre chose que l'athlétisme et la course à pied. J'ai commencé à peindre un peu, à faire des choses que je n'avais encore jamais faites. Quand tu fais un burn-out à 28 ans, il faut que tu te poses des questions.»

Même avec un peu de recul, difficile pour lui de cibler le moment où il s'est mis à s'enfoncer. L'athlète de Lac-aux-Sables, en Mauricie, a été emporté dans un tourbillon d'événements. Il y a eu ce meilleur temps prometteur réalisé en Espagne en 2011, cette participation aux Jeux olympiques de Londres l'année suivante et, enfin, cette finale aux Mondiaux de Moscou l'an dernier.

Au terme de chacune de ces saisons, il repartait de plus belle, sans s'autoriser le repos nécessaire. «Chaque fois, j'ai le goût de plus, explique Genest, joint récemment à Guelph. Je repars, mais peut-être toujours un peu trop vite, un peu trop dans le fond. C'est dans ma personnalité. Je m'emballe facilement...»

Rien pour aider, le vieux record canadien du 3000 m steeple, qui datait de 1985, a été battu par l'Ontarien Matthew Hughes, sensationnel sixième en finale à Moscou. Genest lorgnait cette marque depuis quelques années. La pilule a été difficile à avaler.

«Je vais être franc: arrivé en finale, je n'avais pas ce que ça prenait pour suivre Matt Hughes, admet le coureur québécois, qui a terminé 13e. Il a progressé de façon spectaculaire l'an passé. Il m'a vraiment surpris. J'ai été déçu de ne pas être capable d'augmenter mon niveau pour faire exactement ce qu'il a fait en finale.»

L'élastique brise

Sur le plan personnel, la vie de Genest était aussi remplie. Il a complété un baccalauréat en nutrition, multiplié les conférences dans les écoles, occupé un emploi à temps partiel. Déjà père d'Arno, qui allait avoir 3 ans, il attendait un deuxième garçon pour l'été.

«J'ai réalisé que ma priorité n'était presque plus l'athlétisme, raconte-t-il. J'étais toujours blessé, la motivation était pas mal à zéro. Marie-Christine (sa conjointe) me disait: "Voyons, t'es donc bien pas motivé!" Je me disais: "Ça va revenir."»

Ce n'est pas revenu. L'élastique a fini par briser. Même là, les considérations financières l'ont fait hésiter à lever le pied pour de bon. Il risquait de perdre sa subvention mensuelle de Sport Canada. «J'ai une famille, l'athlétisme, c'est mon boulot, souligne Genest. C'est très insécurisant, mais c'est la joie du sport amateur. Pour moi, c'était surtout: est-ce que le jeu en vaut la chandelle? Est-ce que mon rêve et mes objectifs vont à l'encontre des besoins de ma famille?»

Ces jours-ci, il attend, sans se faire d'illusions, la réponse à sa demande de brevet médical pour la saison 2014-2015. «Dans le cas où ça n'arriverait pas, je comprendrais tout à fait, assure-t-il. Soutenir un athlète (victime d'épuisement professionnel) pourrait avoir des répercussions assez grandes pour les fédérations sportives. Ça créerait un précédent. Étant donné qu'une maladie comme celle-là n'est pas aussi claire qu'une blessure physique, je ne sais pas du tout comment ils vont gérer ma demande.»

L'important est ailleurs. Peu après la naissance d'Elliot, le 21 juillet, il a recommencé à courir. Tranquillement, une sortie à la fois. «Franchement, je suis sorti du gouffre», affirme Genest de son ton enthousiaste habituel. Ces temps-ci, il court six fois par semaine, dont trois avec ses coéquipiers du Speed River Track and Field Club. Avec son entraîneur Dave Scott-Thomas, il a convenu de reprendre au rythme que lui dictera son envie.

«J'ai vraiment reconnecté avec mon sport, lance l'olympien. L'un des grands plaisirs que j'ai retrouvés, c'est le goût d'être compétitif.» Pour remettre la «machine» en marche, il songe à s'inscrire à un cross-country à la fin du mois.

Les choses sérieuses (et les haies) viendront bien assez vite l'été prochain, avec les Jeux panaméricains, dans sa cour arrière, à Toronto, et les Mondiaux de Pékin. Le record canadien et les JO de Rio de Janeiro, en 2016, sont encore dans sa ligne de mire. «La motivation est revenue, mais avec plus de perspective. Je n'ai plus l'impression d'être dans un nuage, de me battre contre moi-même.»

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Alex Genest en bref

• Âge: 28 ans

• Taille: 1,75 m

• Poids: 57 kg

• Ville d'origine: Lac-aux-Sables (Mauricie)

• Ville de résidence: Guelph

• Spécialité: 3000 m steeple

• Une présence aux Jeux olympiques (Londres, 2012, 7e série 3)

• Trois présences aux Championnats du monde (13e en 2013)

• Triple champion canadien

• 6e aux Mondiaux jeunesse de Sherbrooke 2003 (2000 m steeple)