La simple logique voudrait que le Canadien s'oppose au retour des Nordiques dans la LNH. Pourquoi l'organisation accepterait-elle de perdre le monopole dont elle profite au Québec depuis le départ des Bleus ?

Sur le plan affaires, le Canadien est seul sur la patinoire depuis 20 ans. De la recherche d'entreprises partenaires à la vente de loges, de la diffusion des matchs à la télévision aux initiatives marketing, aucune autre équipe ne lui fait concurrence.

Sur le plan sportif, le Canadien ne craint plus d'être jugé durement par ses partisans parce que les Nordiques ont connu de meilleures séries éliminatoires (oui, oui, ça s'est produit dans le passé !). De la même façon, la nécessité de repêcher des joueurs québécois, de crainte que les Bleus ne jettent leur dévolu sur eux, s'est aussi évanouie.

Bref, les Nordiques hors circuit, le Canadien est dans une situation privilégiée. Dans son marché, la pression est moins forte à tous égards. Rien à voir avec le combat perpétuel des années 80.

Geoff Molson souhaite pourtant le retour des Nordiques. Il l'a répété hier, avant le tournoi de golf du Canadien. Sa sincérité ne fait aucun doute. Il suffit de voir la flamme au fond de ses yeux lorsqu'il aborde la question pour le comprendre.

Le jeune Geoff a grandi à l'époque où la rivalité entre les deux organisations passionnait tout le Québec. Lors du match du Vendredi saint, marqué par deux terribles bagarres générales, il était âgé de 14 ans. Ce jour-là, durant une des foires d'empoigne, il a profité de la confusion pour quitter les sièges familiaux, situés près de la patinoire, et s'asseoir au banc des joueurs !

Aucun des deux rivaux ne s'est illustré durant cet affrontement d'avril 1984. Mais au-delà de ce triste épisode, les confrontations Canadien-Nordiques ont donné lieu à des moments mémorables, qui ont capté l'imagination des gens.

On peut donc comprendre pourquoi Geoff Molson, l'amateur de hockey, souhaite revoir les Fleurdelysés. Mais il est moins évident de saisir pourquoi Geoff Molson, le propriétaire du Canadien, pense la même chose.

« Pourquoi appuyer le retour des Nordiques, Geoff ?

- Parce que ce serait une bonne rivalité. Et que sur le plan business, on ne voit aucun effet négatif. Il n'y aurait pas d'impact sur la performance financière de notre équipe. En fait, nous aurions des matchs complètement vendus, en plus. Et leur retour serait bon pour le hockey. »

Geoff Molson a aussi tiré des leçons de l'histoire. Il sait que l'entreprise familiale s'est retrouvée dans l'embarras en 1979. Le Canadien a alors voulu stopper la fusion entre la LNH et l'Association mondiale de hockey, brimant ainsi les aspirations des gens de Québec, Edmonton et Winnipeg.

Les grands patrons de Molson ont dû rappeler les dirigeants de l'équipe à l'ordre afin de protéger leur image de marque. Moins d'un mois plus tard, les Nordiques, les Oilers et les Jets accédaient à la LNH.

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Le mois dernier, une rumeur en provenance de Toronto a circulé : si les Nordiques renaissent, ils pourraient devoir dédommager le Canadien pour cause d'empiétement de ses droits territoriaux. Sur Sportsnet.ca, le montant de 100 millions a été évoqué.

Hier, un porte-parole de la LNH m'a indiqué que toute discussion à ce propos était « beaucoup trop prématurée », en mettant l'accent sur le mot « beaucoup ». En clair, si la LNH étudie le dossier de l'expansion, elle refuse d'en commenter les paramètres.

Cela dit, Geoff Molson écarte cette possibilité. « J'ai vu ça dans les journaux, mais je n'ai aucune idée d'où ça vient et ce n'est pas vrai, explique-t-il. Moi, j'ai un vote sur trente, je n'ai pas de droits. Tout ce qui est à l'intérieur de 75 kilomètres de Montréal nous appartient. Mais Québec est plus loin que ça, comme Ottawa. Si la Ligue voulait installer une deuxième équipe dans notre marché, il y aurait peut-être quelque chose. Mais Québec n'est pas dans notre marché. »

- Donc, le Canadien n'a pas l'intention de demander une compensation en cas de retour des Nordiques ? »

La réponse de Geoff Molson est claire et nette : « Non ».

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Alors, quelles sont les chances du retour des Nordiques ? Très bonnes, à mon avis. Et ça ne devrait pas trop tarder.

Pourquoi ? Parce que le commissaire Gary Bettman a constaté cet été qu'au-delà des rumeurs, à peine deux villes songeaient véritablement à obtenir une équipe. Lorsqu'il a fallu déposer 2 millions US pour signifier son intérêt, Québec et Las Vegas ont été les seules à se manifester.

Conclusion, les investisseurs prêts à allonger un demi-milliard US en retour d'une concession sont beaucoup moins nombreux que prévu. La LNH a donc tout avantage à passer à l'action avant que les ennuis des Panthers de la Floride ou des Hurricanes de la Caroline ne rappellent combien ce prix est élevé.

Si ces deux équipes sont vendues et transférées ailleurs aux États-Unis, quel sera le prix des transactions ? Sans doute moins que 500 millions US. Comment la LNH pourrait-elle ensuite exiger une somme supérieure pour une équipe de l'expansion ne comptant aucun joueur d'impact ?

Inversement, si le coût d'une équipe de l'expansion est de 500 millions US, un club établi, alignant quelques excellents joueurs, vaudra théoriquement davantage. L'octroi de concessions à Québec et Las Vegas entraînerait probablement la hausse de la valeur de plusieurs organisations.

Si les groupes de Québec et Las Vegas mettent chacun 500 millions US sur la table, la LNH aura du mal à refuser l'offre. Beaucoup d'équipes en difficulté voudront toucher leur quote-part.

Reste à savoir quels sont les plans de Gary Bettman. Car au bout du compte, les propriétaires d'équipe suivront sa recommandation, comme ils le font dans tous les dossiers depuis le lock-out de 2004-2005.