Après sa qualification ratée pour les Jeux olympiques d'Athènes, en 2004, l'escrimeuse Sandra Sassine s'est juré de ne plus revivre une année comme celle-là. La galère de la course aux points de qualification aux quatre coins du monde, l'encadrement minimal, les soucis pour joindre les deux bouts. À 24 ans, il était temps de commencer à penser à son futur métier d'enseignante en éducation physique.

Deux cycles olympiques plus tard, Sassine est toujours là. Voilà qu'on la retrouve, samedi matin, sur la piste du Crystal Palace, centre sportif national au sud de Londres, mieux connu pour son stade d'athlétisme. Masque sur le visage, sabre à la main, elle s'apprête à disputer l'une des trois dernières compétitions avant la fin du processus de sélection pour les Jeux de Londres. Ce seraient ses deuxièmes après ceux de Pékin, auxquels elle a accédé non sans difficulté.

L'England Trophy n'est pas une «compétition test» préolympique. L'ambiance bon enfant du Crystal Palace tranche donc avec le protocole strict et la rigidité en matière de sécurité qui ont cours au Centre aquatique olympique pour la Coupe du monde de plongeon. Les meilleures sabreuses du monde partagent le vestiaire avec les baigneurs du dimanche.

Par chance, le programme a un peu de retard. Parce que j'aurais sans doute raté le seul combat de Sassine dans le tableau de 64. En sept minutes, entrecoupées par ces cris rageurs qui ne manquent pas de surprendre le non-initié, l'affaire a été réglée. La Québécoise a tenu tête à la Russe Julia Gavrilova jusqu'à 5-5, avant de perdre contact pour s'incliner 10-15.

Avant même le début, le combat paraissait inégal. Gavrilova, quatrième mondiale, n'était pas passée par les qualifications de la veille. Dans son coin, elle avait son entraîneur, le Français Christian Bauer, le meilleur du monde, qui a mené l'équipe chinoise aux Jeux de Pékin.

Comme un joueur de hockey

Il paraît que ce genre de détail n'échappe pas à l'attention d'un arbitre, d'autant plus que Sassine était fin seule. Son entraîneur, le Russe Dmitry Ronzhin, ne pouvait y être pour une histoire de visa. Son père, le maître d'armes bien connu Henri Sassine, devait le remplacer, mais il a eu un empêchement de dernière minute.

La veille, Sassine a passé une longue journée à se qualifier pour la ronde de 64. Célébrant une victoire arrachée à une Azerbaïdjanaise coriace, elle s'est laissée tomber sur les genoux. Mal lui en prit, elle s'est étiré un tendon. La douleur et l'inquiétude l'ont tenue réveillée une bonne partie de la nuit. Le lendemain matin, elle a dû demander la charité à un kiné français, qui lui a bandé le genou gauche.

Quelques minutes après la fin du combat, le visage en sueur, Sassine n'était pas trop abattue. «Je compare ça à un joueur de hockey», a-t-elle expliqué, s'excusant de n'avoir pu en offrir davantage à ce rare journaliste venu la voir en action. «Il joue tellement de matchs dans une année. S'il en a un pas bon, il passe à l'autre. Il ne faut pas que je me tape trop dessus.»

Sa défaite n'avait pas d'impact sérieux sur sa qualification olympique. Avec deux tournois à faire d'ici à la date butoir du 1er avril, elle occupe le 28e rang mondial, ce qui devrait suffire à lui ouvrir les portes à titre de représentante de la zone Amérique.

Ça n'a pas été facile. Si Sassine s'y est remise sérieusement, il y a trois ans, c'est que les choses avaient commencé à changer à Escrime Canada. Les subventions d'À nous le podium (ANP) ont par exemple permis l'embauche à temps plein de Ronzhin, entraîneur réputé.

Après un début encourageant, le vent a tourné. À l'été 2010, Danek Nowosielski, intense et passionné directeur technique de la fédération, s'est fait brutalement virer malgré les protestations des athlètes et entraîneurs. En avril, ANP a retiré la majorité de son soutien. «On est revenu à l'âge de pierre», résume Sassine au sujet de la situation qui prévaut à Escrime Canada.

Rare épargnée par les coupes - ce n'est pas la richesse, loin de là -, Sassine a néanmoins perdu toutes ses coéquipières sabreuses. Rien pour aider l'entraînement ni l'échauffement particulier en compétition. Au Crystal Palace, quelques adversaires daignaient lui offrir deux ou trois touches ici et là.

«J'ai mal partout!»

À 32 ans, il y a aussi les pépins physiques. «J'ai mal partout!», lance celle qui a fini 28e aux Jeux de Pékin. Il y a eu cette commotion cérébrale sur la piste du Crystal Palace, il y a exactement un an. En voulant désespérément marquer un point contre sa grande rivale américaine, la championne olympique Mariel Zagunis, elle s'est frappé l'arrière de la tête sur la piste métallique.

Sassine a été tenue au repos complet pendant huit semaines, un véritable calvaire. «Je ne me souvenais pas d'une seule semaine où je n'avais pas fait de sport. Le sport, c'est ma vie.»

La commotion a laissé des séquelles, un blocage au cou à des moments inopportuns, comme avant les derniers Mondiaux de Catane, en Italie, en novembre, où elle a été éliminée dès les qualifications. Sassine croit avoir trouvé une façon de contenir le problème en portant un collet cervical le plus souvent possible.

Double vice-championne panaméricaine, Sassine n'a pas atteint les quarts de finale en Coupe du monde depuis un an. Elle sent qu'elle a le niveau... à l'entraînement. «Je sais qu'il ne manque pas grand-chose. Mais en compétition, je me contracte.»

Après 26 ans dans l'escrime, l'athlète originaire de Chibougamau n'a pas encore dit son dernier mot. «Je me bats contre des filles de 20 ans qui sont au top mondial et je leur tiens tête. En fait, je me sens comme une petite fille de 20 ans qui vit son rêve quand même. Je suis chanceuse de le faire. «