Le photographe légendaire et père du célèbre gardien de la LNH Martin Brodeur, Denis Brodeur, est décédé jeudi à Montréal à l'âge de 82 ans.

Témoin de nombreux exploits de son fils, il aura aussi eu l'occasion, en juin, de voir son petit-fils Anthony être repêché par l'équipe de son fils, les Devils du New Jersey.

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Il s'agit de la troisième génération de gardiens chez les Brodeur: Denis Brodeur n'a jamais joué dans la LNH, mais il a remporté une médaille de bronze avec l'équipe canadienne aux Jeux olympiques de 1956, en Italie.

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L'expérience de gardien de but a servi Denis Brodeur dans sa carrière de photographe de sport. D'ailleurs, le travail du photographe n'est-il pas de pressentir l'événement?

«Il a tiré ma photo à plus d'une occasion, a dit jeudi le légendaire Jean Béliveau à La Presse. Il était notre gardien lorsque je jouais à Victoriaville et nous nous sommes côtoyés toute notre vie. Je l'avais appelé lors de la première de ses trois opérations au cerveau. Il avait ralenti ces dernières années, mais sa passion demeurait intacte. C'était un grand professionnel et il ne cherchait pas la notoriété. Il laissait ses photos parler pour lui. Son apport au monde du hockey aura été énorme, autant pour les acteurs de ce sport que pour les amateurs.»

Denis Brodeur a été le témoin privilégié de plusieurs grands moments: les nombreuses conquêtes de la Coupe Stanley par le Canadien et les Devils, les débuts des Expos dans la Ligue nationale de baseball, la Série du siècle du hockey, les Jeux olympiques de Montréal, etc.

Le photographe du Montréal-Matin a eu le bon réflexe, le 28 septembre 1972, à l'occasion du dernier match de la Série du siècle. Il a été l'un des rares à immortaliser le but de Paul Henderson qui a procuré la victoire au Canada, 6-5, à 34 secondes de la fin. Le Canada a vaincu la Russie dans la série de huit rencontres, 4-3-1. «Les photographes - la plupart étant russes puisque le match avait lieu à Moscou - étaient à l'autre bout de la patinoire quand Henderson a marqué. J'ai cliqué jusqu'au bout du rouleau. J'ai pris le plus de photos possible en un minimum de temps», a rappelé M. Brodeur.

«C'est le type de photo que tout photographe rêve de prendre, a dit jeudi Bernard Brault, photographe de La Presse. Il fut une inspiration pour moi. Il y a eu David Bier et, ensuite, Denis Brodeur. Le fait d'avoir été gardien a aiguisé son regard et lui a permis d'anticiper plus facilement l'action, d'où ses clichés mémorables. Dans la vie de tous les jours, c'était un homme simple, ouvert, toujours de bonne humeur, qui parlait à tout le monde, peu importe le statut de son interlocuteur. Un peu comme son fils Martin.»

Le Montréal-Matin a fermé ses portes en décembre 1978, mais Brodeur a gardé ses appareils photo actifs. Devenu photographe indépendant, il était de toutes les rencontres du Canadien, dont il a été un employé, et plusieurs des Expos, des Alouettes et du Manic. Le hockey est demeuré sa passion.

Affable, Brodeur n'a jamais joué dans la Ligue nationale, mais il a aidé l'équipe canadienne à décrocher la médaille de bronze aux Jeux olympiques de 1956 à Cortina d'Ampezzo, en Italie. Il a raccroché ses jambières en 1959.

Son fils Martin a suivi ses traces devant le filet. Il entame sa 20e saison avec les Devils et totalise 669 victoires, un record de la LNH.

Denis Brodeur a perpétué sur pellicule les exploits de son fils, qui ont été colligés dans un livre. D'ailleurs, le photographe a publié plusieurs livres - sur les gardiens de but, sur les Expos, sur Nadia Comaneci - rédigés par différents journalistes.

Avant Martin, Claude, un autre fils de M. Brodeur, s'est illustré au baseball et au hockey dans les rangs juniors. M. Brodeur et sa femme Mireille ont eu cinq enfants.

En 2006, M. Brodeur a vendu plus de 110 000 photos à la LNH pour 350 000 $ US.

À 80 ans, il s'est départi des photos sur la Série du siècle dans un encan. Cependant, pas question de renoncer aux albums sur Martin. «Ça, on ne touche pas à ça. C'est la seule affaire que je veux absolument garder jusqu'à ma mort.»

À 81 ans, M. Brodeur a subi une opération sérieuse de laquelle il s'est remis. Les médecins lui ont retiré une tumeur cancéreuse au cerveau le 17 février 2012. Deux jours plus tard, Brodeur contribuait à la victoire de 3-1 des Devils contre le Canadien au Centre Bell.

Quelques semaines après, M. Brodeur a assuré à François Gagnon, alors de La Presse, qu'il assisterait un jour à l'intronisation de Martin au Temple de la renommée du hockey.

Le destin en a décidé autrement.

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ILS ONT DIT

Réjean Houle: «Il a couvert nos grandes saisons avec le Canadien dans les années 70, il a capté nos moments d'euphorie. Ça a dû être intéressant pour un photographe comme lui de couvrir cette période, avec six conquêtes de la Coupe Stanley dans la même décennie. Il était non seulement talentueux, mais comme il a joué lui aussi, il pouvait lire nos états d'âme. Il savait quand nous approcher et quand nous laisser tranquilles.»

Serge Savard: «J'ai connu Denis Brodeur bien avant le Canadien de Montréal et la Série du siècle. Il a été l'un de mes entraîneurs quand je suis arrivé à Montréal à 15 ans, avec l'équipe de l'Immaculée-Conception dans le junior B. Il m'a suivi tout le reste de ma carrière. J'ai toujours éprouvé un immense respect pour lui. Il n'élevait jamais la voix. Je ne lui ai jamais connu d'ennemi.»

Stephen Harper, premier ministre du Canada: «J'offre mes sympathies à la famille de Denis Brodeur. Ce célèbre photographe a permis à un grand nombre de Canadiens de découvrir le hockey.»

Lou Lamoriello, DG des Devils: «Toute l'organisation des Devils est attristée par la mort de Denis Brodeur père. Les Brodeur font partie de la famille depuis 23 ans. Denis a dévoué fièrement sa vie au hockey.»

Anthony Brodeur, son petit-fils: «Il s'agit d'une journée très, très triste. Tu me manques déjà, grand-papa. Repose en paix. Je t'aime.»

- Mathias Brunet et La Presse Canadienne