Hicham El Guerrouj est en visite à Montréal cette semaine. L'ex-coureur marocain a gagné quatre championnats du monde consécutifs avant de connaître la consécration ultime avec un doublé historique 1500-5000 mètres aux Jeux olympiques d'Athènes, en 2004. En entrevue avec La Presse, la légende de l'athlétisme parle de course, de records, de ses projets et de son désir de s'installer un jour au Québec.

Hicham El Guerrouj n'était pas dépaysé quand il est débarqué à l'aéroport Pierre-Elliott-Trudeau tard mercredi soir. Le Québec, il connaît très bien. Il a visité la province une bonne dizaine de fois. Son frère Fethi vit à Québec depuis sept ans et étudie l'administration à l'université à Lévis.

Dans quelques années, El Guerrouj, qui détient la résidence permanente au Canada depuis 2000,  compte même s'établir au Québec avec sa femme et ses deux filles, Hiba, 6 ans, et Abla, 6 mois. «J'ai beaucoup de souvenirs de Québec et de Montréal. Le seul élément qui me gêne, c'est le froid...» glisse-t-il timidement.

Vêtu d'un simple jeans et d'une veste de coton, El Guerrouj passe complètement inaperçu dans la cafeteria de Radio-Canada, où on l'a interviewé hier matin. Les gens remarquent davantage Bruny Surin, qui est à l'origine de la venue à Montréal du grand coureur marocain. À titre de président de la Fédération québécoise d'athlétisme, Surin cherchait quelqu'un pour inspirer les jeunes. El Guerrouj, qui étudie le marketing sportif à l'Université d'État de Portland, en Oregon, ne s'est pas fait prier. Aujourd'hui, à l'école Saint-Gabriel de Sainte-Thérèse, il parlera à plus de 500 jeunes du primaire et du secondaire. Demain, il offrira une conférence gratuite au grand public à l'Université Concordia (1).

En entrevue, El Guerrouj est aussi simple et avenant qu'on nous l'avait décrit. Il a bien pris quelques livres depuis sa retraite en 2004, mais il court toujours. Quatre ou cinq sorties par semaine, pour 60 à 70 kilomètres. Le plus souvent sur la piste en terre battue du campus Nike à Portland, La Mecque des grands équipementiers en athlétisme. Il court pour le plaisir et aussi avec l'intention de faire quelques marathons pour de bonnes causes dans le futur.

«Mon corps a toujours besoin d'adrénaline, dit l'homme de 36 ans. Quand je ne cours pas, ça me manque énormément. Quand je cours, je suis heureux. Je l'ai fait pendant 20 ans et je continuerai à le faire pour le reste de ma vie.»

Garder le moral et la passion

Quadruple champion du monde, El Guerrouj a connu la consécration ultime en remportant le 1500 mètres et le 5000 m aux Jeux olympiques d'Athènes en 2004. Un seul autre athlète avait réussi ce doublé, le Finlandais volant Paavo Nurmi, 80 ans plus tôt.

Pour bien saisir El Guerrouj, il faut revenir sur ses échecs. Celui des Jeux d'Atlanta, en 1996, où il trébucha sur le talon de l'Algérien Morceli à un tour de la fin. Et celui des Jeux de Sydney, en 2000, où il fut surpris par le Kényan Noah Ngeny dans la dernière ligne droite.

Un an ou deux après, El Guerrouj est piqué par un journaliste, qui lui dit qu'il ne deviendra jamais champion olympique, son rêve de petit garçon. «Je lui ai dit non, je vais gagner à Athènes... et je vais gagner deux médailles. Il m'a fait un petit sourire bizarre, comme quoi je n'y arriverais pas.»

L'entourage d'El Guerrouj a tenté de le décourager de tenter le pari fou de courir le 1500 et le 5000.

«Je risquais de perdre les deux, mais je tenais à le faire pour deux raisons, explique-t-il. D'abord pour rattraper mes deux olympiades d'Atlanta et de Sydney. Ensuite, pour donner un vrai message aux jeunes et à mes enfants. Comme quoi la vie n'est pas très facile, qu'il y a beaucoup d'échecs. Il faut juste essayer de garder le moral et la passion de ce qu'on fait. Je voulais donner un vrai exemple de la réussite.»

