Au stade Roi-Baudoin, le Jamaïquain Yohan Blake a affolé le chronomètre vendredi soir en signant 19 sec 26/100es sur 200 m, 2e performance de tous les temps.

En s'approchant à 7/100es de la marque de référence (19.19), le champion du monde du 100 m a rendu son compatriote Usain Bolt plus «humain» et porté un rude coup aux experts en tous genres qui avaient décrété que le record avait été érigé pour 40 ans.

Or, il n'est même pas assuré de survivre à l'année 2012, celle des jeux Olympiques de Londres.

L'entraîneur italien Carlo Vittori, mentor de l'ex-recordman du monde Pietro Mennea (19.72), a toujours affirmé, en fonction d'une table de conversion éprouvée, que le record de Bolt sur 100 m (9.58) «vaut» autour de 19 sec 10/100es sur la distance supérieure, un peu moins même si «L'Éclair» améliore «sa résistance à la vitesse».

Cette capacité à encore accélérer en fin de course, c'est justement le plus de Blake. «Il a une très forte puissance naturelle et une grande résistance. En outre, il allie une bonne amplitude de foulée et une fréquence rapide», remarque Pierre Carraz, entraîneur du Français Christophe Lemaitre, médaille de bronze sur 200 m aux récents Mondiaux de Daegu (Corée du Sud).

Désormais libéré de la tutelle de son aîné et partenaire d'entraînement, Blake, 21 ans, voit l'avenir en grand et entrevoit «la nouvelle frontière en deçà du mur des 19 secondes», notamment sur une épreuve hors grand championnat. En effet, Bolt avait claqué 19.19 au terme de sa 8e course en cinq jours, passablement entamé dans sa fraîcheur, lors des Mondiaux 2009 à Berlin.

Tout peut arriver

Si la nouvelle terreur a pris soin, vendredi soir, d'ouvrir sa conférence de presse d'après-course d'un «Bolt reste le meilleur», ce fut pour mieux dire sa hâte de l'affronter. Et de se lâcher: «L'année prochaine, tout peut arriver».

Triple champion olympique à Pékin et cinq fois en or aux Mondiaux, Bolt avait été mortifié par sa disqualification pour faux départ en finale du 100 m à Daegu, faisant ensuite valoir que le plus jeune n'était qu'un vainqueur de substitution.

Blake a depuis légitimé sa couronne en réalisant, au retour d'Asie, deux fois 9 sec 82/100es à trois jours d'intervalle, à Zürich puis à Berlin la semaine dernière.

En l'obligeant à se replier sur le 200 m, pour accaparer les feux de la rampe sur 100 m, Bolt n'a fait qu'accélérer l'avènement d'un rival qu'il a nourri en son sein.

Asafa Powell, le précurseur du «boom» jamaïquain en sprint et aussi le grand absent à Daegu, avait raison. «Le faux départ de Bolt est le fruit d'une nervosité inhabituelle, comme s'il avait senti que sa marge (sur Blake) était réduite», avait estimé à chaud l'ex-détenteur du record du monde du 100 m. Autour de l'étoile «boltienne», le terrien Blake a pris sa dose de lumière. Même si la part d'ombre subsiste, avec une suspension de trois mois en septembre 2009 pour usage d'un stimulant.

Glen Mills, l'entraîneur commun aux deux stars, homme tout en chair et en silences, va devoir arrondir les angles pour que les ego n'aient pas de bleus à l'âme.