«Elle est grosse, c'est sûr.» «Moi, je la préfère plus petite, mais c'est ben correct aussi.» «Ça tire bien, mais ça pointe un peu tout croche.»

La scène avait lieu hier dans un village de 1000 habitants du Lac-Saint-Jean. De quoi discutaient les spectateurs venus des quatre coins du Québec? Ils parlaient de simples cailloux, de «garnottes», avec une ferveur à faire brailler de bonheur n'importe quel propriétaire de carrière.

La garnotte en question était celle récemment mise au sol à Desbiens pour accueillir le Championnat du monde de pétanque et ses joueurs venus d'une quarantaine de pays.

«C'est un terrain atypique qui favorise les tireurs. Mais le point est très, très difficile. Très aléatoire. Ça pourrait nous favoriser, car on est une équipe de tireurs», affirme le Français Philippe Suchaud, l'un des meilleurs joueurs au monde.

Le Championnat du monde de pétanque est arrivé à Desbiens dans la joie, la controverse et le deuil. Il est au départ le projet du Desbienois André de La Ronde. Ce septuagénaire adepte de pétanque a convaincu la municipalité de construire un petit terrain en 2011.

«Puis le petit terrain a commencé à attirer des compétitions régionales, puis la Coupe du Québec en 2016, raconte le maire Nicolas Martel. C'est là qu'avec André on a commencé à parler d'accueillir le Championnat du monde.»

Avec le soutien de la Fédération canadienne, le dossier a été porté à l'international. Le Canada et le Bénin voulaient l'événement. La sélection de Desbiens a fait l'effet d'une bombe au sein de la florissante pétanque africaine. Desbiens? Mais pourquoi Desbiens?

Comble de malchance, André de La Ronde est mort quatre jours avant qu'on apprenne que son rêve d'attirer le Championnat du monde sur le bord du lac Saint-Jean allait se réaliser.

«Je pense beaucoup à lui en ce moment. Le petit parc de pétanque est parvenu à rassembler 46 pays ici, chez nous. C'est quelque chose, quand même», souligne le maire de Desbiens, Nicolas Martel.

La stupeur des pays africains a depuis fait place à un certain agacement. C'est que la moitié des dix nations d'Afrique qualifiées pour la plus grande compétition mondiale de boules n'ont pas pu se présenter, faute d'obtenir leur visa. Ainsi le vice-champion du monde, le Bénin, n'est pas à Desbiens, tout comme la Côte-d'Ivoire, le Mali, le Niger et le Tchad.

«On a eu le visa avant-hier seulement», pestait hier le directeur technique de l'équipe de pétanque de Madagascar, où le jeu marseillais est devenu un sport extrêmement populaire.

Sami Nirina explique que les Malgaches, champions du monde en titre, ont attendu 10 jours à Paris que l'ambassade du Canada leur délivre le sauf-conduit. «Finalement, on l'a eu mardi, on a pris l'avion et on est arrivés à 21h à Montréal, à 2h du matin ici. Et là, on a commencé la compétition sans beaucoup de sommeil. Ça nous a beaucoup stressés.»



Photo Gimmy Desbiens, Le Quotidien

C'est avec le soutien de la Fédération canadienne de pétanque que le dossier de candidature de Desbiens a été porté à l'international.

La plus grosse tourtière au monde

Mais ceux qui sont sur place n'ont pas fait le voyage pour rien, promet l'unique épicier du village. Marco Bolduc et sa blonde Annie Gagnier ont un projet fou: demain, ils veulent servir aux joueurs et aux visiteurs la plus grande tourtière de l'histoire des tourtières. Elle doit peser plus de trois tonnes et sera homologuée par le Livre Guinness des records

«Moi, je m'occupe de la cuisson, avec une bonne bière à la main», précise M. Bolduc, qui insiste pour que tout le mérite de cet exploit culinaire revienne à sa compagne.

«Voilà huit ans, on a fait la plus grosse tourtière, mais on ne l'avait jamais fait homologuer. Et là, on est en compétition avec un pâté du Pérou, un genre de pâté patates-viande. Mais là, on va mettre ça au clair: c'est Desbiens qui a la plus grosse tourtière au monde», soutient Nicolas Martel, maire de Desbiens.

Les choses seront mises au clair dans les assiettes et sur les cailloux. Car Desbiens n'accueille pas des «joueurs de cabanon» - terme du sud de la France pour désigner les petits joueurs -, mais la crème de la crème.

La séance de qualifications d'hier a d'ailleurs donné lieu à un match d'anthologie entre l'Angleterre et le Canada. L'équipe favorite de la foule perdait 10-4. Il manquait trois points aux Anglais pour l'emporter.

Eh bien, le trio canadien a remonté, avec un tir fameux du Sherbrookois Yannick Laulhé, pour lui permettre de l'emporter. Laulhé est sorti de sous le chapiteau, s'est allumé une clope et a répondu à nos questions, encore ému par ce qui venait de se passer.

«Ah, c'est cool. C'est ma huitième Coupe du monde et je n'avais jamais ressenti des émotions comme ça à un premier match. C'est du bonbon, ça, disait Laulhé, propriétaire d'une boutique informatique. Mon père était champion du Maroc. Au Québec, il m'a traîné toute mon enfance sur les terrains de boules. Un peu comme je fais avec mon gars, qui a 10 ans et qui est un phénomène.»

La pétanque est bien sûr un sport marginal au Québec. Ses clients n'en reviennent pas quand il leur raconte qu'il voyage partout dans le monde pour taquiner le cochonnet.

Mais les tribunes étaient pleines hier. Les amateurs de pétanque des quatre coins du Québec, joueurs de cabanon, joueurs de terrain de camping ou du parc du coin, se sont déplacés par centaines à Desbiens. Il y en aura probablement encore plus d'ici dimanche et la finale.

Des spectateurs, de grands joueurs, des matchs captivants, une tourtière géante et une bonne rivalité bénino-desbienoise... Il ne manque rien à ce championnat du monde de pétanque. Même le pastis, cette boisson jaune et trouble associée aux boules de la Provence au parc Jeanne-Mance, est apparu en après-midi derrière le bar.

Le Français Philippe Suchaud note que son sport tente de s'éloigner de l'image «pétanque-apéro». «Parce que nous, on a l'espoir de rentrer aux Jeux olympiques, et l'alcool, ce n'est pas un plus», note l'homme, qui travaille dans un abattoir quand il n'écume pas les terrains.

«Il fallait casser cette image-là. On n'a plus droit à la pub Ricard chez nous. Et on cherche le plus possible de faire des compétitions sans alcool, dit-il. Mais ça, c'est dur!»

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Photo Gimmy Desbiens, Le Quotidien

L'équipe canadienne dispute un match contre Monaco.

Tirer ou pointer: petit lexique

Il y a deux façons de lancer les boules à la pétanque: tirer ou pointer. 

Quand on pointe, on tente de placer la boule le plus près possible du cochonnet afin de marquer le point. 

Quand on tire, on tente de déloger une boule adverse qui a déjà le point.