Aux Mondiaux de Paris, en 2003, El Guerrouj s'est rassuré en gagnant l'or au 1500 et l'argent au 5000 m. Mais les doutes ont ressurgi à l'approche des Jeux d'Athènes. Des problèmes d'asthme l'ont assailli. En finale du 1500 m olympique, le cauchemar semblait vouloir se répéter quand Bernard Lagat l'a dépassé dans le dernier virage. El Guerrouj est revenu à l'arraché avant de s'écrouler sur la piste après l'arrivée. «Pour moi, ça signifiait énormément de choses. C'est l'histoire du sport, l'histoire de l'olympisme. Chaque athlète rêve de devenir champion olympique.»

El Guerrouj a remis ça quatre jours plus tard en surprenant les Éthiopiens au 5000 m. «Le 1500 mètres, il fallait que je gagne cette médaille. C'était énormément de pression et de charge. Par contre, sur 5000 mètres, je me baladais. C'était vraiment le plaisir de courir, même si c'était une compétition olympique. J'avais la sensation de voler.» Il savait déjà que ce serait sa dernière grande course.

Un déclin dans le demi-fond

El Guerrouj détient toujours les records du 1500 mètres, du mille et du 2000 mètres. Il en tire une grande fierté. Il a établi celui du 1500 mètres au Golden Gala de Rome en 1998. Noah Ngeny, le même qui l'a battu à Sydney deux ans plus tard, lui avait servi de lapin. En 3:26,00, il avait pulvérisé de plus d'une seconde la marque de Morceli.

En 2008, des amis ont offert de célébrer le record. El Guerrouj a refusé. Peut-être après 15 ou 20 ans, si la marque tient toujours: «Une petite fête symbolique, juste pour rappeler un peu l'histoire.»

Depuis son départ en 2004, El Guerrouj a constaté un déclin dans le demi-fond. Cet été, une menace a pointé: le Kényan David Rudisha, 21 ans, vient de battre à deux reprises le record du 800 m, qui datait de 1997. «Je ne connais pas ses capacités sur les plus longues distances et sa vision pour le futur, mais apparemment, s'il s'essaie, il pourrait facilement courir en 3:30. Il pourrait être le grand favori pour battre ce record», pense El Guerrouj.

Établi en Oregon depuis janvier 2009, El Guerrouj sait très bien que l'athlétisme ne suscite pas les passions en Amérique du Nord hors des Jeux olympiques. Il se souvient d'ailleurs avec tristesse des gradins vides lors des séries aux Championnats du monde d'Edmonton, en 2001. «C'était vraiment malheureux. C'est comme un acteur qui va monter sur scène pour donner un spectacle devant des tribunes vides.»

Pour renverser la vapeur, il souhaite un changement dans les mentalités et une «démocratisation» de l'athlétisme par rapport aux grands sports professionnels: «C'est pourtant le sport le plus et le mieux pratiqué dans notre vie de tous les jours. Sauf qu'il est mal favorisé dans le cercle du business, de la télévision, des sponsors et des partenaires. Il faut communiquer plus, faire plus de marketing. Il faut aussi changer notre langage. Il faut qu'on arrête de parler des choses négatives.»

El Guerrouj salue le travail de l'Agence mondiale antidopage, mais se désolé qu'on ne s'attarde qu'aux cas positifs. «Il faut qu'on parle positivement des autres aussi, ceux qui essaient de donner la vraie image du sport.»

À titre de membre du Comité international olympique, El Guerrouj a assisté aux Jeux d'hiver de Vancouver. Il salue leur succès et estime qu'ils serviront de modèle pour les Jeux à venir. Et il n'est pas sans savoir que la ville de Québec a des ambitions olympiques. Appuierait-il une éventuelle candidature? Là, le coureur se tourne vers son frère... et se fait politicien: «Ce que je peux dire, c'est que si Québec devient ville organisatrice, j'aurai une chambre pour dormir sur le site des Jeux!»

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(1) Il faut s'inscrire sur le site internet de la Fondation Bruny Surin.

Photo: Bernard Brault, La Presse

Hicham El Guerrouj a signé des autographes à la boutique Endurance de la rue St-Denis, hier.