Premier président de l'Agence mondiale antidopage et encore aujourd'hui l'un de ses dirigeants les plus influents, Dick Pound reste l'un des adversaires les plus farouches de tous ces tricheurs qui bafouent les règles et l'éthique du sport. L'avocat montréalais est reconnu pour son franc-parler - ce qui lui a sans doute coûté la présidence du CIO - et les leçons qu'il tire de l'affaire Armstrong n'épargnent personne...

«Ce n'est pas l'affaire Armstrong qui doit nous laisser croire que la guerre contre le dopage est terminée, bien au contraire. La vérité, c'est que nous n'avons jamais pris aussi peu de tricheurs qu'aujourd'hui», estime Dick Pound, l'ancien président de l'Agence mondiale antidopage qui siège aujourd'hui au Conseil de fondation de l'organisme

«Les athlètes de pointe, qui se préparent longtemps, ne sont jamais pris lors des tests en compétition. Tout athlète sérieux qui sait quand et où il va être testé ne sera jamais pris. Nous avons effectué 6000 tests à Londres (dans le cadre des Jeux olympiques) et n'avons pris que quelques athlètes (neuf) qui auraient sans doute aussi échoué à un test d'intelligence...»

Le rapport présenté mercredi par l'agence américaine antidopage (USADA) décrit en détail comment Lance Armstrong, ses coéquipiers et leur entourage ont déjoué pendant des années tous les mécanismes de contrôle mis en place par l'Union cycliste internationale (UCI).

«Je crois que le dossier de l'USADA nous fournit beaucoup de munitions pour améliorer notre approche et nos techniques dans la lutte contre le dopage», a expliqué Pound, jeudi, en entrevue.

«Le rapport, qui est basé sur les témoignages crédibles de 26 personnes, démontre hors de tout doute la culpabilité d'Armstrong, mais aussi la complicité tacite des personnes et des organismes qui auraient dû le surveiller. L'UCI n'a de toute évidence pas fait un très bon travail...»

L'ancien numéro deux du CIO a longtemps été en guerre contre Hein Verbruggen, président de l'UCI de 1991 à 2005, à qui il reprochait notamment ses «blocages systématiques» dans la lutte antidopage et la «protection» qu'il accordait à ses champions. Pound n'est guère plus satisfait du travail de Pat McQuaid, qui a succédé à Verbruggen à la tête de l'UCI.

«Ce sera intéressant de voir comment ils vont réagir au rapport de l'USADA. Jusqu'ici, ils ont été très réticents à se prononcer dans le dossier de Lance Armstrong et même si les preuves sont accablantes, je doute de leur volonté réelle d'aller de l'avant dans ce dossier.»

Adopter les moyens des tricheurs

Pour l'avocat montréalais, la lutte antidopage se retrouve à la croisée des chemins après l'affaire Armstrong. Comme il le rappelle, il s'agit d'un dossier très complexe qui implique des organismes de tous les continents qui doivent composer avec des législations et des réglementations très différentes.

Concilier tous ces intérêts n'est évidemment pas aisé, comme Pound a pu le mesurer pendant ses huit années à la tête de l'Agence mondiale antidopage de 1999 à 2007. Aujourd'hui, à 70 ans, il profite de son expérience et de son indépendance relative pour réclamer un peu plus d'audace dans l'approche pour débusquer les tricheurs.

«Nous avons formé un groupe de travail (confidentiel) lors de la dernière rencontre du Conseil de fondation de l'AMA pour justement étudier les moyens d'être plus efficaces. Nous ferons un rapport préliminaire lors de la prochaine réunion, en novembre à Montréal, mais nos principales conclusions ne seront sans doute pas livrées avant le printemps.»

«Il y a des produits dopants dont nous ne connaissons même pas l'existence, des techniques de dopage qui permettent de contourner aisément les contrôles actuels... Nous devons donc poursuivre la recherche et ne pas hésiter à copier les moyens des tricheurs, si cela nous permet d'aller de l'avant.»

À ceux qui s'inquiètent du respect des droits individuels des athlètes, Pound réplique: «Toutes nos démarches respectent la Charte canadienne des droits et liberté. De toute façon, il faut bien comprendre qu'un athlète qui fournit des échantillons d'urine ou de sang dans le cadre d'un test antidopage renonce à son intimité.»

Des organisations réticentes

C'est grâce aux témoignages de ses anciens coéquipiers que l'USADA a pu incriminer Armstrong, et l'avocat montréalais ne doute pas qu'on doive utiliser toutes les ressources pour accumuler des preuves contre les tricheurs et ceux qui leur procurent des produits dopants.

«En fait, nous savons très bien ce qui se passe dans le milieu du dopage, mais il nous faut des preuves, rappelle-t-il. Et pour les obtenir, nous avons besoin de plus de ressources et, surtout, d'un engagement plus ferme de la part des organisations sportives.»

Celui qui reste impliqué dans tous les dossiers juridiques du CIO critique sévèrement les dirigeants du sport professionnel américain, qui devraient pourtant être interpelés par la «déchéance» de l'un des plus grands sportifs de leur pays.

«Il n'y a aucune volonté réelle de s'attaquer au dopage dans la NFL ou au baseball majeur, insiste-t-il. On ne teste les joueurs que pour les stéroïdes, et l'introduction des tests pour l'hormone de croissance a été remise indéfiniment. Les propriétaires des équipes n'ont aucune envie de voir un athlète qu'ils paient des dizaines de millions suspendu pour dopage...»

«Ce sont les pouvoirs publics américains qui devront forcer la main des dirigeants. La plupart des équipes évoluent dans des stades qui ont été financés, au moins en partie, par des fonds publics. Le président devrait menacer les dirigeants du baseball ou du football de revoir les dispositions des lois antitrusts les concernant...»

On reconnait là le spécialiste du droit fiscal, habile négociateur, mais aussi capable d'un coup de gueule pour faire prévaloir son point de vue. Et aucun n'est plus important à ses yeux que la lutte contre le dopage dans les sports.