La suspension à titre provisoire de la championne du monde en titre et double championne olympique du 200 mètres Veronica Campbell-Brown, après un contrôle antidopage positif, fait ressurgir les zones d'ombres entourant les sprinteurs jamaïcains depuis 2008 et leur mainmise sur le sprint mondial, alors que les championnats nationaux sont disputés ce week-end.

«VCB», Veronica Campbell-Brown, c'est le chaînon manquant entre l'ère Merlene Ottey et l'ère Usain Bolt.

En 2004, elle devient la première Jamaïcaine championne olympique de l'histoire sur 200 m. Un avant-goût de l'avalanche de médailles que vont ensuite récolter les sprinteurs jamaïcains, avec un carton plein chez les hommes comme les femmes à Pékin quatre ans plus tard.

Dès lors, les questions se multiplient. D'autant que les Jamaïcains surpris les doigts dans le pot de confiture ne sont pas rares.

En 2009, les Mondiaux de Berlin sont le théâtre d'un incroyable imbroglio. Quatre athlètes, dont Yohan Blake, futur champion du monde du 100 m en 2011, avaient été contrôlés positifs à un produit stimulant, la methylhexanamine, lors des championnats jamaïcains, fin juin.

Bolt peu visé

Blanchis dans un premier temps par la commission antidopage jamaïcaine, ils sont autorisés par la Fédération internationale à participer aux Mondiaux. Mais la fédération jamaïcaine décidera finalement de ne pas les aligner.

Quelques semaines plus tard, les athlètes avoueront s'être dopés et n'écoperont que de trois mois de suspension, alors qu'ils risquaient jusqu'à deux ans.

En 2010, nouveau coup de tonnerre avec le contrôle positif de Shelly-Ann Fraser-Price, championne olympique du 100 m à Pékin (qui a conservé son titre à Londres l'an dernier), lors d'une réunion de la Ligue de diamant, à Shanghaï, en mai.

Fraser est contrôlée positive à l'oxycodone, un analgésique. Selon le camp Fraser, la Jamaïcaine, soignée pour des problèmes dentaires en Jamaïque, avait consulté les médecins du meeting pour soulager des douleurs persistantes, mais, devant l'absence de progrès, avait pris un traitement supplémentaire.

La Fédération jamaïcaine estimera «qu'il existait des circonstances (atténuantes, ndlr) dans le dossier de l'athlète», et en accord avec l'IAAF décidera d'une suspension de six mois alors qu'elle risquait elle aussi deux ans.

Globalement, ce sont plutôt des «seconds couteaux»qui tombent, à l'image de Bobby-Gaye Wilkins (400 m, 2 ans de suspension), Christopher Williams (200 m, 2 ans), ou même Steve Mullings (100 m), contrôlé positif à un diurétique en 2011 et suspendu à vie puisqu'il avait déjà écopé de deux ans en 2004 pour usage de stéroïdes.

Si des doutes entourent les Jamaïcains, les ragots font un distingo entre les sprinteurs de l'île caribéenne et l'icône Usain Bolt, dont la progression a été régulière depuis les jeunes.

Cram: le coeur n'a pas toujours raison

Après les Mondiaux 2011, Victor Conte, l'ancien directeur du laboratoire américain Balco à l'origine du scandale de 2004, avait toutefois affirmé dans la Gazetta dello sport que, selon un de ses informateurs, les Jamaïcains avaient utilisé son protocole avant les Jeux de Pékin. «Je n'ai pas de preuves mais (...) j'ai de fortes suspicions sur (Usain) Bolt et les autres», avait-il lancé.

En fait, dans le milieu de l'athlétisme, il n'y a guère que l'ancienne légende Carl Lewis pour avoir osé titiller «la Foudre».

Lors des Jeux de Londres, Carl Lewis avait laissé entendre qu'il y avait de quoi «s'interroger sur des sprinteurs qui réalisent 10,03 secondes une année et 9,69 la suivante».

Ce à quoi Bolt avait sèchement répondu: «Carl Lewis, j'ai perdu tout respect pour lui».

Alors, sans doute faut-il se rappeler les sages propos de l'ancien champion du monde du 1500 m, Steve Cram, en 2008, juste avant les Jeux de Pékin.

«Jusqu'à ce que quelqu'un me dise l'inverse, je me bercerai de l'idée qu'un talent précoce de Jamaïque peut courir en 9,72 secondes après seulement quelques tentatives (...) La tête et le coeur sont toujours difficiles à réconcilier. Même si on a envie de donner raison au coeur, le passé a montré que cela ne reflétait pas toujours la réalité».