«Ça paraît inhumain. Mais il y a une notion de plaisir très importante dans un cadre naturel magnifique.»

Voilà comment Frédéric Berg voit le Grand Raid de l'île de la Réunion, l'une des courses à pied «en milieu naturel avec dénivelé» les plus prisées du monde. Et l'une des plus difficiles. Une course dont il est le seul Canadien au départ aujourd'hui. Dans le milieu, on la surnomme «la Diagonale des fous». Et pour cause: 163 km de distance, parcourus en marchant et en courant, pendant trois jours et trois nuits - pour les plus lents - , faits de montées et de descentes, avec quatre sommets de plus de 2000 m d'altitude à gravir. Soit 9917 m de dénivelé positif cumulé.

«C'est un mur qui s'impose devant nous. C'est un peu comme si on avait l'Everest à monter avec des pentes à 12% ou 13% parfois. Il y a très très peu de plats. Les montées sont très brutales. On part du bord de l'océan dans le sud de l'île que l'on traverse en diagonale vers le nord», décrit Frédéric Berg.

On oserait presque écrire qu'un triathlon Ironman est un entraînement comparativement à cette épreuve sportive. «C'est effectivement plus long, plus violent et plus dur mentalement qu'un triathlon. Cela demande de la concentration en permanence», témoigne Florent Bouguin, un des meilleurs de la discipline au Québec.

La préparation est colossale. Celle de Frédéric Berg s'est composée cette année de quatre entraînements par semaine, une longue sortie de trois heures trente chaque mois, deux courses du genre au Québec, un marathon, trois demi-marathons et une vingtaine de courses à pied officielles de 5 et 10 km. «Pour travailler en intensité, précise ce quadragénaire. Depuis la fin avril, j'ai des compétitions toutes les fins de semaine. Je fais du cardio en salle et un peu de vélo.» Ouf!

Partis à 23h heure locale ce soir, les 2500 participants vont avaler les kilomètres en un temps maximum autorisé de 65 heures. Avec des temps de passage à respecter. Sinon, c'est l'élimination. Deux gros points de ravitaillement à chaque tiers du parcours leur permettront de prendre un repas ou une douche, de se faire masser et de dormir. Selon chacun, le sommeil va durer 15 minutes, une demi-heure, voire même cinq heures. Tout est une question de stratégie et de gestion de son corps.

«Pour les meilleurs, on a moins besoin de sommeil, car l'épreuve dure moins longtemps. Le corps peut endurer 35 à 40 heures sans sommeil», affirme le directeur de course Denis Boullé.

«C'est risqué de s'arrêter trop longtemps car c'est difficile de repartir ensuite. À ce moment-là, les douleurs s'accentuent», témoigne Frédéric Berg, dont c'est la troisième participation au Grand Raid de la Réunion.

Des hallucinations

La configuration du parcours a beau rendre impossible la course à pied dans les montées - même pour les plus aguerris - , il n'en reste pas moins que l'effort paraît surhumain. «Cela affaiblit considérablement l'organisme et le métabolisme si on n'est pas habitué et pas bien préparé. On peut tomber malade aussitôt la compétition terminée, attraper toutes les maladies de l'hiver. Des gens ne récupèrent pas musculairement avant un an», dit M. Berg.

Les articulations - surtout les genoux - et la colonne vertébrale sont très sollicitées. Ampoules, tendinites, problèmes intestinaux sont monnaie courante parmi les coureurs. Et à la fatigue et au manque de sommeil se greffe le risque d'hyperthermie. «En altitude la nuit, on peut avoir des sensations de -3 à -4 degrés», précise Michel Pousse, secrétaire général de la course. Alors que le thermomètre peut monter à 30°C le jour.

«Il y a la douleur, il y a la digestion qui ralentit et il y a un petit peu d'hallucinations sur la fin du parcours. C'est lié à la fatigue et au fait que le sang afflue surtout dans les jambes», explique le Montréalais Frédéric Berg.

À l'arrivée, les reins peuvent mal fonctionner. La moitié des coureurs a des oedèmes aux chevilles. Et il est conseillé de ne pas prendre l'avion dans les 48 heures qui suivent.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, la mécanique humaine permet d'endurer ce genre d'efforts continus. «Ces courses tuent beaucoup moins qu'un marathon», affirme M. Pousse.

Pour l'unique représentant canadien, l'objectif est de terminer la course. «Ce serait fabuleux si je la faisais en 46 heures.» Quarante-six heures...

«Les coureurs du genre du monde entier rêvent de faire la Diagonale», rappelle son directeur, Denis Boullé.

La «Diagonale des fous», l'appellent-ils? On ne peut plus juste.

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48%: L'an dernier, 48% des coureurs de la «Diagonale des fous» ont abandonné.

26h33 min 10 s: Temps réalisé par le vainqueur de l'an dernier, l'Espagnol Kilian Jornet Burgada.

Photo fournie par Frédéric Berg

Frédéric Berg, seul Canadien au départ de la course, vise terminer la Diagonale des fous en 46 heures.