Derek Drouin en rêvait depuis qu'il a commencé à pratiquer le saut en hauteur pour suivre les traces de sa grande soeur, il y a 10 ans. À l'époque, la marque mythique des 2,40 m lui paraissait un Graal inatteignable, réservé à des extraterrestres comme Javier Sotomayor. Depuis la retraite du légendaire sauteur cubain, détenteur du record mondial à 2,45 m, les meilleurs de la planète se tenaient autour des 2,30 ou 2,35 m.

Aux derniers Jeux olympiques de Londres, Drouin a été l'un des trois médaillés de bronze grâce à un bond de 2,29m. Il avait réussi 2,31 m à trois reprises plus tôt en 2012. «Pour moi, penser à quelqu'un qui saute 2,40 m était simplement inimaginable», se souvient l'Ontarien de Sarnia.

Puis, l'an dernier, il s'est mis à franchir les 2,35 m, a battu le record national détenu par Mark Boswell et poussé la note jusqu'à 2,38 m aux Mondiaux de Moscou, en route vers une autre médaille de bronze.

«Je me rappelle qu'un ancien coéquipier m'avait demandé pourquoi je ne m'excitais jamais après avoir gagné une compétition ou franchi une barre élevée. Je lui avais répondu à la blague que si jamais je sautais 2,40 m, je m'exciterais. Promis.»

Il a peine à y croire

C'est arrivé vendredi à Des Moines, en Iowa, aux Drake Relays, une importante compétition qui sert de lancement de la saison en plein air aux États-Unis, au même titre que les Penn Relays, qui se déroulent en même temps dans l'Est.

Interrogé quatre jours après son exploit, Drouin peinait toujours à y croire. «J'ai vu la vidéo et ça repasse dans ma tête», a raconté l'athlète de 24 ans, joint à Bloomingdale où il s'est établi après sa carrière universitaire qui lui a valu trois titres de la NCAA avec les Hoosiers de l'Indiana. «C'est un but vers lequel je tendais durant l'essentiel de ma carrière de sauteur. Ça semble donc encore un peu surréel. Je devrai probablement le regarder encore quelques fois avant de pouvoir croire que c'est vraiment arrivé.»

Jeune homme discret et réservé, Drouin a tenu promesse et manifesté sa joie de façon appropriée. Il en a pour preuve une photo croquée lorsqu'il manifestait sa joie sur le matelas.

La réussite de Drouin est d'autant plus étonnante qu'elle survient à sa toute première compétition de l'année, deux mois après un claquage du tendon du jarret. Les Drake Relays représentaient donc une épreuve de remise en forme en vue de sa saison internationale, qui s'amorcera le 9 mai à Doha, première rencontre du circuit Diamond League de l'Association internationale des fédérations d'athlétisme (IAAF).

Voilà pourquoi Drouin, contrairement à ses habitudes, a commencé à s'exécuter à 2,11 m. Il a réussi ses huit premiers sauts avant d'échouer à ses deux premiers essais à 2,40 m.

«Normalement, je ne réussis pas mes troisièmes tentatives», souligne celui qui avait aussi dû surmonter une grave blessure quelques mois avant son bronze à Londres.

«Concentré et confiant»

«C'est dur de rester concentré et confiant sur un troisième essai. Mais j'étais très proche la première fois à 2,40 m et ça m'a donné confiance. Au deuxième essai, je suis passé par-dessus la barre, mais je l'ai fait tomber avec mes jambes. Je me sentais vraiment, vraiment bien et je savais que je serais très fâché contre moi si je quittais la compétition sans passer 2,40 m...»

Drouin est devenu le 10e sauteur de l'histoire à franchir cette marque. Seulement quatre ont fait mieux. Le Canadien doit donc être placé au cinquième rang des meilleurs sauteurs de tous les temps. Sotomayor a réussi 2,40 m ou mieux pas moins de 17 fois en plein air.

Selon une charte de pointage de la fédération internationale, un saut de 2,40 m équivaut à un 100 m en 9,82 secondes ou à un marathon en 2h04:08. Ou, pour utiliser une analogie hockeyesque de circonstance, ce serait comme sauter par-dessus Zdeno Chara qui porterait ses patins... et un haut-de-forme.